Chapitre 2 – A la recherche du commissariat perdu

“Vous êtes arrivé à destination !” Mon père obéit docilement au GPS (qui avait un peu la voix de gogol, c’est étrange) et gara la voiture le long du trottoir.

Papa, tu es vraiment sûr que c’est là ?

Bien sûr que je suis sûr, on peut se fier au GPS, il est précis à la seconde et au mètre près !

Je regardais autour de nous, tout en me demandant si Albert Einstein, mon père et moi avions la même notion de l’espace-temps.

Tout ce que je voyais dans un rayon de 1500 millimètres (je vous laisse convertir en mètre), c’était une barrière avec marqué « Interdit au public » qu’une personne en tenue de chantier était en train de manœuvrer. J’en profitais pour me moquer gentiment :

Regarde papa, un policier avec un marteau piqueur et un casque jaune sur la tête !

Mon père, qui semblait déjà moins sûr d’en être sûr, réfléchit quelques secondes, et finit par émettre une hypothèse :

Il se pourrait fort bien que la carte du GPS ne soit pas tout-à-fait à jour, nonobstant le fait que je l’ai achetée la semaine dernière et que le vendeur, que je retournerais voir pour lui exprimer en terme choisi ma façon de penser, m’a garanti la fraîcheur des informations pour “à peine” dix euros de plus, et il a claqué la portière en guise de point finale, VVRANCK (c’est ce que j’ai trouvé de plus approchant pour un bruit de portière qui claque)

Lorsque mon père est agacé, il a tendance à faire des phrases télescopiques et là, je crois qu’il commençait à être plus que « légèrement » agacé (mais moins que « vraiment », on va dire « moyennement » si cela vous convient, et si ça ne vous convient pas, c’est la même chose, parce que là, moi aussi je commence à être agacée et à faire des phrases à rallonge).

***

Nous étions tous les deux sur le trottoir, scrutant l’horizon comme deux indiens déplumés, à la recherche d’un indice pouvant nous mettre sur la piste du commissariat, lorsqu’un homme casqué de jaune s’est approché de nous pour nous interpeller d’un :

Police, vos papiers s’il vous plaît !

Je regardais mon père, stupéfaite. Quoi ? Finalement les policiers se baladent vraiment avec un marteau piqueur et un casque jaune sur la tête ?

Désolé, a ajouté l’homme en jaune, dans un grand sourire, j’ai pas pu m’empêcher en vous écoutant. Pas d’panique la police nationale n’a pas changé d’képi, elle a juste changé d’bocal.

Euh… vous voulez dire de local ? a demandé mon père.

C’est ça ! Les anciens bocaux ont été rasé pour faire place à du neuf, et en attendant, toute la brigade a été transvasée dans des bâtiments temporaires un peu plus haut dans la rue, et il a indiqué une direction.

Mon père l’a remercié chaleureusement, mais avant de partir il a demandé :

Et, par curiosité, les travaux ont commencé quand ?

Plus d’un an m’sieur ! C’est que, pour faire les choses bien, il faut prendre son temps pas vrai ?

Je regardais derrière la barrière, et n’y voyais qu’un grand trou. Mwouai, pas la peine d’avoir des marteaux piqueurs, si c’est pour creuser à la p’tite cuillère.

***

Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais je sais à quoi je ne m’attendais pas, et c’est justement ce qui nous attendait lorsqu’on est arrivé devant le commissariat de police (relisez cette phrase à l’envers pour défaire les nœuds qu’elle a dû provoquer dans votre cerveau).

En lieu et place d’un bâtiment rutilant drapé des couleurs de la république, auquel tout bon citoyen est en droit de s’attendre (ici, faites résonner la Marseillaise dans votre tête), nous nous sommes retrouvés devant un empilement de blocs de béton qui avaient l’air d’avoir été jeté là, faute de place à la déchetterie la plus proche.

Mon père m’a lancé un regard de homard, le genre qui après s’être demandé où il était tombé, se rend compte que c’est dans une casserole d’eau bouillante.

Papa, je te rappelle que je suis ta fille, et que c’est toi qui es censé me rassurer.

Euh, Lola, ne t’inquiète pas. Tu sais parfois la première impression n‘est pas la bonne, l’extérieur ne reflète pas toujours la beauté intérieure, et là il a semblé chercher un exemple pour appuyer sa démonstration. Je suis venu à son secours :

Un peu comme ce qu’a dû penser maman quand elle t’a rencontré ?

Euh… oui !

Regard de homard !

***

On s’est donc retrouvé devant l’entrée du bâtiment principale. Papa a regardé à droite, puis à gauche, espérant trouver une sonnette ou quelque chose ressemblant à un bouton d’appel.

Bon sang, comment on est censé rentrer ? Il y a forcément un moyen !

Pendant qu’il réfléchissait, je faisais le tour du propriétaire. En plus des différents parallélépipèdes (désolé d’évoquer de pénibles souvenirs de cours de géométrie) qui constituaient l’architecture du lieu, il y avait, sur le terrain vaguement aménagé en parking, une dizaine de véhicules, dont le seul point commun était un état de délabrement qui aurait valu une mise à la casse immédiate, s’ils n’avaient été surmontés d’un gyrophare.

Il doit y avoir un système de protection très sophistiqué, a fini par dire mon père, c’est évident qu’on ne rentre pas dans un commissariat comme dans un moulin.

Je me suis approchée à mon tour et me suis collée à la vitre pour essayer de voir à l’intérieur du moulin, euh… du commissariat.

Évidemment elle est teintée, a ajouté papa, sécurité oblige, un commissariat c’est un peu une forteresse !

Je retirais alors mes mains pour lui montrer le type de « sécurité » employée.

Je crois que c’est juste… de la crasse !

Mon nettoyage involontaire avait au moins eu le mérite de nous permettre de voir à l’intérieur.

Il me semble voir un petit panneau ! s’est exclamé papa, Oui ! il y a un code écrit dessus, c’est le numéro à taper. Il doit y avoir un clavier pas loin.

Je me suis penchée moi aussi pour voir le message et j’ai demandé :

Papa, je peux t’emprunter ton tel’ ?

Euh, oui, si tu veux, mais si tu m’aidais plutôt à chercher le digicode, en général c’est juste à quelques centimètres… et il a recommencé à fureter autour de la porte.

Au bout de quelques secondes, voyant que j’étais en conversation, il s’est approché.

Lola, à qui es-tu en train de… et la porte s’est ouverte comme par magie.

Ce n’est pas la phrase de mon père qui l’a ouverte, « sésame ouvre-toi », je veux bien mais : « Lola à qui es-tu en train de … », ça laisse à désirer comme phrase magique non ?

Les deux battants de la porte vitrée ont donc glissé, pas de manière naturelle, ni surnaturelle, mais plutôt… sous-naturel, car de l’autre côté, point de bon génie mais…

Eh, mais c’est notre inspecteur ! s’est exclamé mon père.

Et pour une fois, il n’avait pas complètement tort !

***

Pas complètement, parce que si l’homme qui nous faisait face ressemblait bien au petit inspecteur légèrement enveloppé, il lui dissemblait (non c’est pas un mot que je viens d’inventer) suffisamment pour que ce ne soit pas lui.

Il avait le visage rougi par l’effort :

Désolé m’sieurs dame, la porte est en panne, il faut l’ouvrir manuellement depuis l’intérieur, c’est pour ça que j’ai mis le petit panneau. J’étais pas sûr que tout le monde comprenne qu’il faille appeler le 17 pour avoir le commissariat et demander qu’on vienne ouvrir, mais apparemment ça marche pas trop mal !

Euh… oui, a dit mon père en me regardant, c’était évident bien sûr, et il m’a fait un clin d’œil raté.

Par contre, a-t-il ajouté en traînant un doigt sur la vitre, je crois qu’un zeste de ménage ne serait pas de trop !

Le policier a fait mine d’être étonné,

Ah bon ? Pourtant il vient d’être fait, il y a peine 3 mois !

Je ne me permettrais pas de juger, c’est à peu de chose prés, la dernière fois que j’avais rangé ma chambre.

***

Une fois à l’intérieur de la “forteresse”, la normalité a semblé reprendre ses droits. Il y avait un large vestibule (rien à voir avec la bulle dans laquelle votre poisson range sa veste rouge après une dure journée de travail), avec en son centre un bureau flambant neuf en arc de cercle.

L’agent nous a devancé pour aller se poster fièrement derrière son office, et nous a accueillie comme s’il n’avait jamais bougé de son poste.

M’sieur dame, bienvenue au commissariat principal, je suis l’agent d’accueil Rodolphe, que puis-je pour vous !

A l’audition de cette simple phrase, j’ai eu l’impression qu’on venait de secouer la boule à neige qui me sert de matière grise. Une avalanche de questions est venue s’écraser à l’arrière de mon sourcil gauche, que je commençais à gratter frénétiquement.

Commissariat principal ? Si ça s’était le commissariat principal, le secondaire était en quoi ? En papier mâché ? Et le tertiaire ? En bouse de yak séché ? Et les autres ? (Peut-être un assemblage hétéroclite de paille et de crotte de nez).

Et puis Rodolphe ? Comment pouvait-on encore s’appeler Rodolphe au 21 siècle ? De tous les prénoms disponibles, je crois bien qu’on ne pouvait en trouver de pire ! (Désolé pour mes lecteurs ou lectrices qui s’appellent Rodolphe, vous pouvez remplacer tous les Rodolphe qui suivent par un prénom de votre choix… du moment qu’il se termine par « lphe » !)

Et ensuite, comment ce faisait-il que cet atrocement prénommé Rodolphe, ressemble à ce point à mon inspecteur ! Est-ce qu’un peu comme des moules à cake, il y avait des moules à policier ?

Du fin fond de mes pensées me parvint alors une voix. Était-ce la voix de la sagesse ? Était-ce la voix de la connaissance ? Non, juste la voix de mon père, qui répondait à l’agent qui demandait la raison de notre présence.

Ah mais oui ! s’exclama “Rodolphe”, je vois parfaitement qui vous êtes, c’est mon frère aîné qui est en charge de l’enquête avec l’inspectrice.

Woua ! si je m’attendais à ça, mon agent avait un frère policier !

Bureau 112 au 1er, c’est là que vous trouverez mon frère : Adolphe.

Arghh ! les parents de Rodolphe avaient réussi à trouver encore pire !

Je crois que pendant quelques secondes, de battre mon cœur s’est arrêté.

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