Chapitre 3 – La révélation du bureau 112

Après avoir gravi les marches en imitation marbre en nous tenant à la rampe en imitation métal, nous sommes arrivés sur le pas d’une porte, qui aurait sûrement été en imitation chêne, si elle avait été la !

Crois-tu qu’il faille signaler la disparition de la porte à la police ? Ai-je fait remarquer à mon père, qui n’avait rien remarqué.

Sacrevert ! Encore un mystère ! Sans porte à laquelle taper, comment demander la permission d’entrer ?

En réponse à son involontaire quatrain (cherchez pas, c’est de la poésie), je levais le poing et lui faisais ma célèbre imitation du toquage de porte : « 3 x Toc ! » ( « Toc Toc Toc » c’était beaucoup trop long à écrire).

Alors, du fin fond du bureau 112, et probablement du fin fond des âges primitifs, un râle guttural a retenti jusqu’à nos oreilles, qui si elles avaient été papillons auraient décollé sur le champ pour rejoindre leurs cocons et redevenir chenilles.

Qui ose interrompre ma noble activité ? Qu’il se présente à moi pour recevoir son juste châtiment !

Cette tirade a eu raison des derniers efforts de mon père pour trouver un peu de logique à la situation. Il s’est tourné vers moi dépité :

Lola, je crois qu’on est chez les fous !

Il a alors fait mine de tourner une poignée invisible, puis d’ouvrir une porte invisible, et a pénétré dans le bureau.

Je le suivais prudemment jusqu’au fond de la pièce, en m’assurant qu’un entonnoir n’était pas en train de lui pousser sur la tête.

***

Eh, bonjour m’sieur dame ! s’est exclamé l’agent Adolphe en levant les yeux vers nous. Désolé, j’ai cru que c’était mon frère, qui venait encore m’apporter des stylos.

Mon père a soupiré en voyant la montagne de stylos qui jonchait le bureau, mais, ayant décidé d’abandonner son sens de la logique à l’entrée, il n’a pas fait plus de commentaires. L’agent Adolphe, alerté par ce regard consternant a cru alors bon de se justifier :

Hum oui, tout cela doit vous paraître bien étrange.

Mon père, sans se départir de son air affligé a alors débité d’une voix monotone :

Si vous voulez parler des blocs de béton sur un terrain vague…

Oui c’est vrai, il y a ça.

… et de la porte d’accès qui ne s’ouvre qu’en appelant le 17

Ah oui, ça aussi.

… et de celle qui manque ici…

Tiens ? Je n’avais pas remarqué.

… et pour finir, de ces dizaines de stylos, et… et de vos doigts bleus !

Ah oui, il avait aussi les doigts bleus.

Eh bien non ! a conclut mon père, Je ne vois pas ce qu’il y a d’étrange ici, et toi Lola ?

Là, je n’ai pas su quoi dire.

L’agent Adolphe non plus, pendant un instant il est resté figé comme si quelqu’un l’avait débranché. Et puis le courant est revenu à tous les étages, et dans un soupir de soulagement il a déclaré :

Pour les doigts bleus, j’ai une explication. On a pas reçu les cartouches d’imprimante, alors on les remplit avec l’encre des stylos, voilà rien d’extraordinaire en somme.

Certaines fois, je crois qu’il vaut mieux ne rien savoir.

Sur cet entrefaite (comme on dit dans la bonne littérature), mon inspectrice préférée a débarqué.

***

Elle était comme dans mes souvenirs d’enfance : grande, belle, rayonnante, avec un dossier à la main, qui semblait avoir été imprimé au stylo à bille.

Lola et son papa, quel plaisir de vous voir ! Venez vous asseoir à mon bureau, l’agent Adolphe est apparemment sur une… enquête prioritaire.

L’agent Adolphe a précipitamment balayer les stylos de son bureau et saisie le dossier le plus proche.

J’ai souri à mon inspectrice et lui ai dit à voix basse :

C’est l’affaire de la mystérieuse disparition de la porte, non ?

Le dossier qu’il avait entre les mains était en réalité un catalogue d’aménagement de bureau.

***

L’inspectrice m’a rendu mon sourire (on est forcément très honnête dans la police), a ouvert son dossier et en a sorti une photo.

Sacreblanc ! s’est exclamé mon père, s’agirait-il de la camionnette grise de l’homme en noir ?

Elle s’est tournée vers moi :

Lola ? Tu confirmes.

Aucun doute possible c’est bien mon utilitaire ou alors, c’est son Rodolphe.

Pardon ?

Euh… je veux dire son frère !

Mais, comment l’avez-vous retrouvé si vite ? s’est enquit mon père.

Grâce à Doddy.

Quoi ? vous avez embauché le chien de Mammy dans la police ?

Non, je voulais dire : grâce au bout de tissu qu’il a arraché au suspect. Et elle a posé un sachet plastique contenant le « morceau de l’homme en noir ».

Mon père a paru soulagé, enfin quelques graines de logique à moudre dans son moulin à cogiter.

Évidemment ! Je suppose que vous avez effectué une analyse des fibres tissulaires, ainsi qu’un spectrogramme de sa composition chimique…

Les sourcils de l’inspectrice ont légèrement frémi, mon père a continué :

Ce qui vous a permis de déterminer la provenance du tissu, son usure, d’identifier les modèles de pantalon qui l’utilisent…

L’agent Adolphe a levé les yeux de son catalogue, je me suis aperçue à cet occasion qu’il le tenait à l’envers, et a tourné la tête.

Imperturbable, et avec de plus en plus d’assurance, papa a poursuivi :

De localiser les enseignes qui vendent ces modèles, de lister tous les achats effectués…

Un téléphone s’est mis à sonner sans que personne ne réagisse.

De croiser les informations avec celles extraites du reste d’ADN présent dans les fibres du tissu, pour finalement aboutir à l’adresse d’un suspect et au numéro d’immatriculation de son véhicule.

J’ai failli applaudir. Ça, c’est mon père !

L’inspectrice été bouche bée, mais elle a quand même fini par articuler un :

C’est-à-dire… qu’en fait… on n’a pas eu à faire tout ça, parce que le morceau de tissu, c’était une poche, et que dans la poche, il y avait un papier, et sur le papier : une adresse !

A l’autre bout de la pièce, Adolphe a soupiré :

Un coup d’pot quoi, comme dans 90 pourcent des 10 pourcent des affaires que l’on résout (je vous laisse résoudre l’affaire des pourcentages).

Mon père a balbutié :

Mais… l’ADN, le spectrographe… les fibres…

Oh vous savez, a continué l’agent Adolphe, on n’a déjà pas de quoi s’acheter une porte, alors des analyses ADN…

Re-soupir de mon père (Merci de vérifier plus haut s’il a déjà soupiré, sinon rayer la mention inutile).

L’inspectrice paraissait un peu gênée :

Oui, on peut dire que la chance était de notre côté, elle a sorti le bout de papier, qu’elle a déplié devant elle.

J’ai alors vu le visage de mon père se décomposer, son teint jaunir, ses cheveux blanchir, une partie de son nez s’effriter pendant qu’un vers de terre en sortait.

Etonnant non ? a lancé Adolphe depuis son bureau.

***

Quoi ? Qu’est-ce qui est si étonnant ? J’aimerais bien le savoir (si vous aussi, signez la pétition au bas de la page).

Eh bien je vais vous le dire (bon, laissez tomber la pétition)

Non mais, c’est le magasin de GOGOL ! s’est exclamé mon père.

Je me suis penchée vers le bout de papier. Il y avait marqué : « Pixel Plus » suivi de : « Tout l’inutile qui vous deviendra indispensable » suivi de : un dessin fort mal réalisé représentant des gadgets informatiques, suivi de : l’adresse (j’espère que vous avez suivi).

L’inspectrice a expliqué que la camionnette appartenait au patron de l’établissement qui avait déclaré que : « C’est mon employé qui l’utilise, moi j’ai rien à voir avec ça ! Un jeune toujours en survet’ à capuche, vous voyez le genre. Et en plus avec un accent étranger, vous avez tout compris. Depuis une semaine : plus de nouvelle, mais ça m’étonne pas, vous savez de nos jours mademoiselle on peut plus compter que sur soi-même, d’ailleurs c’est moi qui ai fait le dessin de mon prospectus, qui soit dit en passant est plutôt pas mal, comme vous d’ailleurs, voire carrément bien. Mais c’est normal je crois que j’ai un don, à ce propos j’ai réalisé quelques estampes qu’à l’occasion je pourrais vous montrez un soir après le travail et…» patati et patatra, mon père venait de s’ébouler (c’est comme être effondré mais en pire) sur sa chaise. Lorsqu’il s’est remis à parler, j’ai eu l’impression que ses cordes vocales étaient légèrement désaccordées.

Il a probablement piraté GOGOL avant même que je ne l’achète, c’est comme ça qu’il a pu entrer dans l’appartement !

C’est ce que nous soupçonnions, a acquiescé l’inspectrice sans s’inquiéter de sa mû (si vous ne savez pas ce que c’est, ne vous inquiétez pas, vous aussi, bientôt, vous saurez), et maintenant que vous confirmez qu’il s’agit bien de ce magasin, cela ne fait plus aucun doute.

C’est marrant non ? a ajouté Adolphe depuis son bureau, c’est comme si vous aviez donné vos clefs directement au voleur ! Et puis il a réfléchi, non ! en fait c’est comme si un voleur vous avait vendu des serrures antivols, il a encore réfléchi, non ! en fait, c’est comme si… Mais l’inspectrice est intervenue :

Hum, je crois qu’on a compris Adolphe, pas la peine d’en rajouter.

Oui, pas la peine, mon père venait de se ré-ébouler !

***

Nous étions là et las (enfin surtout papa), assis sur nos chaises dont les huit pieds avaient déjà eu bien du mal à supporter le poids des révélations précédentes, alors même que la principale restait à venir ! (Ne suis-je pas la maîtresse du suspens ? j’en vois un qui lève le doigt au fond ? « Oui maîtresse, vous l’êtes ! », Merci).

Mon père, qui reprenait peu à peu ses esprits et dont l’implacable logique tentait de surnager dans cette tempête d’informations, se risqua à une supposition :

Si je comprends bien vous avez retrouvé le véhicule, identifié l’individu, compris son mode opératoire… il ne reste donc plus qu’à l’appréhender ?

Je zoomais sur l’inspectrice, papa avait parfaitement résumé l’épisode, il ne restait qu’à apporter la conclusion et à envoyer le générique de fin.

C’est que… j’ai bien peur qu’on ne puisse pas conclure cette affaire aussi rapidement que vous l’espériez (Ok, on rembobine le générique). Après avoir obtenu le nom et l’adresse de l’individu, nous sommes allés aussi vite que possible à son domicile pour l’interpeller, mais hélas à notre arrivée, il avait déjà filé.

Faut dire qu’on a eu un petit problème mécanique, a cru bon d’ajouter Adolphe, qui devait en avoir assez de lire son catalogue en version Manga (à l’envers quoi), on a dû finir en trottinette électrique !

Ce dernier détail s’est visiblement faufilé depuis le conduit auditif de mon inspectrice, jusque dans sa gorge où il est resté coincé. Après un discret raclement de l’œsophage (voir planche d’anatomie en annexe), elle a précisé :

Hum, oui, nos véhicules d’interventions sont un peu … vétustes, tout comme nos locaux.

Mon père et moi avons hoché la tête, en signe de communion.

Mais, a continué l’inspectrice comme pour s’excuser, nous avons pu établir un portrait-robot du voleur, et elle a sorti une feuille de son dossier qu’elle a posée devant nous.

De ma voix la plus neutre possible j’ai fait remarquer :

Ça ressemble à un smiley à capuche non ?

L’inspectrice a baissé la tête vers le dessin, puis l’a repris précipitamment.

Euh, oui, désolé, le propriétaire du « Pixel Plus » a tenu à nous montrer ces incomparables talent de dessinateur, voici celui réalisé par nos soins.

Une plume glacée a glissé le long de mon épine dorsale. J’avais en face de moi le regard à la fois déterminé et inquiet de l’homme en noir, entre-aperçu lors de notre fuite. Le reste du portrait (veuillez prendre une feuille de papier et un crayon) montrait un visage long, émacié et anguleux, encadré de cheveux noir et barré à l’horizontale d’une bouche aux lèvres bien dessinées, et à la verticale d’un nez fin et allongé (voilà, vous devez avoir le même portrait sous les yeux, sinon, envisagez de prendre des cours de dessin !).

Le plus étrange, n’était cependant pas le visage, mais les inscriptions au bas de la feuille qui …

Mais qu’est-ce qui est inscrit au bas de la page ? a demandé mon père (qui avait visiblement décidé de casser tous mes effets !).

L’inspectrice s’est penchée comme pour nous confier un secret :

C’est son nom, et surtout, et ça je suis sûre que ça va t’intéresser Lola, avec ton imagination débordante (comment elle sait ? Elle lit mes chroniques ou quoi ?), sa ville d’origine : Sibiu, en Roumanie et plus précisément … (Bon finalement ça ne serait pas elle, la maîtresse du suspens ?) en Transylvanie.

BANG !! Une chauve-souris venait de passer le mur du son à travers mon crâne ! Des images oubliées ont jailli de ma mémoire onirique, et un mot s’est imprimé à l’envers sur ma rétine en même temps qu’une lampe à incandescence (penser à la remplacer par une lampe à LED) s’est allumée derrière mes yeux pour projeter en géant sur le mur du bureau :

ERIPMAV !

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