Chapitre 4 – Seule dans la nuit

Bon, tu as bien compris  ? a répété ma mère avec un bémol d’inquiétude dans la voix. On rentrera tard, peut-être après minuit, si tu as le moindre problème, tu n’hésites pas, tu nous appelles.

Mon père a re-poussé un soupir  :

Tout ira bien, ne t’en fait pas. GOGOL est là pour veiller sur toi.

Surtout pour me surveiller  !, ai-je répliqué avec un grand sourire.

C’est un peu la même chose non  ? a rajouté mon père en grimaçant de l’œil. (Ça y est, je sais enfin de qui je tiens mon problème de clin d’œil)

Ouai, « veiller » pareil que « surveiller ». Vous avez remarqué comme les parents se contentent souvent d’approximations  ? Je ne veux pas faire mon dico, mais là, il y avait quand même trois lettres qui faisaient toute la différence.

J’ai gardé mes réflexions orthographiques pour moi (et pour vous, lecteur attentif au sens des mots, de la vie… et du reste) et je me suis dirigée vers la porte d’entrée, pour leur indiquer la sortie.

Allez allez, sinon vous risquez d’être en retard.

Tu as ce qu’il faut pour manger dans la cuisine et… a commencé ma mère.

Oui, oui, j’ai compris, ne vous inquiétez pas. Je ferais bien attention avec le micro-ondes, je n’oublierai pas de fermer les robinets, je ne jouerai pas avec les allumettes ni avec le gros couteau à pain, et je ne mettrais pas les orteils dans les prises. Et si jamais j’oublie tout ça, qu’il y a une inondation, un incendie, ou que je me suis tranchée les deux mains ou électrocutée les pieds, et là j’ai montré ma bouche, mon nez et mes deux yeux, j’appelle le 112. (pour ceux qui n’ont rien compris, c’est un moyen de se rappeler le numéro d’appel d’urgence).

Ça a fait rigoler mon père, mais pas vraiment ma mère qui n’avait pas l’air très rassuré.

Avant qu’elle ne change d’avis, il l’a prise par la main, et l’a entraînée vers la porte que je tenais grande ouverte.

Amusez-vous bien  !

Mais ouiii, a répondu mon père joyeux, ça va être super  ! A tout à l’heure.

Et j’ai refermé la porte sur le regard dubitatif de ma mère.

Du milieu du salon, j’ai entendu GOGOL dire  :

Porte verrouillée.

***

Enfin seule  ! Quelle agréable sensation. J’étais déjà restée seule à la maison, mais uniquement le jour. Jour, nuit, mis à part dans la tête de mes parents, ça ne faisait aucune différence non  ?

Je supposais que leurs craintes venaient du fin fond des âges, lorsque à la nuit tombée, bêtes velues et dentues venaient se repaître d’innocents bipèdes, que la fin du jour avait surpris avant qu’ils n’aient eu le temps de rejoindre leurs cavernes, ou un délicieux steak de mammouth frite les attendait.

J’en étais là, de mes réflexions « anthropologiques », quand le téléphone a sonné  !

J’ai repensé à ce que m’avait dit Lou sur les commandes « standards » alors j’ai essayé un  :

OK GOGOL, décroche  !

Et j’ai entendu la voix de ma mère  !

Lola  ?

J’ai pris un air faussement étonné  :

Oui  ? Le spectacle est déjà fini, c’était bien  ?

Ne dis pas de bêtise on est parti il y a cinq minutes.

A peine  ? C’est que les minutes sans vous me paraissent des heures.

Bon c’était juste pour te dire qu’il y de la glace dans le congélateur pour ton dessert et…

Alors j’ai entendu la voix de mon père  :

Lola, ta mère voulais surtout vérifier que tout allait bien et que tu ne te noyais pas dans des larmes de désespoir. C’est bon  ? Tout va bien  ?

Et il n’a pas attendu ma réponse pour enchaîner  :

Parfait, on te laisse tranquille maintenant.

Et tu n’hésites pas à nous appeler au moindre souci  !a réussi à dire ma mère avant que ça ne raccroche.

Probablement un coup de mon père  !

Là, je crois que j’allais être tranquille pour un moment  ! Il était tant de tester les commandes « Spéciales ».

***

Je me suis approchée un peu plus près de GOGOL. Il bourdonnait légèrement, comme s’il s’était assoupi, mais je savais qu’il ne dormait que d’un œil et que d’une oreille.

OK GOGOL, tu m’entends  ?

J’écoute, a dit la machine.

Si ma mère était là, elle aurait été ravie de cette réponse, car elle me fait souvent remarquer qu’entendre c’est bien, mais qu’écouter c’est mieux  !

Allume la télévision.

Télévision allumée  ! a acquiescé GOGOL.

J’ai sortie de la poche de mon pantalon le stylo espion de Jérémie. J’ai appuyé sur sa tête, et mon père a parlé  !

OK GOGOL déverrouille le contrôle d’accès de la télévision.

GOGOL a semblé hésiter, mais il a fini par dire  :

Contrôle d’accès, déverrouillé.

J’ai sauté sur la télécommande et zappé sur toutes les chaînes. CA MARCHE  ! ! !

Je me suis mise à bondir dans tout le salon comme une balle qui aurait perdu la boule. J’avais réussi à pirater GOGOL, sans avoir besoin de retourner au club d’informatique.

Revoir Jérémie, ça m’aurait plutôt fait plaisir, mais avec Lou dans les parages… Enfin bref, Après avoir trituré le stylo et mon cerveau dans tous les sens, j’avais compris comment enregistrer plusieurs phrases, et comment les bidouiller sur l’ordi de mon père. Ok, je suis autorisée à l’utiliser uniquement pour faire mes exposés, mais bon, on va dire que le prochain sera sur l’évolution des stylos de l’antiquité à nos jours, comme ça tout le monde est content.

Ma joie rebondissante a été interrompue par le téléphone qui s’est remis à sonner. Un sublime triple salto avant, et j’ai atterri près de l’appareil (j’exagère, ce n’était peut-être qu’un double salto).

Je décrochais le combiné et sans même attendre qu’une voix n’en sorte, j’y déversais la mienne  :

Maman, je suis toujours vivante  ! car évidemment, ça ne pouvait être que ma mère (vous aviez déjà deviné, futés comme vous êtes)

Heureuse d’apprendre que tu es vivante, mais horrifiée de savoir que je suis ta mère  ! M’a répondu une voix qui n’était auditivement pas celle de ma mère… mais de Mathilde (ah ben finalement, vous n’êtes pas si futé que ça).

Et elle ajouté  :

Je suppose que tes parents sont partis, du coup tu peux descendre  ?

Ben… si j’arrive à ouvrir la porte avec mon stylo, je suis chez toi dans 2 minutes.

OK, si t’es pas là dans 121 secondes, je monte te libérer avec mon bazooka  ! Dépêches  !

Et elle a raccroché.

***

J’étais excité, mais aussi un peu effrayé. Est-ce que j’allais sortir de chez moi, sans l’autorisation de mes parents  ? En fait, ils ne me l’avaient pas vraiment interdit, GOGOL était censé « veiller » sur moi, donc empêcher quelqu’un de rentrer, pas de sortir  ! Parfait, ma bonne conscience n’a pas hurlé « objection votre honneur », je pouvais donc passer à l’action.

J’avais à peine commencé à me diriger vers la porte d’entrée, qu’un bruit venant de la rue me fit sursauter. Le bruit caractéristique d’une voiture qui se gare  : Vreee, critchhh (lisez en fermant les yeux, vous allez voir on s’y croirait).

Je me suis précipitée vers la fenêtre, les oreilles et le cœur battants. Elles ne s’étaient pas trompées mes oreilles, tout en bas c’était bien une voiture qui s’arrêtait près du trottoir… la voiture mes parents  ! Ah mais non. Pas du tout. Mes yeux eux, avaient tout faux  : oreilles 1, yeux 0. C’était juste un utilitaire gris, qui venait de se stationner près de l’entrée de l’immeuble. Alors, soit mes parents avaient trouvé un concessionnaire ouvert un vendredi soir après 19h, et ils avaient acheté une nouvelle voiture (ils auraient pu me demander mon avis, au moins sur la couleur), soit ce n’était pas eux.

Mon cerveau surentraîné a penché pour la deuxième solution, mais j’ai quand même attendu que quelqu’un descende du véhicule suspect pour être complètement rassurée. Dix secondes plus tard, personne n’en était encore sortie. J’ai décidé à l’unanimité que je n’allais quand même pas passer le reste de ma vie plantée devant une fenêtre, alors je suis retournée vers la porte d’entrée.

Cette fois ci, j’étais prête. J’ai levé mon stylo comme Moïse son bâton lorsqu’il fit s’ouvrir la mer rouge (bonjour la panique chez les poissons, mais ça Moïse, il s’en fichait). J’ai appuyé sur sa tête, une fois (oui, sur la tête du stylo, pas celle de Moïse, merci de suivre un petit peu), et la voix du premier enregistrement a tonné dans la pièce. C’était la voix de Dieu… euh non je me suis laissée emporter par cette histoire de mer et de poissons coupés en deux ; c’était juste la voix de mon père, qui a prononcé ces paroles prophétiques  :

OK GOGOL, déverrouille la porte d’entrée.

GOGOL a obéi, et répondu à son appel par un monotone  :

Porte, déverrouillée.

***

Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre que le bruit de moteur électrique qui avait précédé l’annonce de GOGOL, était celui du module d’ouverture. J’ai approché ma main de la poignée de la porte. L’heure de vérité avait sonné à…

OK GOGOL, quelle heure est-il  ?

Il est, 19 heures 31 minutes et 20 secondes.

Je reprends, l’heure de vérité avait sonné à 19 heures 31 minutes et 20 secondes.

J’ai actionné la poignée et… (suspens), soudain (re-suspens), subitement (re-re-suspens, désolée pour les personnes ayant un pacemaker), la porte, cette objet rectangulaire et massif qui délimitait la frontière entre le monde libre et mon enclos surveillé… s’est effacée  ! (Vous pouvez à nouveau respirer… en tous cas ceux qui n’ont pas fait de crise cardiaque)

***

J’avais le cœur qui battait à tout rompre et des fourmis dans les jambes. Je les actionnais pour chasser ces indésirables hyménoptères (des fourmis, pour les gens qui ont de la culture… ou l’internet), et en deux petits pas pour moi, mais deux grands pas pour la liberté, je me suis retrouvée sur le palier.

J’ai poussé un grand soupir. J’avais réussi  ! Je me retournais pour regarder tout le chemin parcouru depuis que mes parents étaient partis. J’ai pensé qu’ils seraient fiers de moi  ! Et puis j’ai réfléchi… euh, pas vraiment en fait.

Bon c’était pas tout ça, mais Mathilde m’attendait depuis plus de 121 secondes et vue qu’elle n’était pas là avec son Bazooka, il était tant de descendre la rejoindre.

J’ai refermé la porte, en jetant un dernier coup d’œil à GOGOL qui trônait fier comme un suppositoire au milieu du salon et, à travers la porte, j’ai entendu une voix monocorde prononcer  :

Porte, verrouillée.

Juste après cette annonce, ma température interne a chuté d’au moins 36 degrés.

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