Chapitre 11 – La boite

Ce jour-là, lorsque je suis rentrée du collège, mes parents avaient l’air vraiment excité ! (STOOOOP ! J’en entends déjà qui se plaignent « Remboursé, c’est un scandale ! Elle nous fait du copié collé du premier chapitre, et elle n’a même pas pris la peine de changer le titre ! ». J’avoue, j’ai fait du copier-coller, mais attendez la suite avant d’appeler un avocat !)

Ce jour-là, donc, le mercredi suivant (voilà, vous voyez, c’est différent, vous pouvez raccrocher votre téléphone), mes parents avaient l’air tout excité.

Viens par ici Lola ! a dit ma mère en me voyant passer le pas de la porte.

J’ai eu l’impression que l’histoire était en train de radoter :

Maman ? Vous me faites un copier-coller de la semaine dernière ? Je vais appeler mon avocat temporel si ça recommence !

Mon père a haussé les sourcils :

Mais non, oubli GOGOL, on a quelqu’un à te présenter.

Je les ai suivis vers le salon, un peu inquiète, quelqu’un, mais qui ? Mais quoi ? Une psychologue ? ils voulaient me redresser le cerveau ! Une assistante sociale ? Ils voulaient me confier à une famille d’accueil ! Un précepteur ? Ils voulaient m’enfermer à la maison jusqu’au BAC !

Je te présente mademoiselle euh…

Sveta, a dit la demoiselle.

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en la voyant. Il se dégageait d’elle une chaleur et une douceur que je croyais jusque-là réservées à ma mère.

Elle était jeune, elle avait de longs cheveux noirs comme une nuit sans soleil (je rappelle à nos lecteurs non-astrophysiciens, que c’est le soleil qui fait briller la Lune comme une ampoule) ; des iris vert foncé dans lesquels on pouvait se perdre, comme dans une épaisse forêt ; sa peau était si blanche, presque argentée, et ses dents parfaites, comme autant de diamants dans lesquelles le pourpre de ses lèvres semblait se refléter. J’étais envoûtée, était-ce une magicienne, était-ce une fée ?

C’est ta nouvelle nounou !

Mon père venait de briser le charme.

***

Ils m’ont expliqué que, par hasard, il avait vu une petite annonce à la boulangerie et qu’ils avaient pensé que, finalement, c’était une bonne idée non ?

Moi ce que j’en pensais, c’est qu’on ferait mieux d’arrêter de manger du pain, ça éviterait ce genre de « bonne » idée !

Je sentais mon sang bouillir dans mes veines, comme si j’étais rester trop longtemps dans l’espace sans combinaison (vous pouvez demander à vos amis astronautes, pour de plus ample précision !), mais avant que ma langue n’entre en éruption, Sveta a parlé :

Je suis sûre que l’on va bien s’entendre, Lola.

J’étais à nouveau sous le charme. Elle avait prononcé cette phrase avec un léger accent dont j’ignorais la provenance. Sa voix était si délicate et son sourire si lumineux. Je me suis entendu répondre :

J’en suis sûre moi aussi.

Mes parents m’ont regardé surpris.

Euh… dans ce cas, a dit mon père qui semblait ne pas avoir prévu ce cas, et bien tout est parfait, vous commencerez dès le week-end prochain.

***

Après ça, j’ai proposé de raccompagner Sveta (quel prénom délicieux).

Nous sommes entrées toutes les deux dans le vieil ascenseur. Les portes se sont refermées en grinçant et la cabine a débuté sa lente descente.

Brrr, on se croirait dans un cercueil pas vrai ?

J’en ai connu de plus confortable, m’a répondu Sveta avec un grand sourire.

Je la regardais longuement. C’est vrai qu’elle n’aurait pas dépareillée dans un cimetière, entourée de loup garou hurlants au clair de Lune.

L’ascenseur est arrivé au rez-de-chaussée, et les portes se sont ouvertes, interrompant ma rêverie. Sveta est sortie la première et s’est dirigée vers la porte d’entrée. Avant de poser sa main délicate sur la poignée, elle a marqué un arrêt, comme surprise par une sensation inattendu. J’ai vu ses narines palpiter légèrement, puis elle s’est tournée, et m’a souri à nouveau. Elle a alors entrouvert la porte ; les rayons du soleil couchant sont venus nimber ses cheveux de jais ; elle a cligné des yeux, j’ai cligné des yeux. En deux clignements d’œil à peine, elle avait mis des lunettes de soleil ! Elle a tourné la tête, j’ai vu mes reflets, tout entier contenus dans son regard de verre ; elle s’est penchée vers moi, j’ai eu l’impression de tomber dans deux puits sans fond.

Alors, à samedi, Lola.

Et elle a déposé sur ma joue un baiser frais comme la rosé.

J’ai légèrement secoué la tête, comme si je me réveillais d’un songe d’une nuit de printemps :

Euh… oui, à samedi, Sveta.

Elle s’est éloignée, avançant sur le trottoir comme une reine ; il m’a semblé que les passants s’écarter sur son passage.

***

J’ai pris les escaliers pour remonter. Ce n’est pas que, mais prendre l’ascenseur toute seule, ça me fout un peu les chocottes. L’engin n’a quand même pas loin de 2000 ans et les câbles doivent être rongés par les mites (ok, les mites ça préfèrent le bois, mais on ne sait jamais, des fois qu’il y en ai une qui veuille changer de régime).

Pendant que je gravissais les étages à la seule force de mes petits mollets, je repensais à tout ce qui m’était arrivé en quelques jours, et finalement, je trouvais que tout ça ne finissait pas trop mal non ? Plus de GOGOL pour me surveiller (je suis sûr qu’ils auraient plein de chose à se dire avec ADA) ; l’homme en noir sûrement bientôt arrêté par ma policière préférée ; le mystère de Jérémie et Lou résolu ; une super nouvelle nounou ! Bref, au moment de rentrer chez moi, je me suis dit que la vie était belle !

Mon père était dans la cuisine, en train de « jouer » avec son nouveau gadget : un super robot mixeur avec 4 ports USB, le WIFI, le Bluetooth … (je vous épargne le reste pour ne pas faire ma vendeuse de téléachat). Tout en traversant le couloir, je l’entendais s’exciter contre se « Suppositoire de l’enfer, ce n’est pas toi qui vas faire la loi ici ! ».

Apparemment, ma mère avait préféré battre en retraite dans le petit bureau, je l’entendais tapoter sur le clavier de l’ordinateur.

Arrivait au bout du couloir qui mène au salon, j’ai entendu le parquet craquer, comme s’il y avait des chips sous le tapis. C’était à peu près à l’endroit où le pied du policier avait disparu. J’ai soulevé le tapis et j’ai tâté à tâtons (je me suis permis car j’ai trouvé la phrase jolie). Une des lattes a bougé légèrement, juste au-dessus de celle que le mystérieux homme en noir avait délogée. J’ai appuyé sur un des bords, et le bord opposé s’est soulevé, assez pour que je puisse y glisser le doigts, mais pas assez pour que je ne me le coince pas !

Aie, c’est pas cette satanée latte de l’enfer qui va faire sa loi ici !

Ma mère m’a questionné depuis son antre :

Qu’est-ce qu’il y a Lola ? J’ai cru t’entendre jurer comme ton père ?

Non, non, tout va bien maman, je… je me suis juste cognée contre un meuble.

J’avais besoin d’un outil moins « sensible » que mes doigts pour venir à bout de « cette satanée latte de l’enfer ».

J’ai rebroussé chemin jusqu’à la cuisine.

Quand j’ai franchi la porte, j’ai eu l’impression de rentrer sur un champ de bataille. Il y avait des coquilles d’œuf sur la table, de la farine sur le sol, des bouts de beurre sur le mur ! Mon père se tenait fièrement devant son robot mixeur. Il avait une cuillère en bois dans une main, qu’il brandissait comme une épée, et un fouet (le truc pour battre les œufs) dans l’autre, qu’il brandissait comme un… fouet (le truc pour dompter les lions). Le robot mixeur vrombissait sur le plan de travail. Il s’est tourné vers moi avec le regard fier du gladiateur qui vient d’achever un fauve :

Ne craint rien Lola, l’homme sera toujours plus fort que la machine, j’en fais le serment. Et il a levé bien haut sa cuillère.

Je fronçais les sourcils.

Ça, je sais pas si c’est une bonne nouvelle ! Avant qu’il n’ait eu le temps de réagir j’ai enchaîné, est-ce que je peux te l’emprunter ?

Hein ? Quoi ?

La cuillère papa, maintenant que tu as vaincu, je peux te l’emprunter ?

Sans même s’étonner de mon besoin subit de cuillère en bois, il me l’a tendu et a déclaré avec emphase :

Prend mon sceptre, et fait en bon usage !

J’ai saisi le scept… euh, la cuillère et je me suis retournée pour sortir de la cuisine, lorsque soudain, une voix familière a retenti :

Et elle s’appelle « Revient », et ne l’appelle pas Robert, elle risquerait de mal le prendre !

Je me suis re-retournée, je commençais à avoir le tournis, j’ai regardé le robot mixeur les yeux gros comme des montgolfières :

C’est… lui … qui a parlé !

Mon père avait un grand sourire aux lèvres, et le stylo espion dans la main.

Un petit souvenir de GOGOL !

Ok, je crois qu’on était quitte maintenant.

***

Cette fois-ci, à l’aide de la cuillère, j’avais pu faire levier pour extraire la latte. Je la posais délicatement à côté.

Il y avait maintenant un trou béant, rectangulaire, de quelques centimètres de profondeur. A part de la poussière et une mite desséchée, il n’y avait rien de plus.

J’allais tout remettre en place, ni vu ni connu, quand j’ai aperçu une araignée sortir d’un des côtés du trou. Je me suis penchée, et j’ai vu un espace entre les deux bouts de bois qui constituaient les deux bords adjacent (voir dessin ci-dessous, si j’ai le temps de le faire, sinon je vous laisse imaginer).

J’ai glissé le manche de ma cuillère dans l’interstice et j’ai appuyé délicatement. Un des bouts de bois a basculé (c’est vraiment très utile une cuillère en bois, je vous conseille d’en avoir toujours une avec vous). Derrière, il y avait quelque chose ! J’ai glissé ma main ; mes doigts ont touché un objet ; je l’ai saisi entre mon pouce et mon index et j’ai tiré, et je me suis retrouvé avec dans la main… (oui ? quoi ? ça va durer encore longtemps !) une boîte ! (Ah d’accord, du coup c’est pour ça que le titre… ben ouai !)

***

Elle était en bois, rectangulaire, un peu plus grande qu’une boîte d’allumette, mais beaucoup plus petite qu’une boîte à chaussure (taille 22 ½). Je l’observais et j’avais l’impression un peu folle qu’elle m’observait aussi !

Elle était finement ouvragée. Constituée de plusieurs essences (c’est comme ça que l’on parle chez les arbres), allant du rouge foncé d’acajou, au noir d’ébène. Des sortes de ronces emmêlées de lierres décoraient les bords et sur le dessus, un symbole inconnu qui ressemblait vaguement à un œil était gravé. Je ne sais pas pourquoi, mais un frisson m’a parcouru l’échine, du sommet du crâne jusqu’à… la Chine ou pas loin.

Je la retournais dans tous les sens. Aucune trace de couvercle, ou de système d’ouverture ! Mon père a alors appelé depuis la cuisine :

Je crois que ça va bientôt être prêt !

Ma mère lui a répondu depuis le bureau :

Ok, j’ai bientôt fini !

J’ai remis rapido la latte, tapé un grand coup pour qu’elle reprenne sa position d’origine et replacé le tapis.

Lola, tu veux bien venir dresser la table, a demandé mon père depuis sa gargote (des fois, il se prend pour un chef cuisinier).

J’empochais rapidement la boîte :

J’arrive P’pa !

***

Après le repas, comme tous les soirs, ma mère est venue dans ma chambre pour la cérémonie du coucher. Ça consiste grosso modo à un débat d’idée sur un sujet libre (on est des intellos dans la famille !), suivi d’un échange de chaleur corporelle (un gros câlin quoi, y’a pas que le cerveau dans la vie !).

Ce soir-là, la seule chose qui me tarabustait les synapses, c’était la boîte, et comment elle était arrivée là. Mais je ne voulais pas en parler à mes parents, en tous cas pas avant d’avoir résolu le mystère, alors j’ai essayé d’orienter la conversation pour obtenir des informations, sans éveiller les soupçons.

Pour ça j’ai une technique (c’est le moment de sortir vos stylos et de prendre notes) : je pose tout un tas de questions sans rapports les unes avec les autres, et une fois que m’a mère s’est faite à l’idée que tout ça n’a aucun sens, et que si elle veut abréger, il vaut mieux qu’elle réponde, j’envoie la seule question qui m’intéresse :

Attends, encore un truc : est-ce que tu sais qui habitait ici avant nous ?

Lola, tu as vraiment besoin de savoir ça avant de dormir ?

Oui, sinon ça va tourner dans ma tête et… (Attention : argument massu) je risque de venir vous réveiller en plein milieu de la nuit !

Et là j’ai fait mon regard de chaton (deuxième technique déjà évoquée plus haut).

Soupir de ma génitrice :

De ce que je sais, c’était une vieille femme. Elle est morte avant qu’on emménage. Comme elle n’avait pas de famille, l’appartement a été mis en vente. C’était un peu avant ta naissance.

Et tu ne sais pas comment elle s’appelait par hasard ?

Mais Lola, qu’est-ce que ça peut faire ?

C’est juste que… (Attention : invention ) j’aimerais faire l’arbre généalogique de l’appartement, c’est ma prof d’histoire qui a lancé l’idée.

Ah ? C’est plutôt original. Mais je n’en sais vraiment rien. Et je suis sûre que nos voisins non plus si c’est ta prochaine question (oui c’était ma prochaine question, elle est trop forte ma mère), ils sont arrivés après nous.

Bon tant pis alors, bonne nuit m’man !

Elle a paru surprise que j’abandonne si vite, mais le soulagement l’a emporté sur la suspicion :

Euh, et bien, bonne nuit ma Lola, fait de beau rêve.

Aux âmes sensibles, j’épargne les câlins qui ont suivis.

***

Tout était silencieux dans la maison, tout sauf mon cœur que j’entendais battre plus fort que d’habitude.

Impossible de m’endormir, j’étais trop excitée par la découverte de la boîte. Je repensais à ce que m’avait dit ma mère à propos de la vielle femme, et j’étais sûre qu’une personne encore plus vielle (dans les 125 ans et 6 mois d’après mes estimations) pourrait m’en apprendre plus à son sujet. Cette boîte avait forcément un lien avec l’occupante qui nous avait précédée.

Je me grattais machinalement le sourcil gauche, trop de questions et pas assez de réponses m’empêchaient de sombrer dans les bras de Morphée. Alors je me suis levée, et je suis allée récupérer la boîte, cachée au milieu d’un troupeau de chaussettes qui sommeillait paisiblement dans mon armoire.

J’ai ouvert ma fenêtre qui donne sur la rue. En bas, tout était calme. En haut, quelques nuages naviguaient sur le ciel étoilé, poussés par la légère brise tiède que je sentais sur mon visage. Une pâle lueur éclairait le rebord de la fenêtre, celle de la lune estompée par une nonchalante masse cotonneuse.

Je regardais la boîte dans ma main, distinguant à peine ses étranges motifs, quand soudain, la lumière est devenue plus éclatante. Je levais la tête, la lune avait retiré son masque et brillait de toute sa rotondité.

J’ai alors ressenti une légère vibration dans la main, suivie d’un clic à peine perceptible, j’ai lentement baissé les yeux et… ma température corporelle a subitement baissé de 36 degrés.

L’œil de la boîte s’était ouvert, et il me regardait !

***

Note de l’éditeur :
Chers lecteurs, vous venez de lire le dernier chapitre des « Chroniques de Lola », un journal trouvé dans un placard dans des circonstances qui seraient trop longues à expliquer ici. La note reproduite ci-dessus a été découverte peu après dans le même placard. Comment elle est apparue est également une autre histoire (n’insistez pas !). Sachez seulement qu’elle était à moitié déchirée et partiellement brûlée, rien de bien inquiétant donc. Soyez assurer que nous mettons tout en œuvre pour trouver dans les meilleurs délais, le prochain volume de ce journal ( surveillance 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 du fameux placard entre autre chose). Bien à vous.

Berlu Edition

Chapitre 10 – Lundi matin

J’ai dormi d’un sommeil sans rêve, et sans cauchemars. Le samedi matin, à mon réveil, tout le reste du monde était partis. (Oui, je sais, le titre c’est : « Lundi matin », mais un peu de patiente, dans deux jours on y arrive !)

Je suis allée à la cuisine rejoindre mes parents qui prenaient leur petit déjeuner. Ils m’ont accueillie avec un sourire bienveillant, surmonté d’une moustache de chocolat au lait pour mon père.

Ma mère s’est discrètement enquise de mon état psychologique :

Tu as bien dormi ? Tu es sûr que ça va ?

J’ai hoché la tête, deux fois. Mon père a pris mon poignet et a tâté mon poult :

Battement normal, pression sanguine optimale, je te déclare bonne pour le service.

J’ai fait un salut militaire.

Merci mon capitaine, mais… cette moustache est-elle bien réglementaire ?

Ma mère a souri de nouveau, pendant qu’il se « rasait » avec sa serviette.

Tu sais, a commencé mon père, alors qu’il se débarbouillait, je vais débrancher GOGOL et on va changer les serrures. C’est plus prudent pas vrai ?

Ma mère et moi, on a acquiescé, et puis j’ai commencé à boire mon bol de chocolat.

Mais, a poursuivi mon père, j’aimerais quand même bien savoir comment tu t’es retrouvée enfermer dehors ?

J’ai baissé les yeux, j’ai senti mes joues s’enflammer, qui avait mis du piment dans mon bol ?

***

Le lundi matin, (voilà on y est, ce n’était pas la peine d’en faire tout une histoire !), je suis allée au collège avec Mathilde. Pour une fois on est parti ensemble, après toutes nos aventures du vendredi soir, ça rassurait tout le monde.

Alors, t’as tout raconté à tes parents ?

Ouai, je me suis confessée, et j’ai imploré leurs pardons, à genoux.

Pas possible ?

Mais non ! Mais j’ai quand même tout dit, et j’ai fait la démo avec le stylo. Mon père était vraiment impressionné, et moi je me suis sentie mieux… comme en paix avec moi-même, avec le monde, avec l’univers, et avec le reste.

Et ben, et pas de punition à l’horizon ?

Non, ma mère a considéré qu’une nounou 2.0, c’était pas vraiment un très bon choix, et qu’elle comprenait mon désir de liberté, mais elle a quand même fait remarquer qu’enregistrer mon père a son insu, c’était pas très sympa.

Mathilde a ironisé :

A ouai, des mots très durs, et tu arrives à t’en remettre ?

Je l’ai gratifié de mon regard de duchesse :

Eh bien, très chère, sachez que cela m’a fait réfléchir, sur nos actes inconséquents et sur leurs conséquences.

Que tout ceci est bien dit. m’a répondu Mathilde dans une révérence.

Bref, mes parents se sont montrés plutôt cool. Je pense qu’ils ont eu peur rétro… septivement… euh non, rétro… pepsivement… et mince… ils ont rétro-eu peur rien qu’à l’idée que j’aurais pu me retrouver nez à nez avec le voleur si j’étais restée bien sagement à la maison.

Ben, je crois que les miens ont rétro-balisé aussi, en tous cas moi j’ai carrément retro-flippé !

J’ai alors levé mon index et ajouté solennellement :

Désormais nous aurons un comportement exemplaire, et que notre sagesse nous guide sur le chemin de l’allégresse.

Et ça veut dire quoi au juste ?

Rien, c’était juste pour la rime !

On a continué notre chemin, et c’est seulement arrivé au portail de du lycée, que Mathilde a remarqué : que j’étais bossu !

***

Lola ? T’as quoi dans ton sac à dos ? Un parachute ?

C’est Sarah qui m’a posé la question quand on a débarqué dans la cour, mais c’est Mathilde qui a répondu :

Ça ? C’est l’innocente victime de notre folle soirée de Vendredi !

Hein, quoi ? est intervenu Amélie, qui était fort opportunément dans les parages, une victime… une soirée de folie… mais il faut tout nous raconter… tout de suite !

Je voyais bien qu’elles brûlaient d’impatience d’entendre la suite, et que Mathilde avait la langue qui brûlait de leur raconter ! Ça tombait bien, mon gros sac à dos et moi, on avait une affaire à régler, alors j’ai laissé Mathilde enflammer son auditoire et je me suis éclipsée comme un croissant de lune.

***

Au deuxième coup, une voix que je ne connaissais pas m’a répondu :

C’est ouvert !

Je suis entré dans la salle du club d’informatique. Il n’y avait qu’une seule personne assise devant un écran, et à sa corpulence, ce n’était pas Jérémie, encore moins Lou. De dos, j’aurais plutôt parié pour un joueur de Rugby, voir tout une équipe. Il s’est retourné. J’avais gagné mon pari ! De face, c’était bien une équipe (enfin presque) de joueur de Rugby ! Il m’a regardé, amusé.

Je sais, j’ai trop la tête d’un informaticien, ça doit venir des lunettes.

Effectivement, il avait de petites lunettes rondes, qui semblaient perdues sur sa grosse tête carrée ?

Je m’appelle Alex, et il s’est levé.

Le fauteuil a semblé soupirer de soulagement. Mais le plafond a dû avoir la peur de sa vie, j’ai cru qu’il allait le défoncer avec son crâne, heureusement il restait un peu de marge. Sans se départir de son sourire, il a continué :

Et toi, tu dois être Lola ! Tu peux faire oui avec la tête si tu as des difficultés pour parler !

Il se moquait gentiment de moi non ?

Euh… mais comment tu…

Je sais tout !

Il a ouvert ses bras, comme s’il allait repousser les murs (je suis sûr qu’il aurait pu s’il avait voulu), et il s’est mis à rire.

Bon ok, on se détend, c’est Jérémie et Lou qui m’ont parlé de toi.

Je le regardais intriguée, jamais je n’avais rencontré une personne aussi costaude, avec des petites lunettes d’intello en prime, enfin je sais bien qu’il ne faut pas avoir d’apriori, mais là, je trouvé cet Alex… paradoxale (Bim scrabble !).

Je… je suis venue apporter un truc à Jérémie, je… je vais le poser là, je montrais le bric à brac sur la table au milieu de la pièce, et puis je… je vais aller en cours.

Ok, fait… fait comme… comme ça !

Il se moquait encore gentiment de moi non ?

j’ai posé mon gros sac à dos par terre, et j’en ai sorti l’innocente victime de notre folle soirée.

***

Hé ! Mais on dirait bien que c’est le fameux GOGOL ! a dit Alex dont les yeux refléter l’intérêt et la malice.

C’est bien lui, finalement j’ai réussi à m’en débarrasser, mais pas vraiment de la manière que j’avais imaginé.

J’ai hâte de savoir toute l’histoire !

Eh bien, j’ai pas trop le temps, mais je repasserai lorsque Jérémie sera là pour tout lui raconter.

Je faisais déjà demi-tour quand une question m’a traversé l’esprit. J’essayais de l’ignorer, mais je sentais que c’était le genre à vous faire le « space montain » dans la tête toute la journée, alors je me suis lancée :

Au fait, toi qui as l’air de bien connaître Jérémie, est-ce que Lou est toujours collée à lui comme un chewing-gum a ses baskets ?

Sous-entendu, est-ce que Lou est sa petite amie ?

J’ai rougi comme si on avait subitement tourné une lampe à bronzer vers mon visage. Il s’est mis à rire, d’un rire éclatant, j’étais tellement surprise que j’ai failli rire moi aussi. Puis il m’a fait un très beau clin d’œil (pas comme les miens) :

Ils sont très très proche, si tu vois ce que je veux dire ?

Euh, proche comment ?

Question stupide, il venait de dire « très très », c’était évident non ?

Eh bien, je dirais, très proche dans l’espace et très proche dans le temps ! En fait, si proche, qu’ils habitent ensemble !

Quoi ! A onze ans, ils habitent déjà ensemble ?

Alex semblait se délecter :

A onze ans, et depuis onze ans !

Hein ?

Ben oui, Lou est la sœur de Jérémie, sa sœur ainée, de six minutes, sa sœur Jumelle en fait !

J’ai failli m’étrangler.

***

Tu veux un verre d’eau ? a proposé Alex un peu gêné de la réaction qu’il avait provoqué.

Non, merci ça va aller…

Ou que je te tape dans le dos ?

Là, il m’avait tendu la perche :

Non, ça risque d’aller encore plus mal !

Il a souri à ma remarque ironique. Même s’il s’était un peu moqué de moi, je le trouvai plutôt sympa. J’ai repris :

Ils sont vraiment jumeaux alors ? Pourtant ils ne se ressemblent pas ?

Vraiment, vraiment ! Il a réajusté ces lunettes, mais ce sont de faux jumeaux, d’où leurs différences.

Chacun son ovule, chacun son spermatozoïde !

Euh… oui… c’est ça !

Cette fois, c‘est moi qui l’avait gêné je crois, un partout ! Et la sonnerie a retenti. J’ai ramassé mon sac à dos, et je me suis dirigé vers la porte.

Heureux de te connaitre et à la prochaine, tu peux revenir quand tu veux !

Il avait l’air sincère, et enthousiaste à l’idée de me revoir.

Ok, finalement je crois que moi aussi, heureuse de te connaître !

Je suis partie en le laissant avec un sourire étonné sur le visage.

Chapitre 9 – Minuit l’heure d…

Jamais je n’ai été aussi contente de revoir mes parents. Pour les rejoindre, j’ai fait un triple saut qui m’aurait qualifié direct pour les JO. Les yeux de mon père rebondissaient dans leurs orbites, je sentais bien que mille et une questions étaient en train de frétiller comme des petits poissons dans son bocal à neurones. Ma mère, elle, était blanche comme un réfrigérateur et froide comme un congélateur, elle aurait eu bien besoin d’une double dose de thé, comme naguère (ce n’est pas son prénom je précise, juste un adverbe) le policier.

Je les serrais très très fort dans mes bras, ça valait toutes les tasses d’eau chaude parfumée de la voie lactée (et accessoirement, ça les empêchait de me poser les questions qui devaient leurs démanger la boite crânienne)

Je les ai ensuite pris délicatement par la main, et je les ai emmenés, lentement, silencieusement, pour ne pas trop nous secouer la pulpe, chez nous. Mathilde et les deux agents étaient maintenant postés de chaque côté de la porte ; ils nous ont laissé passer, puis, sans faire de bruit, notre procession est entrée dans l’appartement.

Et puis, le silence et la douceur ont fait place au bruit et à la fureur ! Tout le monde s’est mis à parler en même temps. Mon père et ma mère ont assailli les deux agents de questions ; j’avais l’impression que plusieurs bouches avaient poussées sur leurs visages. Les deux policiers ne semblaient plus savoir où donner de l’oreille.

Un flot ininterrompu de mot à lentement remplis tout l’espace, je ne captai que quelques bribes de conversation :

Homme en noir… tasse de thé … jambon … for the Queen … cumulus …

Tout se mélangeait et, du brouillard de mon esprit embué par les émotions de la soirée, il m’a semblé voir émerger la reine d’Angleterre, en survêt à capuche, à cheval sur Doddy, courant après une saucisse géante !

***

Mathilde s’est approchée, une lueur d’inquiétude dans le regard :

Est-ce que tu penses à la même chose que moi ?

Quoi ? A la grosse saucisse qui prend la fuite ?

Hein ? Non ! Plutôt à la grosse punition qui risque de nous tomber dessus !

Ben, c’est sûr que sur ce coup-là, on a peut-être manqué de ce jus dons nos parents aimeraient nous remplir le cerveau.

De quel jus tu veux parler ?

De jugeotes !

Ça l’a pas vraiment fait rigoler (quelqu’un peut rajouter un jingle flop ?), et devant sa mine déconfite, l’anxiété a fini par me gagner.

Le temps s’est écoulé dans le caniveau de l’histoire, et lorsque la fontaine à parole a fini par se tarir, l’espoir a brillé de nouveau dans nos cœurs (Si ma prof de français lit ce texte, j’espère au moins avoir un A+).

La policière avait raconté les faits, sans mentionner mon évasion calamiteuse et notre tentative d’intrusion manquée qui avait suivie. Au contraire, elle avait insisté sur notre courage, sur la manière dont nous avions mis en fuite le mystérieux homme en noir, et sur tous les indices qu’elle avait pu recueillir grâce à nous. Le petit agent a conclu le rapport par un :

Et ne vous inquiétez pas m’sieur dame, même si on l’arrête pas, un voleur c’est un peu comme la foudre, ça ne frappe jamais deux fois au même endroit…

Ça n’a pas semblé rassurer mes parents, surtout quand il a ajouté :

Et en plus, c’est un sacré système de sécurité que vous avez là avec votre OK GOGOL.

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans la tête métallique de GOGOL, mais il a alors cru judicieux de faire son rapport

Attention, six personnes détectées, trois inconnues. Dois-je appeler la police ?

Mon père lui a lancé un regard aussi acéré que la lame d’une guillotine. Je crois bien que son destin a été tranché à ce moment précis.

Ma mère s’est approchée de moi et m’a délicatement passé la main sur le visage.

Lola… tu es tellement blanche !

En réponse, mon estomac a émis un terrible gargouillis. Ma mère qui connaît bien mon langage du ventre a compris de suite :

Tu n’as rien mangé !

Euh, c’est que… non… tu sais avec tous ces événements…

Elle m’a caressé la joue du bout des doigts.

Je vais te préparer un petit quelque chose, et elle a lentement éloigné sa main.

Du coin de l’œil il m’a semblé voir cinq petites saucisses apéritives !

***

Cinq minutes plus tard, elle est revenue avec son « petit quelque chose » : un gros plateau rempli d’amuse bouches/becs/gueules/gosiers, bref, de quoi nourrir tout un zoo de bêtes affamées.

Le petit agent rondouillard ne s’est pas fait prier pour mettre la main au plateau, moi non plus ; au concours du plus gros mangeur, j’allais lui donner du fil dentaire à retordre ! Mais après avoir englouti sept toasts et huit mini saucisses (ou étaient-ce des doigts ?), je déclarai forfait.

Mathilde et moi, on s’est un peu éloigné de mes parents et des agents qui discutaient des formalités à entreprendre dès le lendemain. On était dans le couloir, près de la porte d’entrée toujours entrebâillé, quand l’ascenseur s’est remis en marche. Mathilde m’a regardé avec des points d’interrogation dans les yeux. J’ai répondu à sa question oculaire :

Aucun risque que ce soit l’homme en noir, un voleur …

Ouai, c’est comme la foudre… bla bla bla…, mais alors c’est qui ? Parce que ça continue de monter !

Et là, le film de ma descente d’escalier, juste après avoir compris que j’étais enfermée dehors, est repassé dans ma tête en mode « replay » accéléré (relire le chapitre 5 pour les amnésiques ou les poissons rouges) :

L’appel de mes parents à GOGOL… ma mère qui fait un saut… mon père qui la rattrape… la police qui débarque et…

Le président de la république, c’est le président de la république !

J’ai vu des points d’exclamations sortir des pupilles de Mathilde, ça doit faire mal non ?

Dix secondes après, la Marseillaise a retenti et les motos de la garde républicaine sont sorties de la cabine d’ascenseur et… euh non, c’est mon cerveau qui débloquait encore, c’était juste les parents de Mathilde, suivi de Mamy et de Doddy qui ont débarqués sur le palier.

***

Cette fin de soirée commençait de plus en plus à ressembler à une fête des voisins ! On était maintenant dix, en comptant les animaux et les concombres 2.0… Les parents de Mathilde avaient été mis au courant des événements par Mamy, mais ils avaient préféré monter pour être sûre qu’elle n’ait pas rêvé tout ça en s’endormant devant Mission impossible. La conversation a repris de plus belle. Mon père a ramené des provisions solides et liquides pour nourrir ces nouvelles bouches.

L’agent a remis son titre de plus gros mangeur en jeux, avec Doddy comme adversaire, cette fois-ci, il a perdu !

Souler de bruit et de fatigue, Mathilde et moi nous sommes effondrées sur le canapé, épaule contre épaule, tête contre tête, nos paupières ont clignoté comme les ailes d’un papillon de nuit et, avant qu’elles ne se closent, j’ai eu le temps de voir l’heure affichée sur l’horloge du salon, il était :

Minuit… l’heure du crime !

Non, l’heure de dormir, a baillé Mathilde.

C’est elle qui avait raison.

Chapitre 8 – La femme en bleu

Mamy était en train de tourner sa petite cuillère dans sa tasse, tout en devisant sur les vertus du thé

Cailm eye séwénitey, tayl sonte leye veuwtou dou tii ! Bouyvez meyes enfantes. (Calme et sérénité, telles sont les vertus du thé ! Buvez mes enfants.)

Je portais la tasse à mes lèvres, et manquais de peu de me brûler au 99éme degrés. « Calme et sérénité », mouai, tu parles ! Mathilde, elle, semblait avoir retrouvé toute sa quiétude. Peut-être fallait-il avoir un peu de sang anglais pour profiter des bienfaits de cette eau chaude parfumée ?

Dje croye qu’il fauye aippelyé la powlayse, (Je crois qu’il faut appeler la police), a fini par dire Mamy après avoir avalé sa dernière gorgée.

Mathilde a lu le grand désarroi qui s’était imprimé sur mon visage :

Je crois qu’elle a raison, non ?

J’acquiesçais bien malgré moi, même si l’idée de voir arriver la police, alors même que mes parents n’allaient pas tarder à débarquer complètement affolés, n’était pas pour me rassurer.

Je reprendrais bien une tasse de thé finalement !

***

Ce qui a suivi tient du miracle. Mamy seulement munie d’un antique téléphone à touches, probablement évadé d’un musée, a réussi non seulement à contacter la police, mais surtout à leur expliquer les détails de l’infraction qui avait été commise.

ilse sewonte laye dante ouite mayeneutse ! (Ils seront là dans huit minutes !) a t ’elle annoncé fièrement en raccrochant le téléphone médiéval.

Je me suis penchée vers l’oreille de Mathilde :

Tu crois qu’elle a appelé la police française ou Scotland yard ?

Elle m’a gratifié d’un sourire et d’un clin d’œil :

Si on voit arriver des Bobby’s, on saura !

7 Minutes et 35 secondes plus tard, nous savions.

***

Bonsoir Madame, Police Française !

La jeune femme, grande et élancée, se tenait sur le palier, l’index tapotant sur son insigne accroché à sa chemise bleu marine.

Soir M’dame !

L’homme, petit et rondouillard était un pas derrière elle, sa tête et ses yeux balayaient l’étage, comme s’ils étaient à la recherche du moindre grain de poussières.

Mamy a pivoté comme une porte sur ses gonds, il m’a semblé l’entendre grincer, et les a invités à rentrer.

Vous pwendwait bien oun taisse dou tii ? (Vous prendrez bien une tasse de Thé ?)

Elle a traversé le couloir qui menait au salon, enjambant Doddy qui était revenu s’y allonger, en plein milieu, surement épuisé par son acte héroïque.

Les deux policiers ont enjambé à leur tour l’animal affalé sans plus de commentaires.

Après nous être extirpés de nos poufs, non sans mal, on attendait comme deux petites filles sages, debout près du fauteuil. Mamy a montré les sièges aux agents, qui se sont regardés un peu étonnés. La femme a haussé les épaules et a fini par s’asseoir, suivi dans la même seconde par son compère. Nous les avons vu disparaître peu à peu, comme dans des sables mouvants.

Une fois stabilisé et une tasse de thé dans la main, la policière a considéré qu’il était temps de passer aux choses sérieuses :

Bien ! Pourriez-vous nous décrire précisément ce qu’il s’est passé ?

Mamy s’est tournée vers nous :

Allaye zy meyes enfantes, eyxplayquaye ai laye djolay deillmoyzell ! (Allez mes enfants, expliquez à la jolie demoiselle !)

La jolie demoiselle en question a rosi quelque peu :

Euh, oui, je pense qu’il est préférable que des personnes moins… enfin plus… francophones, relatent les faits.

Elle a plongé sa main dans les entrailles du pouf, et en est ressortit avec un calepin. Puis, profitant de la seule main libre de son collègue, elle s’est débarrassée de sa tasse. Je venais de comprendre pourquoi ils étaient venus à deux.

***

Il était 22h30, pas sur l’horloge de Mamy qui indiquait toujours 20h (il faut que je pense à lui offrir des piles pour son 126émé anniversaire), mais j’avais regardé discrètement sur la montre de la policière. Nous avions raconté toute notre aventure aux deux agents. La femme avait pris des notes, tout en nous lançant des regards tour à tour, bienveillants, interrogateurs, étonnés, sévères… bref, toute une palette variée de mouvements d’œil et de sourcil. Est-ce qu’on avait des cours d’expression oculaire à l’école de police ?

Donc si je résume, a-t-elle commencé en me ciblant du regard, un mystérieux homme en noir serait sorti de chez toi, alors même que tu essayais d’y entrer, à l’aide d’un stylo !

Ça faisait beaucoup de conditionnel et de sous-entendues dans une seule phrase non ?

Et tout ça, sans qu’aucuns voisins ne vous entendent ?

C’est que… les appartements sont très bien insonorisés, a répondu Mathilde, fébrile comme si elle venait de lancer une bouée crevée à une personne qui est en train de se noyer.

Très, très bien insonorisés apparemment, a poursuivi l’inspectrice. Et la « chose » étalée dans le couloir aurait mis ce mystérieux homme en noir en fuite après que tu lui aies crié : JAMBON !

Son collègue a gloussé doucement. J’avoue que résumé de la sorte, tout ça ressemblait à une histoire sortie de l’esprit tordu d’un auteur de roman pour pré-ados !

Mmmm ? Tu m’as dit que la « chose » étalée dans le couloir avait arraché un bout de l’homme en noir…

Je lui ai lancé un regard courroucé (moi aussi j’ai pris des cours d’expression oculaire) :

La « chose » c’est Doddy, et un bout de son survêtement seulement… en bas de l’escalier, près de la porte d’entrée.

Bien, dans ce cas, allons-nous dégourdir les jambes !

Son acolyte a acquiescé, et après nous être mises en quatre pour le sortir, à trois, du pouf, nous avons pris la direction du rez-de-chaussée sous le regard interrogateur de Mamy, et le regard complètement assoupi de Doddy.

***

Le petit agent rondouillard avait fouillé tous les recoins du couloir sans résultat.

Pas la moindre trace du plus petit atome de tissu inspecteur, il avait l’air un brin agacé.

Je commençais à me sentir mal à l’aise, Mathilde ne semblait pas plus rassurée. Avait-on été victime d’une hallucination collective… toutes les trois ? Non ! On n’avait pas rêvé, et j’en avais la preuve :

Le sang ! Du sang de l’homme en noir est tombé près de la porte, je l’ai vu ! Juste là, sous la poignée.

L’inspectrice a fait un geste à l’agent, qui a soupiré avant de se mettre à quatre pattes.

Nous étions suspendus à sa reptation, inspirant à chacun de ses arrêts, expirant lorsqu’il reprenait sa déambulation au ras du sol. Puis soudain, nous avons cessé de respirer. A la faveur d’un mouvement de jambe, son blouson venait de remonter sur sa taille enrobée, nous dévoilant le haut de son pantalon ; au mouvement suivant, et sûrement par esprit de contradiction, son pantalon à emprunter le chemin contraire, nous dévoilant le haut de son slip, et avant même qu’un cri ne franchisse nos lèvres, son slip, à l’élastique passablement usé par la vie, a fini par nous dévoiler… sa raie des fesses. L’inspectrice, surprise par cette apparition anatomique, s’est alors opportunément extasiée sur la fresque du plafond :

Vraiment très beau ce… cumulus !

A notre tour, nous avons gloussé doucement.

***

Rien ! Pas la moindre trace du plus petit atome de sang non plus ! Je me suis mise à mon tour à quatre pattes, le nez collé au sol pour tenter de dénicher cette satanée goutte.

Elle est là, c’est obligé… elle est là !

Au bout de quelques secondes, je me relevais. Peut-être était-ce sous l’effet de la poussière, je ne sais pas trop, en tout cas, j’avais les larmes aux yeux !

Tout bon chevalier vous le dira, sur un champ de bataille, rien de mieux qu’un chaton aux yeux humides pour briser les plus solides armures ! L’inspectrice a semblé troublée :

Ecoute mon chaton… euh… Lola, nous allons sûrement trouver une explication… à tout ça !

Elle m’avait appelé par mon prénom (Lola, pas chaton !), tout n’était pas perdu ! Elle a fait demi-tour, et notre petite troupe est remontée au premier étage. Mamy attendait sur le pas de la porte. L’inspectrice s’est avancée vers elle visiblement gênée et a pointé son index vers Doddy, qui maintenant ronflait bruyamment en travers du couloir :

Madame, est-ce que vraiment un homme en noir a été mise en fuite par ce… chien ?

Mamy a soulevé un seul sourcil, je l’ai trouvé encore très souple pour son âge ! Mathilde a semblé comprendre son message, car elle s’est approchée pour lui traduire la question.

Mamy a soulevé deux sourcils ! Cette fois ci j’avais compris le message moi aussi : elle était furax ! Ce qui, en tant que sujette de sa gracieuse Majesté, s’est traduit par un poli mais très froid :

What ?! You say we are lying ?! (Quoi ?! Vous dites que nous mentons ?!)

Apparemment, le petit agent n’avait pas fait Anglais seconde langue, car il a interrogé :

Qu’est-ce qu’elle a dit ?

Je traduisais :

Je crois qu’elle demande si vous l’avez traitée de menteuse ?

Euh, moi ? Mais je n’ai rien dit !

Je rajoutais gentiment une petite goutte d’huile (d’olive première pression à froid) sur le feu :

N’empêche, je crois qu’elle est très énervée !

Mais je…, il prit la jeune femme à témoin, inspecteur… c’est vous qui…

Il n’a pas eu le temps de poursuivre car Mamy s’est tournée, et a hurlé tel un général sur un champ de bataille :

Doddy ! For the queen !! (Doddy ! Pour la reine !!)

Et Doddy est passé de l’état « princesse endormie qui bave et qui ronfle » à l’état « princesse qu’on vient de réveiller avec un seau d’eau glacée », et il a bondi tel un fauve, vers le petit agent.

Le temps a semblé s’arrêter. J’ai eu le temps de compter toutes les dents de Doddy : 42, et toutes celle de l’agent dont la bouche était ouverte dans un crie d’effroi : 28, dont une cariée qui nécessiterait un passage chez le dentiste. Puis un nouveau hurlement de Mamy a retenti, et le temps a repris son cours, en même temps que Doddy a repris sa sieste.

***

Nous étions tous effarés, sauf Mamy bien sûr, dont l’expression traduisait une certaine satisfaction, et Doddy, dont les ronflements, entrecoupés de pets discrets traduisaient une certaine décontraction. L’agent lui, était blanc comme une machine à laver et froid comme un congélateur !

Ile aye dwessé pouw awtawqué a mone siguenal ! (Il est dressé pour attaquer à mon signal !)

Ça y est ! Je venais de comprendre, Doddy avait lui aussi une « phrase d’activation », un peu comme GOGOL, et ce n’était pas « JAMBON ».

Impressionnant, vraiment très impressionnant !

Hé ! L’inspectrice venait d’utiliser la même phrase que ma mère ! Finalement, je commençais à bien l’aimer. Elle s’est alors penchée vers Doddy, et a tendu la main comme si elle voulait lui tirer la queue ? Puis elle s’est relevée, pas avec une touffe de poil, mais avec un morceau de survêtement. Doddy dormait dessus, depuis le début !

Ensuite, il fallut une nouvelle tasse de thé pour que le policier retrouve sa bonne couleur, et sa bonne température.

***

Il était 23h à la montre de l’enquêtrice ! J’étais un peu inquiète, et un peu vexée aussi que mes parents ne soient pas encore là. Est-ce que finalement ils n’avaient pas interrogé GOGOL, considérant que j’étais en sécurité et que rien ne pouvait m’arriver ? Eh bien voilà le résultat ! Tranquille dans leur vie les parents !

Heureusement, la policière semblait maintenant un peu plus convaincue. Elle a décidé d’emprunter l’escalier pour monter au cinquième étage, histoire de ne rater aucun indice que l’homme en noir aurait pu laisser. Ouf, l’enceinte Bluetooth était toujours là, sur une des marches, elle ne paraissait pas avoir trop souffert, et un peu plus haut le minuteur, notre histoire commençait à tenir la route non ? (J’espère au moins que vous avez répondu oui !)

Le policier est arrivé sur le palier le visage plus rouge que le gyrophare d’un camion de pompier.

C’est là, qu’on s’est caché ! a dit Mathilde en désignant la petite plateforme au-dessus de la cage d’ascenseur.

La porte de l’appartement était ouverte ; il faudra que je pense à remercier l’homme en noir ! Nous sommes entrés, et j’ai fait la visite comme un agent immobilier expérimenté :

Ici le couloir… ici le salon, si vous voulez bien me suivre… ici la chambre… et là, je vous présente ma nounou : GOGOL… Je n’ai pas pu m’empêcher : Ok GOGOL dit bonjour à la dame,

Bonsoir, Madame !

La madame a froncé les sourcils et, contente de moi, j’ai poursuivi :

Ici les toilettes, oups ! Excusez-moi, je n’ai pas tiré la chasse !

L’enquêtrice a griffonné sur son carnet, peut-être notait-elle que je n’avais pas tiré la chasse ?

Tu es bien sûre qu’il ne manque rien ?

Non, je ne crois pas, il y a toujours trois rouleaux !

Elle m’a jeté un regard sévère, qui s’est terminé en sourire. Je la trouvais de plus en plus chouette !

Même l’ordinateur portable de mon père était encore là, bien en vue au milieu du salon.

Soudain, l’agent, qui furetait dans tous les coins, a disparu dans le sol ! Bon j’exagère, seul son pied avait disparu, n’empêche que Mathilde et moi, avons poussé un cri ! L’homme ne semblait pas souffrir, tout juste était-il surpris :

Il y a un trou là dessous !

Et il a tiré sa jambe, et son pied est réapparu, sans sa chaussure. Il y avait bien un trou, et même deux pour être précise, à la vue du gros orteil qui dépassait de sa chaussette !

***

Nous étions tous penchés au-dessus du « trou ». En fait, après avoir retiré le tapis qui recouvrait le parquet, nous avions découvert qu’une des lattes avait été enlevée. Le policier a paru déçu :

Tout ça pour voler une planche en bois ! Il a remis sa chaussure en grommelant, pouvait pas aller à un magasin de bricolage comme tout l’monde ?

Mathilde m’a murmuré à l’oreille :

Tu crois qu’il plaisante ?

J’espère pour nous, j’espère pour la police, j’espère pour la France !

Elle a étouffé un rire. Le petit agent s’est tourné vers nous, et nous a fait un clin d’œil. Ouf, la France était sauvée.

Il a dû croire qu’un objet de valeur était caché sous le parquet, est intervenue l’inspectrice, vous l’avez peut-être dérangé pendant sa recherche.

Les yeux de Mathilde ont subitement doublé de volume, comme si on lui avait comprimé la tête :

Ça veut dire qu’il pourrait revenir alors ?

Personne n’a eu le temps de répondre, sauf l’ascenseur qui a fait : CLANG !

***

Ensuite ? Eh bien ensuite, tout va très vite, les deux policiers se retournent comme un seul homme… et une seule femme aussi du coup… vers la porte d’entrée qui est encore grande ouverte. Sur le palier, la lumière s’éteint. Une faible lueur monte de la cage de l’ascenseur. Les policiers dégainent comme dans un western d’appartement. Je pousse un petit cri en voyant apparaître leurs armes. La jeune femme essaye de me rassurer :

Ne t’en fait pas, ils ne sont pas chargés…

Ça ne me rassure pas du tout…

On n’a pas les budgets pour acheter les balles.

Mais alors, pas du tout !

De toute façon je suis nul en tir, ajoute l’agent rondouillard.

Je plonge en direction du canapé. Mathilde a déjà investi la place. Je risque un œil vers le couloir, Mathilde me tire par le bras tout en me murmurant tremblante :

Tu vois quelque chose ?

Je vois… je vois la lumière de l’ascenseur envahir la cage. J’entends… j’entends la cabine grincer en s’arrêtant. Et soudain, les portes commencent à s’ouvrir…

Et soudain, les portes continuent de s’ouvrir. Comme je l’ai déjà mentionné (pour les sceptiques, j’en ai la preuve écrite un peu plus haut), c’est un très très vieil ascenseur. Mathilde me presse la main comme un citron, est-ce qu’elle espère vraiment en tirer un jus d’agrume ?

Les policiers sont figés dans leurs positions de tireurs d’élites, prêt à faire feu… avec leurs bouches. J’espère qu’ils imitent le bruit des balles aussi bien que Sarah (Sarah ? Qui c’est ça ? Pour ceux qui se posent la question, retourner au chapitre 2). Et les portes ont enfin fini de s’ouvrir. Et un cri a retenti dans la nuit…

Et un cri a retenti dans la nuit ! Mais là, c’est moi qui venais de crier, en voyant apparaître mes parents dans l’encadrement des portes de l’ascenseur.

Les deux policiers ont baissé leurs armes. Mes parents ont baissé les bras. Le cri de ma mère et le mien ont fini par s’évanouir dans la quiétude de ce soir de printemps.

Chapitre 7 – L’homme en noir

Je sentais mon cœur battre jusque dans mes tempes, et celui de Mathilde jusque dans la paume de ma main. On était pétrifiées. L’être a pivoté en direction de la porte d’entrée. Maintenant nous pouvions voir son dos. Il était vêtu d’un survêtement noir et porté un sweatshirt noir à capuche, qui recouvrait sa tête. Les portes de la cabine ont à nouveau grincé et la lumière sépia s’est éteinte.

L’être n’était plus éclairé que par la lueur diffuse de la lampe indiquant la sortie de secours. Son ombre verte et informe semblait dégouliner sur le sol comme un immense crapaud rampant. Il était maintenant face à la porte, et s’est mis à fouiller dans les poches de son survêtement. Il a émis un coassement ! Était-ce vraiment un batracien ?

Puis, il a fini par sortir un objet de sa poche tout en prononçant une phrase incompréhensible. A sa voix, j’en déduis que c’était un homme, à son accent qu’il était étranger, à son ton, qu’il était nerveux. Tous mes sens semblaient soudain aiguisés. Il a levé l’objet vers son visage, et un halo de lumière a auréolé sa cagoule ! Mathilde a sursauté. Ça m’a rassuré de la savoir aux aguets à côté de moi. Par-dessus son épaule, j’identifiais l’objet qu’il tenait dans sa main gauche : un téléphone. Il a touché l’écran plusieurs fois et alors, un bruit familier est parvenu à mes oreilles : celui du déverrouillage de la porte !

***

L’homme avait déjà franchi le palier et refermé la porte depuis plusieurs secondes, lorsque Mathilde a déchiré le silence d’une interrogation murmurée :

Ce n’était pas ton père ?

Non !

Ce n’était pas ta mère ?

Non, ni mon père, ni ma mère, ni les deux. De toute façon les sweats à capuches, c’est pas trop leur style.

Et puis elle m’a pincé !

Aie !

Ok, c’était pour être sûre de pas être en plein cauchemar.

Elle avait le genre de voix d’une personne qui vient de perdre la boule et qui court après pour la rattraper.

Tu crois qu’on ferait mieux de décamper, avant que cette… chose… ne ressorte de chez toi ?

Je me dépliais sans un bruit. Mathilde demeurait accroupie sans bouger, comme une statue prisonnière de ses lugubres pensées. Je crois que parfois, ne pas nommer les choses par leur nom, ça rassure, mais là, un électrochoc auditif s’imposait :

C’est un voleur ! Un cambrioleur, enfin bref, un malfaiteur ! Et oui, il faut mettre les voiles à pleins nœuds !

Ses oreilles ont eu l’air de bien transmettre le message, parce qu’elle est repassée de l’état minéral à l’état animal, d’un bond.

***

Je tenais le minuteur, Mathilde tenait l’enceinte, nous nous tenions la main en descendant prudemment l’escalier. Nous marchions sur la pointe des pieds, de peur de faire craquer les marches, qui de toute façon étaient en marbre ! Mes dix orteils étaient autant de petits thermomètres me rappelant que le sol était froid, et que je n’avais ni chaussure, ni chaussette, ni mes chaussons à oreilles de lapin.

La faible lueur verte nous guidait, tel un phare, vers notre objectif : le palier du cinquième étage. Ensuite l’escalier menant au quatrième serait sur la droite. Le peu de lumière troublait notre équilibre.

Nous avancions par à-coup, levant la jambe bien haut, avant de reposer le bout de nos phalanges, un peu comme des voleurs, dans les vieux films. L’escalier n’était plus qu’à un mètre, lorsqu’un CLIC a claqué, comme une bulle qui éclate, dans ma poche. Le tissu de mon pantalon, étiré et comprimé par mes grandes enjambées, venait d’écraser la tête du stylo espion !

OK GOGoooolll… a hurlé l’enceinte avant de s’abîmer dans un silence coupable !

Nous nous sommes figées, comme si quelqu’un avait dit « un, deux, trois, soleil ». Est-ce que cette enceinte de malheur nous avait fait repérer ?

Tu crois que… a commencé à me souffler Mathilde, avant qu’un bruit provenant de la porte ne dévore la fin de sa phrase.

***

Je ne me rappelle plus précisément ce qu’il se passe ensuite, parce que tout devient confus à l’intérieur, et à l’extérieur de moi ! Mon cerveau active le mode passager, mon corps prend les commandes. Je me sens sauter sur la 1ère marche menant vers le quatrième étage, emmenant Mathilde dans mon élan. Je m’entends crier :

Fonce ! ! !

Je sens ma main droite lâcher le minuteur. J’entends l’enceinte que tenait Mathilde, tomber. Ma main libre saisie la rampe, mes pieds commencent à avaler les marches à l’aveuglette, une par une, puis deux par deux, puis trois par trois. La main gauche toujours solidement cramponnée à la main droite de Mathilde, nous ne formons plus qu’une seule créature à quatre jambes, dévalant l’obscurité, comme un cheval dément !

Arrivée à mi-chemin du quatrième étage, ma tête se tourne en direction de la porte, je le vois, l’homme en noir, dans l’embrasure soudainement éclairée de la porte, et je crois voir son regard, et dans ce regard il me semble voir de la colère, mais aussi de la peur. Ensuite, il s’élance à notre poursuite, pose le pied sur l’enceinte, et se casse la figure dans un sublime salto arrière, digne d’un Tom Cruise.

***

Cette cascade inattendue nous laisse un peu de répit. Nous atteignons enfin le quatrième étage alors qu’un juron parvient jusqu’à nos chastes oreilles. Heureusement il semble être dans une langue inconnue. Ma bouche crie à Mathilde :

La lumière !

Sa main a compris le message, et sans même ralentir notre cavalcade, appuie sur le bouton rouge qui lui dans le noir. La lumière nous inonde soudain. Une pluie d’étoiles filantes semble envahir l’espace.

Un nouveau juron résonne dans l’escalier. Il semble plus lointain que le précédent. J’accélère. Mathilde suit comme elle peut.

Les marches défilent à toute vitesse. Elles deviennent floues. Le bruit de nos pas se répercute à l’unisson sur les murs de la cage d’escalier, bientôt rejoint par d’autres, venant d’un peu plus haut : l’homme en noir est revenu dans la course ! Je jette un œil au-dessus de moi, je distingue une main sur la rampe. Il y a encore deux étages entre nous et lui. Nous passons un nouveau palier. Victoire, j’aperçois la porte de Mathilde en contrebas ! Misère, un courant d’air a dû la claquer ! Je vois Mathilde fouiller dans sa poche, ça nous ralentie ! Je lui cris :

Laisse tomber, on n’a pas le temps pour les clés !

On déboule sur le palier du premier, j’entraine Mathilde vers la porte d’en face : chez Mamy.

La porte est entrebâillée, on fonce à travers à grand fracas ! Mathilde retrouve de la voix de ses ancêtres et hurle :

Mamy, help !

Mamy est toujours dans le salon, en train de feuilleter son programme télé, elle lève l’oreille. Doddy qui est à ses pieds lève l’oreille également. Elle nous regarde avec un mélange d’interrogation et de flegme, « so, british ! » (Tellement anglais). Doddy me regarde avec un mélange d’intérêt et de saucisse, « tellement, chien ! » (so, canish !). Puis leurs yeux s’échappent soudain vers un point derrière nous. Je me retourne, et je vois l’homme en noir sur la dernière marche.

***

Simultanément, un neurone habitant dans mon lobe gauche va rendre visite à un neurone habitant mon lobe droit. Après quelques civilités de bon aloi : « Bonjour, comment allez-vous ? », « Très bien merci et vous ? », ils se mettent à travailler sur une idée saugrenue, une picoseconde de dur labeur plus tard, cette idée farfelue jaillie de mon cerveau.

Je lève la main, je pointe mon index en direction de l’homme en noir, je regarde Doddy et je lui crie :

JAMBON ! ! !

J’entends également Mamy crier quelque chose. Et puis soudain, tout semble ralentir. Doddy bondit comme si une botte invisible lui avait botté l’arrière-train.
Ses babines se rétractent, dévoilant une collection de dents dignes de celles de la mer. Son regard placide fait place à des yeux de psychopathe à pattes. Il s’élance à tout berzingue dans le salon comme une fusée poilue. Mathilde et moi nous collons au mur pour éviter de valdinguer sur son passage. Nous suivons l’animal de nos regards éberlués, dans sa course folle. Il nous dédicace son passage éclair d’un fulgurant filet de bave.

A quelques mètres de là, l’homme en noir s’arrête. Il voit le molosse. Il avise sa dentition et sa détermination. Il ne bouge plus, peut-être est-il en train de voir défiler le film de sa vie, qui se termine sur une pierre tombale où est inscrit : « RIP la saucisse » (paix à ton ame la saucisse). Au bout de quelques millisecondes, il bouge enfin et pivote à 90 degrés pour plonger vers l’escalier qui mène au rez-de-chaussée. Doddy patine un peu pour changer de direction, mais finit par plonger à son tour. Je me rue à l’extérieur de l’appartement, juste à temps pour le voir prendre appuie sur ses pattes arrière et décoller vers les nuages ! Je remarque au passage que le plafond de la cage d’escalier est orné d’une ravissante fresque à la gloire des cumulonimbus.

Juste après ça, les canines de Doddy viennent se planter dans les fesses de l’homme en noir !

***

Un crie retentit. L’homme en noir, n’est plus tout à fait en noir. Un gros morceau de survêtement est maintenant accroché aux crocs de Doddy qui s’arrête et secoue la tête pour s’en débarrasser.

L’homme, plus tout à fait en noir, en profite pour ouvrir la porte de l’immeuble, juste assez pour s’y faufiler avant de la refermer sur le museau de son poursuivant. Doddy aboie son désarroi. Un filet de bave sanglant vient s’écraser sur le marbre de l’entrée. J’hésite à descendre ouvrir la porte, mais pas longtemps. Mieux vaut laisser Doddy retrouver son calme. Je rentre à nouveau dans l’appartement de Mamy. Elle est sur le palier avec Mathilde en train de lui parler à toute vitesse dans la langue de Shakespeare, qui lui répond affolée dans la langue de Molière. Je les laisse à leur dialogue de sourdes, et cours vers la fenêtre du salon qui donne sur la rue, juste à temps pour voir une camionnette grise démarrer en trombe, et disparaître au bout de la rue.

Moins de deux minutes après ces événements, nous sommes enfoncées dans les gros poufs, jusqu’aux oreilles, une tasse de thé à la main !

Chapitre 6 – Mission impossible

Comment tu veux contacter Jérémie sans son numéro et sans son nom  ? Par télépathie  ?

Mes mots se perdent dans l’espace à tout jamais. Je commence à avoir l’habitude.

Cette fois-ci Mathilde est partie en direction de la pièce du fond. D’où elle revient 22 secondes plus tard avec un ordinateur portable, qu’elle pose sur la table basse.

C’est l’ordi de ma mère.

Je la regarde intriguée.

Et  ?

Ma mère est déléguée des parents d’élèves. La mère de Jérémie aussi, et là, il y a toutes les adresses et les numéros de téléphones des délégués. Donc…

Celui de Jérémie  !

Bon sang  ! Raisonnement implacable  ! Qui a transformé Mathilde en graine de génie  ? Mais il y a quand même un petit problème  :

Tu connais le mot de passe  ?

Quel mot de passe  ? Y’a pas de mot de passe  !

OK, c’est définitif, les parents de Mathilde, son méga cool, voire carrément baba cool, ils la laissent seule à la maison, et il n’y a pas de mot de passe sur leur ordi  !

Elle clique un peu partout et fini par ouvrir un document  :

Là  ! Je connais tous les noms sauf celui-là, c’est sûrement la mère de Jérémie  !

Je bondis sur le canapé et Mathilde bondit sur le téléphone. A force de faire des bonds j’ai l’impression d’être un kangourou. Je vérifie discrètement si une poche ventrale n’est pas en train d’apparaître sous mon teeshirt. Ok, pas de mutation marsupiale à l’horizon.

Sonnerie dans le téléphone  : Tuut. Tic dans le minuteur  : TIC, il ne reste plus que 13 minutes  !

***

Quelqu’un décroche à l’autre bout du téléphone sans fil, et ce quelqu’un est une « quelqu’une ».

Allo  ? fait une voix qu’il me semble reconnaître.

Mathilde me passe le téléphone comme si c’était un bâton qui venait de se transformer en serpent à sonnette.

De surprise je bafouille un  :

Euh, est-ce que je pourrais parler à Jérémie s’il vous plaît.

J’entends un soupir à l’autre bout du sans fil, suivi d’un  :

Jérém’, c’est pour toi  !

Le bruit du téléphone qu’on repose et des bruits de pas qui s’éloignent. Je décolle le téléphone de mon oreille, et je regarde Mathilde, incrédule.

Quoi  ?

La voix…

Quoi la voix  ?

C’était celle de Lou  !

Et le minuteur choisi ce moment crucial pour annoncer dans un tic  : 12 minutes.

***

L’incrédulité, ça doit être contagieux, et ça doit se transmettre par les yeux, vu la tête que fait Mathilde.

Pas possible  ! T’es vraiment sûre  ?

Sûre au carré  !

Peut-être qu’elle est chez Jérémie pour une soirée pyjama geek  ?

Ouai c’est ça, peut-être, n’empêche, pendant quelques secondes le stress à fait place à un autre sentiment… la jalousie  ? Mais je réfléchirai à tout ça plus tard. Je recolle le téléphone à mon oreille. Mathilde colle son oreille de l’autre côté. J’entends des pas, mon cœur s’accélère, ma pression artérielle augmente, mes narines se dilatent, bref le stress est revenu.

Allo  ?

Cette fois ci, c’est la bonne voix, celle de Jérémie. Mathilde m’encourage du regard, c’est fou tout ce qu’on peut faire juste avec une paire d’yeux  ! Je veux régler ma langue sur  : « élocution claire et décontractée », mais je me trompe de bouton et je me retrouve à bégailler un  :

Sa… Salut Jé… rémie.

Lola  ? Salut, tu… enfin… ça me fait plaisir de….

Bon, apparemment, le bégaiement c’est aussi contagieux.

Je respire un grand coup, l’air c’est un médicament miracle, et je me lance  :

Jérémie, j’ai un gros problème. J’ai utilisé le stylo pour sortir de chez moi, et maintenant je peux plus rentrer  !

Je sens mes joues s’empourprer. Je jette un coup d’œil sur le minuteur, avec l’œil droit, et sur Mathilde, avec l’œil gauche. Je dois ressembler à un caméléon. Tic, le minuteur s’en fiche et affiche 11 minutes. Mathilde a l’air de faire de l’hyperventilation comme un chien de chasse aux abois.

Mince, dit Jérémie à l’autre bout.

Il est poli, et en plus il a l’air vraiment embêté. Il ajoute  :

J’aurais dû y penser  !

Et en plus il s’en veut  ! Comme pour traduire ma pensée, Mathilde me murmure à l’oreille  :

Il est vraiment, vraiment, trop, trop, craquant  !

Je reprends  :

C’est surtout moi qui aurais dû y penser, mais là, j’ai moins de 11 minutes pour trouver une solution, je vois pas trop comment…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que j’entends à nouveau le bruit du téléphone qu’on pose et juste après la voix de Lou  ! Et un petit bout d’éternité plus tard, Jérémie m’annonce  :

Je crois qu’on a la solution  !

Encore ce « on », Lou sera décidément toujours entre nous. TIC  !

***

Le minuteur ne se gêne pas pour proclamer qu’il ne reste plus que 10 minutes. Je comprends subitement ce que veulent dire mes parents lorsqu’ils disent que passer une dizaine, ça met un coup au moral. Mathilde a toujours l’oreille collée de l’autre côté du téléphone. Une idée fulgurante me traverse le crâne de part en part. J’appuie sur la touche haut-parleur, on va pouvoir écouter sans ressembler à des siamoises. Jérémie reprend la parole  :

Alors, voilà. Le stylo a une connexion sans fil Bluetooth. Si tu as un ampli ou une enceinte Bluetooth, tu pourras le connecter, et en mettant le son à fond, peut-être commander GOGOL à travers la porte.

Une enceinte ou un ampli  ? C’est que… je sais pas trop où…

Je n’ai pas fini ma phrase que Mathilde crie  :

Je sais où en trouver une  ! Merci Jérémie, je crois qu’on va pouvoir se débrouiller  !

Et elle me prend le bras.

Ok Ok  ! dit Jérémie tout étonné. Et… pour connecter le stylo, utilise la petite bague en bas… et… euh… bonne chance Lola  !

Je regarde le stylo, et j’ai juste le temps de lui répondre un  :

Vue… merci  ! On te rappelle pour te tenir au courant…

que Mathilde a déjà raccroché et m’entraîne avec elle.

***

Mais où est-ce qu’on va, là  ?

Mathilde a pris le minuteur dans sa main droite, et me tire de sa main gauche tout en m’expliquant  :

Chez Mamy, elle est un peu sourde et papa lui a installé une enceinte Bluetooth pour écouter la télé à bloc  !

On sort de chez Mathilde, et on bondit jusqu’au palier d’à côté comme deux écureuils qui auraient vu une noisette géante.
Mathilde va pour sonner, mais elle s’arrête  :

Mince  !

Elle repart à toute vitesse en me laissant seule comme un vieux paillasson… sur le vieux paillasson. Je n’ai pas le temps de me sentir abandonnée qu’elle réapparait déjà en brandissant un trousseau de clés.

T’imagines si la porte se referme, et qu’on peut plus rentrer chez moi  ! On aurait l’air malines  !

Je me frappe la main sur le front, elle frappe sur la sonnette, rien ne se passe, sauf une minute  !

***

TIC, 8 minutes. On appuie plusieurs fois sur la sonnette, en vain. On se colle à la porte pour essayer d’entendre quelque chose. Enfin, on entend la voix de quelqu’un, on se regarde et on s’exclame  : « Tom Cruise  ! »

Je te l’avais dit, elle est un peu sourde, semble s’excuser Mathilde. Elle doit s’être endormie devant la télé, avec Doddy.

Je précise, Doddy ce n’est pas son doudou, c’est son chien, et apparemment lui aussi est un peu sourd.

Il est sourdingue  ! me confirme Mathilde, en général il se réveille que pour manger.

Je regarde le minuteur, qui semble n’avoir qu’une envie, afficher le chiffre 7. C’est au tour de mon cerveau de fulgurer  !

J’ai une idée  !

Avant que Mathilde n’ait le temps de réagir, je repars en courant en direction de l’appartement ; chacune son tour  ! 30 secondes plus tard, je reviens avec une tranche de jambon dans la main.

Euh, c’est vraiment l’heure de se faire un sandwich  ?

Sans répondre, je glisse le jambon sous la porte. Le minuteur fait TIC  !

***

Un chien ça peut sentir une tranche de jambon à des kilomètres, même dans ses rêves  : démonstration  !

Pendant dix très longues secondes, on n’entend rien. Mathilde soupire  :

Doddy est peut-être enrhumé  ?

Et puis j’entends un halètement suivi d’un jappement.

Ça, c’est pas Tom Cruise  !

Je sens la tranche de jambon remuer sous la porte. Je la retire à toute vitesse. Cette fois-ci, c’est un aboiement qui résonne à travers la porte et sur le palier. Je répète mon petit numéro de dressage  : jambon, plus jambon, jambon, plus jambon. Doddy aboie de plus belle, ce n’est pas très sympa, mais c’est efficace. Il est de plus en plus excité, ses grognements se prolongent en écho dans les étages.

Si ça continue, il va ameuter tout l’immeuble, commence à s’affoler Mathilde.

Heureusement, c’est ce moment que Doddy choisi pour arrêter d’aboyer… et se mettre à parler  !

***

Note  : Pour les non anglophones, non franglophones, et non comprenophones, je fournirais gracieusement une traduction lorsque nécessaire.

What the hell’s going on  ? (Que diable se passe-t-il  ?)

TIC 6 minutes.

On a réussi à la réveiller ! m’annonce Mathilde

Et elle appuie à nouveau sur la sonnette. Ça me rassure de savoir que ce n’est pas le chien qui parle anglais… ou même qui parle tout court  !

Et qu’est-ce qu’elle a dit  ?

Euh, disons qu’elle n’est pas contente.

Cette fois ci, c’est un bruit de pas en pantoufle, et pas de pattes en poil, qu’on entend se rapprocher de la porte.

Qwui aye la  ? (Qui est là  ?)

Une chose est sûre, je suis moins bonne en Franglais que Mathilde.

C’est moi Mamy, c’est Mathilde  !

Mathilda  ? What is happening my darling  ? (Que se passe t’il ma chérie  ?)

Bruit de verrou en haut, bruit de verrou en bas… bruit de verrou au milieu  !

Elle est très… prudente Mamy non  ?

Ouai, elle préfère s’enfermer à triple tour la nuit, rapport au chien qui entendrait pas un pet d’éléphant.

En tout cas, il le sentirait  !

***

TIC, 5 minutes  ! La porte s’ouvre  !

Mamy apparaît. Elle est grande pour son âge, que j’estime à au moins 125 ans, plus ou moins 6 mois. Normalement on rétrécit dans ces eaux-là, non  ? Elle nous avise  :

Oh, tou yé avec tonne amie Loula. Commente ça va Loula  ? (Oh, tu es avec ton amie Loula. Comment ça va Lola  ?)

Euh, bien… en tous cas pour encore à peu près 5 minutes…

Oh, mais tou yé pieds nou  ! (Oh, mais tu es pieds nue  !)

« Loula les Pieds nou  ? » C’est bien de moi qu’il s’agit.

Mais entwé, vous z’allez atwapé foid sou le palliér  ! (Mais entrez, vous s’allez attraper froid sur le palier)

On rentre. On la suit dans le salon. Doddy aussi nous suit dans le salon tout en engloutissant sa tranche bien méritée. Il renifle ma main, elle doit sentir le jambon. Je la range dans la poche de mon pantalon avant qu’il ne confonde mes doigts avec des saucisses apéritives.

Mamy s’installe dans un gros fauteuil. Mathilde s’impatiente  :

Mamy, we need to… (nous avons besoin de …)

Assé-yé vous  ! dit Mamy comme si elle n’avait rien entendu, ce qui est probablement le cas.

On n’a pas le temps, mais on n’a pas le choix, on se pose sur deux gros poufs, ils sont moelleux, très moelleux, on s’y enfonce jusqu’aux oreilles. Doddy s’effondre à côté de moi, je crois qu’il a fait une crise cardiaque, ou bien il fait semblant de dormir et il guette le moment où je sortirais les saucisses de ma poche  !

***

La main droite de Mathilde fait TIC, nous rappelant de manière perfide qu’il ne reste plus que 4 minutes. Dans un anglais que j’estime parfait, en comparaison du mien que je juge inestimable, elle fait une nouvelle tentative :

Mamy, could we take your Bluetooth speaker, Just for a moment  ? (Pouvons-nous prendre ton enceinte Bluetooth  ? Juste pour un instant) demande Mathilde .

Mamy semble s’apercevoir que la télé est allumée, mais pas que Mathilde a parlé  :

Vous voulez wegawdé Mission Impossibeul avec moye  ? Ça va bientôt cowmentsé. (Vous voulez regarder Mission Impossible avec moi  ? Ça va bientôt commencer.)

Elle se ravise en voyant Tom Cruise sur l’écran  :

Eye, mais ils ont demawé en avantse, no  ? (Eh  ! Mais ils ont démarré en avance non  ?)

Elle commence à feuilleter le programme télé qui était posé à côté du fauteuil. Je vois Mathilde qui bouillonne dans son pouf. Elle finit par en sauter comme un bouchon de champagne, et fonce vers la télé

Ecoute Mamy, on a besoin de ton enceinte Bluetooth, de toute façon, le film est bientôt fini.

Elle débranche l’enceinte. J’ai un éclair de lucidité  :

Mais on n’aura pas de prise de courant sur mon palier  ?

L’enceinte est rechargeable, pas la peine de la rebrancher sur une prise.

Mamy marmonne dans son coin  :

They say it’s at 20h30 o’clock, what’s up  ? (Ils disent que c’est à 20h30, qu’est-ce qu’il se passe  ?)

Mathilde me reprend le bras et m’aide à remonter à la surface. Elle saisit l’enceinte

Vite, on fonce  ! ! !

Mamy lève enfin la tête  :

Where do you go Mathilda  ? (Ou vas-tu Mathilde  ?)

An urgent thing to do, i’ll be right back  ! And it’s a bit late for your film  ! (Un truc urgent à faire, je reviens  ! Et c’est un peu tard pour ton film  !)

What do you say Mathilda, it’s only 20 o’clock  ! (Qu’est-ce que tu dis Mathilde, il est seulement 20 heures  !)

Je regarde l’horloge qui surplombe la télé, elle indique bien 20h  !

Elle est jamais à l’heure, Mamy s’obstine à la remonter tous les jours, même si on a beau lui répéter qu’il faut juste changer la pile, soupire Mathilde.

On se met à courir en direction de la porte. Doddy ressuscite de sa crise cardiaque, et me court après en tirant la langue  !

***

TIC 3 minutes  ! On franchit la porte. Doddy freine des pattes arrières et s’arrête net  !

Il sort jamais de l’appart, il est trop peureux, m’explique Mathilde dans un souffle.

Il me semble voir des larmes dans ses yeux, et des saucisses aussi.

On file en direction des escaliers que l’on commence à gravir quatre à quatre, puis trois à trois, puis deux à deux, puis une par une.

On est exténué, à bout de souffle, nos muscles nous font souffrir, j’ai l’impression que notre ascension dure des heures. Je regarde le minuteur dans la main de Mathilde. Non, en fait juste une minute. TIC, il n’en reste que 2  !

On arrive enfin au cinquième étage  ! On a plus assez d’air pour parler.

Stylo… me dit Mathilde.

Bon je corrige, on a juste assez d’air pour dire un mot. Pendant que je plonge la main dans ma poche, elle pose le minuteur à côté du paillasson. Mes doigts ne rencontrent que du vide  ! Mathilde se redresse, elle voit ma main remplis de… rien, et ses yeux s’ouvrent en tellement grand, que j’ai l’impression qu’elle va m’avaler. Je lui dis d’une voix chevrotante  :

Je crois que je l’ai laissé chez toi  !

Stupeur et tremblements…

***

TIC the last minute  ! Mathilde ouvre la bouche au ralentie

Pas poss… Je l’interromps avant qu’elle ne prononce le mot fatidique.

Non, Je l’ai  ! ! !

Et je brandi le stylo. Il était dans mon autre poche. Moment suspendu… de courte durée.

Elle appuie sur le bouton de l’enceinte, je tourne la petite bague en bas du stylo comme me l’a dit Jérémie il y a très longtemps déjà ; et la magie opère, et appaire les deux compères, même si ce n’est pas le moment de faire des vers  !

Bluetooth pairing  ! dit la voix du bon génie de l’enceinte.

C’est bon, dit gravement Mathilde, ils sont connectés.

On se regarde, je lève le stylo comme si c’était un détonateur, elle colle l’enceinte à la porte comme si c’était de la dynamite. Je mets mon pouce sur la tête du stylo, prête à tout faire sauter  !

Attends  !

Quoi attend  ? Mais on peut plus attendre  !

Il faut mettre le volume à fond  !

Et elle appuie au moins mille fois sur le petit bouton « plus ». L’enceinte finit par hurler un « PLUS » qui nous arrache les oreilles.

Là c’est bon  !

Et mon pouce écrabouille la tête du stylo  ! Et la voix de mon père s’élève de l’enceinte, faisant vibrer la porte, trembler les murs et la terre, probablement jusqu’au Japon  :

OK GOGOL, DÉVERROUILLE LAAaaaa ppoo …

Et la fin de la phrase se perd dans la nuit.

Qu’est ce qui … Mathilde semble hébétée.

J’appuie à nouveau sur la tête du stylo. Plus aucun son ne sort de l’enceinte. Je me sens étrangement calme  :

Je crois qu’elle est complètement déchargée.

Mathilde essaye de pousser la porte. La porte repousse Mathilde.

C’est foutu  !

Je crois.

Comme pour confirmer, un « Driiiiinnnng » retentit. La sonnerie fait sursauter Mathilde.

Misère  ! Tes parents sont en train d’appeler  !

Je tends l’oreille, je baisse la tête.

Non  ! C’est le minuteur  !

***

Ce qu’il y a de pire après avoir retrouvé l’espoir, c’est de le reperdre. On était abattue, lessivée, effondrée, sonnée et tout un tas d’autres trucs déprimants en « é » et en « u ». Echouée sur le paillasson, comme sur un radeau au milieu de la mer des lamentations  ! Le téléphone n’allait pas tarder à sonner, et mis à part me transformer en tranche de jambon, je n’avais aucun moyen de me faufiler sous la porte  !

Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant  ? a demandé Mathilde en haussant les épaules.

C’est à ce moment-là que l’ascenseur a décidé de s’immiscer dans la conversation en répondant  :

CLANG  !

On s’est tourné de manière parfaitement synchronisée vers la cage, pour voir les câbles se mettre en mouvement.

Il monte  ! a dit Mathilde, d’une voix qui trahissait un début d’inquiétude.

Il monte  ! ai-je confirmé après quelques secondes. Ne t’inquiète pas, c’est normal pour un ascenseur non  ? A part monter ou descendre, que voudrais tu qu’il fît  ?

Il continue de monter  ! a repris Mathilde, d’une voix qui trahissait un début d’affolement (Peut-être dû à mon emploi audacieux de l’imparfait du subjonctif  ?).

Pas d’affolement, c’est surement un voisin du dessous qui rentre chez lui.

Ça ne pouvait pas être mes parents. Même s’ils venaient d’interroger GOGOL, ils ne pouvaient pas être déjà là. Ni nos voisins du cinquième d’ailleurs, ils étaient partis en voyage la semaine dernière. Donc pas d’affolement.

Il a passé le troisième  !

Mathilde a posé sa main sur mon épaule et commencé à me secouer.

Il faut qu’on décolle, et vite  !

Elle n’était plus seulement affolée, elle était au bord de la panique.

Pas de panique Mathilde  ! je ramassais le minuteur calmement, on va redescendre tranquillement chez toi et attendre mes parents et…

Et la lumière s’est éteinte.

***

C’est étrange comme les choses paraissent différentes lumières allumées. En moins d’une seconde, je suis passé d’un état résigné, mais détendu, à un état résigné, mais complètement paniqué  !

L’obscurité avait rallumé des peurs enfantines qui projetaient leurs ombres terrifiantes sur les murs  ! Mathilde a étouffé un crie. Une pâle lueur montait de la cage de l’ascenseur. Il ne s’était pas arrêté au troisième étage. Et il n’allait pas plus s’arrêter au quatrième, j’en avais l’horrible pressentiment.

Je voyais le visage de Mathilde, déformé dans un étrange rictus que le faible éclairage rendait encore plus étrange. Il fallait faire quelque chose, mais elle ne semblait plus en état de faire quoi que ce soit. J’ai pris sa main et j’ai serré très fort ; et alors que la douleur semblait la sortir de sa torpeur, je l’attirais en direction de l’escalier qui montait vers d’improbables étages.

***

C’est un très vieil ascenseur. Il est très lent, et très grinçant. Depuis la cabine ajourée, on a une vue imprenable sur les gens qui montent et qui descendent. Le moteur qui actionne les câbles est situé juste au-dessus de la cage, après le cinquième palier l’escalier continue jusqu’à une petite plateforme qui le surplombe. C’est jusqu’à cet improbable étage que j’entrainais Mathilde. Et, s’est accroupi dans l’ombre du moteur vrombissant, qu’on attendait, tremblantes, que son ascension se termine. CLANG  !

Les portes ont grincé, je crois que mes dents aussi, et je pressais la main de Mathilde si fort, que ces os ont dû grincer également. Une lumière sépia a alors projeté une forme humanoïde sur le mur d’en face, et un être non identifiable est sortie de la cabine  !

Chapitre 5 – Compte à rebours

Nous étions au printemps et les frimas de l’hiver avaient capitulé devant les prémices de l’été (c’est beau n’est-ce pas  ?). Mais si j’étais gelée, c’est que je venais de me rendre compte, que j’étais sur le palier  : c’était moyen, pieds nus  : c’était pas terrible, sans aucun moyen d’ouvrir la porte  : c’était la cata  !

Alors, beaucoup d’entre vous feront remarquer que j’aurais dû y penser, que c’était évident que GOGOL allait verrouiller la porte, c’est ce qu’il avait fait lorsque mes parents étaient partis non  ? Et que j’ai sûrement un petit poisson rouge dans la tête, et que bien fait pour elle  ! A ceux-là, je ne répondrais que par un silence polis ……………………………………………… (fin du silence)

Aux autres, plein de compassion pour ma triste situation, j’invoquerai mon excitation juvénile, ma joie puérile, et les problèmes de mémoire que peut engendrer la présence d’un petit poisson rouge dans la tête  : je crois qu’en terme médical c’est une « petitpoissonrougite » aiguë (mais demandez confirmation à votre psychiatre).

A mesure que ma température remontait, mon cerveau s’est remis à fonctionner à plein régime. Donc, si je devais résumer  : mes parents étaient partis voir un super spectacle, sans moi, et ne rentrerais pas avant au moins minuit et je savais qu’ils auraient un entracte, bref une pause pipi, à 22 heures. Mon super plan, c’était de descendre chez Mathilde et de remonter un peu avant l’entracte, parce que j’étais sûre que mon père allait interroger GOGOL avec son portable à ce moment-là. Mais maintenant, si je ne trouvais pas un nouveau super plan d’ici environ… misère, à peine une heure, alors la réponse de GOGOL serait  : « Porte verrouillée, personne dans l’appartement ».

C’est en entendant ces mots, venus du futur, que je me suis mis à courir comme une folle vers les escaliers, que j’ai commencé à dévaler comme une dingue avec un regard de maboule  !

Jamais je ne me suis sentie autant au présent  !

***

A mesure que je franchis les étages, mon cerveau m’envoie les images de ce qui va se passer dans une heure.

4éme étage  : en entendant le rapport de GOGOL, ma mère fait un bond d’environ 2 mètres 10, record du monde battu  ! Mon père la rattrape avant qu’elle ne s’aplatisse sur le sol, parce que c’est un gentleman, et appelle sur le téléphone fixe.

3éme étage  : à chaque sonnerie, ma mère retient son souffle. Après 11min35 secondes, record d’apnée battue, elle se jette sur le portable et appelle  : la police, les pompiers, l’armée et le président de la république.

2eme étage  : tout cette joyeuse troupe débarque, en voiture, en camion, en hélicoptère, en porte avion, devant la porte ou je les attends terrorisée, pieds nus, avec mon petit poisson rouge tout tremblant dans ma tête  !

1er étage  : je pousse un cri en voyant le président de la république, il est plus moche en vrai qu’à la télé, et… la porte s’ouvre et… Mathilde apparaît.

***

Hé  ! Pourquoi tu beugles comme ça  ? Y a une sonnette tu sais  !

Je… c’est… la… cata  !

Mathilde avise mon état, pieds  : nus, yeux  : exorbités, souffle  : court, visage  : tomate ketchup.

Mais qu’est-ce qui t’arrives  ?

J’ai plus assez d’air pour lui répondre, alors je rentre chez elle et je vais m’affaler sur le canapé du salon. Mathilde me regarde comme si un coucou venez de jaillir de mon front.

Tu es sûre que ça va  ?

Je recommence à respirer, un peu, et je lui crie  :

Non  ! Je suis même sûre que ça va pas  ! Quelle heure il est  ? Quelle heure il est  ?

Elle regarde affolée l’horloge du salon  :

Il est… 21h03, mais pourquoi qu’est-ce qui s’passe  ?

Elle aussi venait de crier.

Je prends une grande bouffée d’air pour me calmer, puis une deuxième grande bouffée d’air parce que la première n’a pas suffi, et à la troisième je lui expire mes déboires entre deux inspirations.

Plus que 57 minutes… la porte… verrouillée de l’intérieur… impossible de rentrer… moins d’une heure avant… que mes parents vérifient… si je suis là  !

Mathilde essaye de recoller les morceaux  :

T’as réussi à pirater GOGOL.

Oui…

Tu as ouvert la porte.

Oui…

Et tu as refermé la porte.

Oui…

Et maintenant tu es enfermée dehors.

Oui…

Et tes parents vont t’appeler ou appeler GOGOL pour voir si tout va bien.

Oui…

C’est la cata  !

OUIIIIII  !

Elle s’affale sur le canapé à côté de moi. On se regarde, elle a elle aussi les yeux exorbités.

Je crois que c’est à ça qu’on reconnait une amie quand on a un problème, à ses yeux exorbités  ! Mathilde ne parle pas de mon petit poisson rouge dans la tête, elle ne m’accable pas parce que je n’ai pas réfléchi avant d’agir, elle dit juste  :

Qu’est-ce qu’on va faire  ? ? ?

On se met à envisager toutes les solutions possibles  :

Si on essayait d’imiter la voix de ton père et de crier à travers la porte  ?

Mathilde, il nous faut un truc sérieux là, pas impossible  !

Ok, dans ce cas, passer par la fenêtre, ça fait partie aussi des trucs impossibles je suppose  ?

De toutes façons, toutes les fenêtres sont fermées, et puis je suis au cinquième sans Quidditch, on n’est pas dans Harry Potter là  !

Avec un cintre, j’ai vu ça dans un film, on peut crocheter une serrure avec un cintre  !

Ouai, ça devait fonctionner y’a mille ans ce truc, mais là on pourrait même pas y glisser un cheveu de fourmis  !

Mathilde à fait mine de réfléchir  :

Et depuis quand les fourmis ont des cheveux d’abord  ?

Depuis toujours madame, mais elles se font la boule à zéro, c’est pour ça qu’on s’en rend pas compte  !

Tu veux dire qu’y a des coiffeurs pour fourmis, peut-être  ?

Ben ouai  ! Tu crois pas qu’elles se les arrachent un par un, non mais réfléchi un peu des fois  !

On s’est à nouveau regarder avec des yeux de sardines frites, et on s’est mise à rigoler. On n’avait pas trouvé de solution, mais au moins, j’avais retrouvé mon calme.

***

Je me sentais vidée. Mathilde était avachie à côté de moi. Je me suis alors rendu compte d’un truc  :

Au fait, ils sont où tes parents  ?

Sortie, à une conférence, sur le recyclage, l’énergie verte, la nature, tout ça quoi…

Les parents de Mathilde sont cools, super cool même. Ils la laissent seule, sans nounou ou bidule pour la surveiller. Bon ok, sa « Mamy » habite dans l’appartement sur le même palier, ça aide. C’est sa grand-mère paternelle. Elle est sympa, mais elle ne comprend pas tout ce qu’on lui dit, parce qu’elle est un peu sourde et beaucoup anglaise, ou le contraire je ne sais plus trop.

Tu sais, peut être tes parents seront pas fâchés. C’est pas comme si tu étais sortie dans la rue en pleine nuit, ici tu risques rien quand même.

Ouai, n’empêche, ça va gâcher leur soirée, et ils seront pas près de me faire à nouveau confiance et…

Et si c’était toi qui les appelais à l’entracte avant qu’ils vérifient  ! s’écria Mathilde en me regardant pleine d’espoir.

Mon cœur s’est remis à tambouriner dans ma poitrine, je me soulevais du canapé, tirée par les fils invisibles du destin, comme dans un récit mythologique.

Ça peut marcher, ça va marcher  !

Et puis, je me suis laissée à nouveau tomber, quelqu’un venait de couper les fils, probablement un dieu Grec ou Romain qui passait par là et qui n’avait rien de mieux à faire.

Ils vont voir ton numéro s’afficher, et ils vont comprendre l’entourloupe…

C’est vraiment foutu alors, déclara solennellement Mathilde en baissant la tête.

Assommé par l’évidence, nous n’avions plus la force de penser, de parler, de vivre  ! (Non, faut pas exagérer, c’est juste pour en rajouter dans l’ambiance dramatique)

Machinalement, la main de Mathilde a rampé comme un serpent à pattes jusqu’à la télécommande. CLIC, la télé s’est allumée… et BIM BADABOUM, Tom Cruise est arrivé  !

***

C’était un Mission impossible, un parmi les 10000 épisodes, lequel, je ne sais pas. Mais on s’en fichait, tant qu’il y avait Tom Cruise. Pendant plusieurs minutes, combien je sais plus, on est restée affalée à le contempler. Un Tom Cruise qui courait, un qui nageait, un qui grimpait, qui tombait, qui regrimpait, qui volait, qui repassait sa chemise  : jamais un faux pli, toujours la classe Tom Cruise…

Mais ils sont combien de Tom Cruise pour faire tout ça  ? ai-je fini par demander.

Un seul  ! a soupiré Mathilde. Tom Cruise, il sait tout faire, et il est tellement craquant, et tellement fort… regardes  !

Je regardais  : Tom Cruise, les mains attachés dans le dos, suspendu à un câble d’ascenseur, par les dents, blanche et parfaitement alignées, en train de parler dans le vide ; il devait avoir momentanément perdu la boule lui aussi, à cause du stress.

Mathilde explique  :

Il a une oreillette, il parle à un gars de son équipe.

Comme si je n’avais pas compris  ! Tom Cruise dit  :

tu eux ourir la orte .

Le gars dans l’oreillette répond  :

Comment, je ne comprends pas ce que tu dis  ?

Moi non plus je ne comprenais rien  :

Faudrait qu’il aille chez un orthophoniste le Tom non  ?

Tom Cruise répète  :

our la ort  ! iiiiite  !

On voyait maintenant le gars de l’oreillette sur l’écran, il pianotait à toute vitesse sur un clavier d’ordinateur.

Mathilde avait les mains jointes  :

Ouf  ! Il a compris ce que disait Tom  !

Ou alors, il écrit juste son testament avant que son dentier lâche  !

Mais son dentier n’a pas lâché, et la porte du palier en face de Tom Cruise s’est ouverte. Celui-ci a commencé à se balancer au bout de son câble, et, lorsqu’il a eu suffisamment d’élan, a bondi vers l’ouverture. Avant d’atterrir sur le sol, il n’a pas pu s’empêcher de faire un salto avant, je peux comprendre, moi non plus je n’aurais pas pu m’en empêcher.

Il est trop, trop fort  ! s’est enthousiasmée Mathilde.

Ouai, mais il a quand même eu besoin de son copain le p’tit Mozart du clavier.

Ah, si Tom Cruise était là, a dit Mathilde rêveuse, il aurait déjà résolu ton…

Et elle s’est arrêtée net au milieu de sa phrase, ou au tiers, ou aux trois cinquièmes, on ne saura jamais, et elle a plissé les paupières, signe chez qu’elle se concentrait, ou qu’elle avait encore buggé  !

***

Mathilde  ? Eh Oh  ? Ecoute ma voix, à trois, tu vas te réveiller, un… deux…

Et Mathilde a bondi du canapé et filé en direction de la cuisine. D’où elle est revenue 21 secondes plus tard, avec un verre d’eau et un minuteur.

Bois ça  ! Elle m’a tendu le verre. J’obéissais, un peu effrayée. Est-ce qu’elle aussi avait perdu la boule  ?

Tu m’as bien dit que tes parents allaient vérifier si tu étais chez toi à 22h  ?

Euh… oui, surement, pourquoi  ?

Elle a posé le minuteur sur la table du salon.

Ok, on n’a pas de Tom Cruise sous la main…

Je soulevais ma main  :

Je confirme.

Mais par contre, on a un p’tit Mozart du clavier  !

Hein  ? J’ai raté un épisode  ? Tu parles de qui  ?

Tu sais très bien de qui je parle  ! Du seul, de l’unique, de notre dernier espoir  !

Quoi  ? Tu veux dire Jérémie  ?

J’avais l’impression de voir briller des flammes dans ses yeux. Dommage que j’ai déjà tout bu, parce qu’un bon verre d’eau dans la figure m’aurait permis d’éteindre ce début d’incendie et de la ramener à la raison.

Mais j’ai pas son numéro, et je connais même pas son nom de famille  !

Mathilde ne semblait pas m’avoir entendu. Peut-être avait-elle aussi un début d’incendie dans les oreilles  ? Pendant que je vérifierai si de la fumée ne sortait pas de ses conduits auditifs, elle remontait, imperturbable, le minuteur.

Voila  ! C’est le temps qu’il nous reste.

Je déglutis, le minuteur indiquait  : 15 minutes. Le présent venait de refaire une entrée fracassante dans ma tête  !

Chapitre 4 – Seule dans la nuit

Bon, tu as bien compris  ? a répété ma mère avec un bémol d’inquiétude dans la voix. On rentrera tard, peut-être après minuit, si tu as le moindre problème, tu n’hésites pas, tu nous appelles.

Mon père a re-poussé un soupir  :

Tout ira bien, ne t’en fait pas. GOGOL est là pour veiller sur toi.

Surtout pour me surveiller  !, ai-je répliqué avec un grand sourire.

C’est un peu la même chose non  ? a rajouté mon père en grimaçant de l’œil. (Ça y est, je sais enfin de qui je tiens mon problème de clin d’œil)

Ouai, « veiller » pareil que « surveiller ». Vous avez remarqué comme les parents se contentent souvent d’approximations  ? Je ne veux pas faire mon dico, mais là, il y avait quand même trois lettres qui faisaient toute la différence.

J’ai gardé mes réflexions orthographiques pour moi (et pour vous, lecteur attentif au sens des mots, de la vie… et du reste) et je me suis dirigée vers la porte d’entrée, pour leur indiquer la sortie.

Allez allez, sinon vous risquez d’être en retard.

Tu as ce qu’il faut pour manger dans la cuisine et… a commencé ma mère.

Oui, oui, j’ai compris, ne vous inquiétez pas. Je ferais bien attention avec le micro-ondes, je n’oublierai pas de fermer les robinets, je ne jouerai pas avec les allumettes ni avec le gros couteau à pain, et je ne mettrais pas les orteils dans les prises. Et si jamais j’oublie tout ça, qu’il y a une inondation, un incendie, ou que je me suis tranchée les deux mains ou électrocutée les pieds, et là j’ai montré ma bouche, mon nez et mes deux yeux, j’appelle le 112. (pour ceux qui n’ont rien compris, c’est un moyen de se rappeler le numéro d’appel d’urgence).

Ça a fait rigoler mon père, mais pas vraiment ma mère qui n’avait pas l’air très rassuré.

Avant qu’elle ne change d’avis, il l’a prise par la main, et l’a entraînée vers la porte que je tenais grande ouverte.

Amusez-vous bien  !

Mais ouiii, a répondu mon père joyeux, ça va être super  ! A tout à l’heure.

Et j’ai refermé la porte sur le regard dubitatif de ma mère.

Du milieu du salon, j’ai entendu GOGOL dire  :

Porte verrouillée.

***

Enfin seule  ! Quelle agréable sensation. J’étais déjà restée seule à la maison, mais uniquement le jour. Jour, nuit, mis à part dans la tête de mes parents, ça ne faisait aucune différence non  ?

Je supposais que leurs craintes venaient du fin fond des âges, lorsque à la nuit tombée, bêtes velues et dentues venaient se repaître d’innocents bipèdes, que la fin du jour avait surpris avant qu’ils n’aient eu le temps de rejoindre leurs cavernes, ou un délicieux steak de mammouth frite les attendait.

J’en étais là, de mes réflexions « anthropologiques », quand le téléphone a sonné  !

J’ai repensé à ce que m’avait dit Lou sur les commandes « standards » alors j’ai essayé un  :

OK GOGOL, décroche  !

Et j’ai entendu la voix de ma mère  !

Lola  ?

J’ai pris un air faussement étonné  :

Oui  ? Le spectacle est déjà fini, c’était bien  ?

Ne dis pas de bêtise on est parti il y a cinq minutes.

A peine  ? C’est que les minutes sans vous me paraissent des heures.

Bon c’était juste pour te dire qu’il y de la glace dans le congélateur pour ton dessert et…

Alors j’ai entendu la voix de mon père  :

Lola, ta mère voulais surtout vérifier que tout allait bien et que tu ne te noyais pas dans des larmes de désespoir. C’est bon  ? Tout va bien  ?

Et il n’a pas attendu ma réponse pour enchaîner  :

Parfait, on te laisse tranquille maintenant.

Et tu n’hésites pas à nous appeler au moindre souci  !a réussi à dire ma mère avant que ça ne raccroche.

Probablement un coup de mon père  !

Là, je crois que j’allais être tranquille pour un moment  ! Il était tant de tester les commandes « Spéciales ».

***

Je me suis approchée un peu plus près de GOGOL. Il bourdonnait légèrement, comme s’il s’était assoupi, mais je savais qu’il ne dormait que d’un œil et que d’une oreille.

OK GOGOL, tu m’entends  ?

J’écoute, a dit la machine.

Si ma mère était là, elle aurait été ravie de cette réponse, car elle me fait souvent remarquer qu’entendre c’est bien, mais qu’écouter c’est mieux  !

Allume la télévision.

Télévision allumée  ! a acquiescé GOGOL.

J’ai sortie de la poche de mon pantalon le stylo espion de Jérémie. J’ai appuyé sur sa tête, et mon père a parlé  !

OK GOGOL déverrouille le contrôle d’accès de la télévision.

GOGOL a semblé hésiter, mais il a fini par dire  :

Contrôle d’accès, déverrouillé.

J’ai sauté sur la télécommande et zappé sur toutes les chaînes. CA MARCHE  ! ! !

Je me suis mise à bondir dans tout le salon comme une balle qui aurait perdu la boule. J’avais réussi à pirater GOGOL, sans avoir besoin de retourner au club d’informatique.

Revoir Jérémie, ça m’aurait plutôt fait plaisir, mais avec Lou dans les parages… Enfin bref, Après avoir trituré le stylo et mon cerveau dans tous les sens, j’avais compris comment enregistrer plusieurs phrases, et comment les bidouiller sur l’ordi de mon père. Ok, je suis autorisée à l’utiliser uniquement pour faire mes exposés, mais bon, on va dire que le prochain sera sur l’évolution des stylos de l’antiquité à nos jours, comme ça tout le monde est content.

Ma joie rebondissante a été interrompue par le téléphone qui s’est remis à sonner. Un sublime triple salto avant, et j’ai atterri près de l’appareil (j’exagère, ce n’était peut-être qu’un double salto).

Je décrochais le combiné et sans même attendre qu’une voix n’en sorte, j’y déversais la mienne  :

Maman, je suis toujours vivante  ! car évidemment, ça ne pouvait être que ma mère (vous aviez déjà deviné, futés comme vous êtes)

Heureuse d’apprendre que tu es vivante, mais horrifiée de savoir que je suis ta mère  ! M’a répondu une voix qui n’était auditivement pas celle de ma mère… mais de Mathilde (ah ben finalement, vous n’êtes pas si futé que ça).

Et elle ajouté  :

Je suppose que tes parents sont partis, du coup tu peux descendre  ?

Ben… si j’arrive à ouvrir la porte avec mon stylo, je suis chez toi dans 2 minutes.

OK, si t’es pas là dans 121 secondes, je monte te libérer avec mon bazooka  ! Dépêches  !

Et elle a raccroché.

***

J’étais excité, mais aussi un peu effrayé. Est-ce que j’allais sortir de chez moi, sans l’autorisation de mes parents  ? En fait, ils ne me l’avaient pas vraiment interdit, GOGOL était censé « veiller » sur moi, donc empêcher quelqu’un de rentrer, pas de sortir  ! Parfait, ma bonne conscience n’a pas hurlé « objection votre honneur », je pouvais donc passer à l’action.

J’avais à peine commencé à me diriger vers la porte d’entrée, qu’un bruit venant de la rue me fit sursauter. Le bruit caractéristique d’une voiture qui se gare  : Vreee, critchhh (lisez en fermant les yeux, vous allez voir on s’y croirait).

Je me suis précipitée vers la fenêtre, les oreilles et le cœur battants. Elles ne s’étaient pas trompées mes oreilles, tout en bas c’était bien une voiture qui s’arrêtait près du trottoir… la voiture mes parents  ! Ah mais non. Pas du tout. Mes yeux eux, avaient tout faux  : oreilles 1, yeux 0. C’était juste un utilitaire gris, qui venait de se stationner près de l’entrée de l’immeuble. Alors, soit mes parents avaient trouvé un concessionnaire ouvert un vendredi soir après 19h, et ils avaient acheté une nouvelle voiture (ils auraient pu me demander mon avis, au moins sur la couleur), soit ce n’était pas eux.

Mon cerveau surentraîné a penché pour la deuxième solution, mais j’ai quand même attendu que quelqu’un descende du véhicule suspect pour être complètement rassurée. Dix secondes plus tard, personne n’en était encore sortie. J’ai décidé à l’unanimité que je n’allais quand même pas passer le reste de ma vie plantée devant une fenêtre, alors je suis retournée vers la porte d’entrée.

Cette fois ci, j’étais prête. J’ai levé mon stylo comme Moïse son bâton lorsqu’il fit s’ouvrir la mer rouge (bonjour la panique chez les poissons, mais ça Moïse, il s’en fichait). J’ai appuyé sur sa tête, une fois (oui, sur la tête du stylo, pas celle de Moïse, merci de suivre un petit peu), et la voix du premier enregistrement a tonné dans la pièce. C’était la voix de Dieu… euh non je me suis laissée emporter par cette histoire de mer et de poissons coupés en deux ; c’était juste la voix de mon père, qui a prononcé ces paroles prophétiques  :

OK GOGOL, déverrouille la porte d’entrée.

GOGOL a obéi, et répondu à son appel par un monotone  :

Porte, déverrouillée.

***

Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre que le bruit de moteur électrique qui avait précédé l’annonce de GOGOL, était celui du module d’ouverture. J’ai approché ma main de la poignée de la porte. L’heure de vérité avait sonné à…

OK GOGOL, quelle heure est-il  ?

Il est, 19 heures 31 minutes et 20 secondes.

Je reprends, l’heure de vérité avait sonné à 19 heures 31 minutes et 20 secondes.

J’ai actionné la poignée et… (suspens), soudain (re-suspens), subitement (re-re-suspens, désolée pour les personnes ayant un pacemaker), la porte, cette objet rectangulaire et massif qui délimitait la frontière entre le monde libre et mon enclos surveillé… s’est effacée  ! (Vous pouvez à nouveau respirer… en tous cas ceux qui n’ont pas fait de crise cardiaque)

***

J’avais le cœur qui battait à tout rompre et des fourmis dans les jambes. Je les actionnais pour chasser ces indésirables hyménoptères (des fourmis, pour les gens qui ont de la culture… ou l’internet), et en deux petits pas pour moi, mais deux grands pas pour la liberté, je me suis retrouvée sur le palier.

J’ai poussé un grand soupir. J’avais réussi  ! Je me retournais pour regarder tout le chemin parcouru depuis que mes parents étaient partis. J’ai pensé qu’ils seraient fiers de moi  ! Et puis j’ai réfléchi… euh, pas vraiment en fait.

Bon c’était pas tout ça, mais Mathilde m’attendait depuis plus de 121 secondes et vue qu’elle n’était pas là avec son Bazooka, il était tant de descendre la rejoindre.

J’ai refermé la porte, en jetant un dernier coup d’œil à GOGOL qui trônait fier comme un suppositoire au milieu du salon et, à travers la porte, j’ai entendu une voix monocorde prononcer  :

Porte, verrouillée.

Juste après cette annonce, ma température interne a chuté d’au moins 36 degrés.

Chapitre 3 – Bienvenue chez les geeks

Tout en marchant dans les couloirs du collège en direction du club d’informatique, je repensais aux conseils que m’avaient donné mes amies  :

« Tu touches à rien, et surtout pas aux claviers, ils élèvent des microbes mortels dedans  ! »

« T’acceptes ni nourriture, ni boisson  : ils mangent et boivent n’importe quoi à n’importe quelle heure  : des vieux bouts de pizza, des biscuits périmés et même leurs rognures d’ongles  ! »

« Tu vas te nettoyer les mains après être sortie de leur caverne, et t’oublie pas de faire un shampoing anti-poux ce soir, les geeks se lavent les cheveux aussi souvent qu’ils changent de slip  ! »

Je suis sûre qu’elles exagéraient, n’empêche, j’avais un peu mal au ventre en arrivant devant la porte du Club, et ce n’était pas forcément à cause de mon « steak en carton frite en bois » de la cafet’.

J’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai frappé à la porte avec celle qui me restait (Bien vu, ça fait trois mains en tout ; mais je suis une mutante que voulez-vous  ?).

***

Trois secondes venaient de s’écouler, trois précieuses secondes, dans ma vie qui en comptait à peine plus de 354 708 124 ; je commençais à m’impatienter.

Je les imaginais déjà, tous collés à leurs écrans avec leurs casques, en train de ricaner en regardants de stupides vidéos.

J’allais frapper à nouveau, avec mon pied cette fois-ci, car j’ai beau être patiente, compréhensive, à l’écoute de mon prochain et tout et tout, mais attendre plus de 5 secondes, ça fini par m’exciter  ! Mon pied n’eut pas le temps de toucher la porte (deuxième portion de passé simple, merci, de rien) qu’un bruit de pas l’interrompit dans son élan ; oui, mon pied à parfois des oreilles. Quelqu’un ou quelque chose avait bougé dans la pièce. Et ce « un » ou cette « chose » se rapprochait de la porte.

Cette fois mon imagination a projeté au fond de mon crâne des images de zombis assoiffés de chair fraîche ; je sais bien qu’on ne peut pas être assoiffé de chair, mais je suppose qu’ils m’auraient d’abord passé au mixeur avant de me suçoter avec un paille  ! ! !

Heureusement, je n’ai pas eu le temps de voir la fin de mon film d’horreur, que la porte s’est ouverte…

Ce n’était pas une « chose » ni un « un », mais une « une » qui me fit face (maintenant que le passé simple est assimilé pour tout le monde, autant en profiter non  ?).

C’était donc une fille, qui se tenait devant mes yeux écarquillés comme si on m’avait scotché les paupières.

Jérém’, ton RDV est là.

Ainsi parla la fille  ! et avec un air dédaigneux, elle s’est écartée de la porte. Là, en plus des paupières, j’étais scotchée, de la tête au pied  ! La voix de Jérémie m’a sorti de ma torpeur  :

Tu peux rentrer, tu sais  ?

J’avançais prudemment d’un pas, pour voir l’intérieur de la pièce. Il y avait seulement Jérémie, et la fille qui me regardait comme si j’étais la dernière de mon espèce.

Et tu peux fermer la porte, a-t-il ajouté en souriant, on ne va pas te manger  !

J’ai chassé la vision fugitive de mes zombis à paille, qui venaient de refaire irruption dans ma tête, et je me suis retournée pour fermer la porte. Et puis je l’ai rouverte et refermée, pour être sûr de pouvoir m’enfuir en cas d’épidémie foudroyante de cannibalisme  !

Je me suis approchée de Jérémie qui regardait mon manège, un tier-étonné, un tier-intrigué, un tier-amusé (ça permet de réviser un peu les fractions).

Quand je suis arrivée près de lui, il s’est levé brusquement comme s’il venait de se rappeler d’une envie pressante  ! Mais il ne s’est pas enfui aux toilettes, il s’est contenté de tirer une chaise, et de me la proposer de fort galante façon  :

Mademoiselle, si vous voulez bien vous asseoir…

Séance tenante, j’y déposais mon noble séant (je me suis assise en résumé).

La fille s’est également assise, non loin de nous. Des tas de questions ont fusé dans ma tête. Qui était-elle  ? Qu’est-ce qu’elle faisait là  ? Quelle était la nature des rapports qu’elle entretenait avec le suspect… euh, Jérémie…

Je te présente Louise, a dit Jérémie, comme s’il avait lu dans mon esprit  !

La fille s’est renfrognée avant de corriger  :

Lou, je préfère qu’on m’appel Lou.

Enchantée  ! Moi, c’est Lola, ai-je dis en prenant un air que j’espérais innocent.

***

Je crois que certains mots, prononcés avec le bon ton, agissent comme des formules magiques. Mon « Enchantée » enjoué a semblé décongeler les zygomatiques de Lou, qui a fini par me rendre, à moitié, mon sourire.

L’atmosphère s’étant réchauffée, à moitié, j’en profitais pour détailler la pièce discrètement. Il y avait une dizaine de postes informatiques tout au long des murs et au milieu, une grande table jonchée de bric à brac électronique et de cartons plus ou moins ouverts.

Un objet improbable a attiré mon attention. Jérémie, à qui rien ne semblait échappé, a répondu à la question qui était à peine en train d’émerger dans mon esprit  :

C’est une bouteille de shampoing anti-poux. Tu sais ce qu’on dit sur les Geeks et leur supposée propreté  ?

Une légère chaleur a commencé à envahir mes joues  :

Euh, non, je vois pas…

Pour détourner la conversation, je lui ai alors montré un grand panneau sur le mur d’en face  :

Et ce drôle de calendrier  ?

Il a poussé un soupir  :

A ça… c’est censé nous rappeler quand on doit changer de caleçon.

J’ai tellement ouvert les yeux que j’ai cru qu’ils allaient sortir de leurs orbites. Sur le calendrier, il y avait, pour chaque mois, un autocollant en forme de caleçon et un autre en forme de…

Et aussi quand je dois changer de culotte  ! a poursuivi Lou, qui me regardait hilare.

J’ai senti sur mon visage, que super tomate était revenue  !

***

Quelques grains de plus sont tombées au fond du grand sablier de ma vie (parfois, je suis un peu poétesse) avant que Jérémie ne reprenne la parole  :

Ne fait pas attention à ça, c’est de l’humour d’informaticienne  ! Le plus important c’est que je crois qu’on a trouvé une solution à ton problème…

Le « on » c’est Jérém’ et moi, à précisais Lou.

Ah bon, voilà que maintenant elle faisait partie de la bande des « pirates de concombre espion 2.0 ». C’était un peu fort non  ? Cette fille qui débarque d’on ne sait où, et « Jérém’ » lui raconte tout de nous  !

J’allais exploser dans un feu d’artifice de vocabulaire bien senti, quand la partie raisonnable de mon cerveau, une toute petite partie selon mes parents, a soufflé sur la mèche. Parce qu’à bien y réfléchir, la fille qui débarque, c’est un peu moi, non  ? Fugitivement, il m’a semblé voir passer devant mes yeux une mouche, qui tirait une banderole où il était écrit  : « Jalouse ». D’un mouvement de main, j’écartais l’insecte fantôme et j’effaçais ce mot de mon esprit.

Alors voilà ! a poursuivi Jérémie, en me mettant son stylo sous le nez.

Le stylo  ? ai-je dit, avec un brin d’ironie dans la voix. C’est ça « votre » solution  ?

Ce n’est pas un simple stylo  ! a répondu Lou avec un sourire malicieux

Ah bon, c’est quoi alors  ? Une baguette magique d’où va sortir un bon génie pour nous dire comment faire  ? ai-je retorqué, avec un deuxième brin d’ironie dans la voix.

En guise de réponse Jérémie a appuyé sur sa tête (celle du stylo, pas la sienne, il faut suivre un peu  !) qui a fait CLIC… et le bon génie du stylo s’est mis à parler  ! Et il avait ma voix  ! ! !

***

Cette fois ci, ce sont mes oreilles qui ont faillis sortir de leurs orbites. Je me suis entendu dire par la bouche du stylo  :

Et le fou dit à l’autre  : et elle s’appelle Robert  ! Et ne l’appelle pas « Revient », ça pourrait la vexer  !

Ok, gadget typique du Geek, un stylo enregistreur. C’était donc pour ça que Jérémie avait joué avec ce matin. Eh  ! mais il y avait un truc qui clochait, la chute de la blague nulle était encore plus nulle, elle n’était plus dans le bon ordre  !

Tu as trafiqué l’enregistrement  !

Oui  ! a confirmé Jérémie, apparemment content de ma remarque, et c’est ça la solution  !

C’est bon, va s’y explique lui, s’est impatienté Lou.

Pas la peine, je crois que j’ai compris. Il faut que j’enregistre mon père, et ensuite, je bidouille l’enregistrement, pour pouvoir commander le bidule.

Parfois j’ai des éclairs de génies.

Les sourcils de Jérémie ont fait comme un sourire, et sa bouche a suivi le mouvement.

Waou, ça carbure là-dessous  !

Je crois que je l’avais impressionné. Lou a choisi ce moment presque idyllique, pour venir rompre la connexion qui commençait à s’établir entre nous.

Ok, on fait la démo ou vous continuez à vous regarder dans le blanc d’œuf des yeux  ?

Moi, je trouvais qu’il avait de jolis blancs, mais je n’ai pas eu le temps de poursuivre la visite de ses globes oculaires. Jérémie s’était déjà levé pour suivre Lou au centre de la pièce. Arrivés près de la table jonchée de bric à brac, ils ont plongé leurs mains dans un des cartons ouverts, et ils en ont sortie…

Mais qu’est-ce qu’il faisait ici celui-là  ? Aucun doute, c’était bien de ma courgette, aubergine, cornichon, obus truc bidule surveillant espion qu’il s’agissait.

***

Je regardais, incrédule, autour de moi. M’étais-je trompée de porte  ? Étais-je au Club de Sorcellerie plutôt qu’à celui d’Informatique  ? Et dans ce cas, comment ce faisait -il que ce Club maléfique n’apparaisse pas sur le plan du collège, et que je n’en ai jamais entendu parler  ?

C’est seulement la version 1.9, mais ça devrait suffire, a commencé à expliquer Jérémie.

Hein  ? Quoi  ? 1.9  ? Voilà qu’il me parlait en langage Geek  !

Ouai… a poursuivi Lou, c’est le vieux modèle, il a au moins six mois  !

Sans m’en rendre compte, j’ai commencé à me gratter le sourcil gauche, ça me fait ça quand je reçois trop d’informations sans queue ni tête. Je crois que Jérémie a vu mon embarras, parce qu’il a cru nécessaire de me fournir des explications  :

Mon oncle est vendeur de matériel informatique. Quelques fois, il nous donne des vieux trucs défectueux. C’est comme ça qu’on a récupéré le « surveillant » le mois dernier. On a pu le remettre en état. Ça, c’est le modèle précédent, son numéro, sa version si tu préfères, c’est la 1.9 ; tu comprends  ? Mais il fonctionne comme le nouveau modèle, la version 2.0 …

Puis devant mon absence de réaction, il a répété doucement  :

Tu comprends  ? C’est presque le même assistant que ton « GOGOL », sauf que le nôtre s’appelle « ADA » (si vous savez pour quelle raison mystérieuse ils l’on appelé ADA, n’hésitez pas à l’écrire là  :           ).

Lou semblait exaspérer  :

Mais oui, elle comprend  ! Allez, on lui montre comment ça marche  !

Tous ces 2.0 et c’est 1.9 se sont mis à valser dans ma tête, sur un air de Chopin pour être précise (j’ai une grande culture musicale dont je tenais à vous faire bénéficier). Alors, avant d’avoir le tournis, j’ai décidé que c’était l’heure de la pause et je suis restée assise, à les regarder brancher la « surveillante », parce qu’ADA du coup, c’est une fille (comprendo  ?). Et je dois bien admettre qu’ils se montraient très efficaces. Jérémie et Lou semblaient vraiment être sur la même longueur d’onde, un peu trop à mon gout, j’ai entendu quelqu’un dire « Jalouse »  ?

***

Le temps de lire 36 fois cette phrase, ils avaient terminé (c’est une blague, ne la relisez pas 36 fois… 35 ça suffira  !).

Ils étaient chacun d’un côté du bidule, fières comme si c’était leur enfant. Pendant un terrible instant, j’ai vu la tête de mes parents se superposer à la leur  ! J’ai chassé cette horrible vision (pardon Papa, pardon Maman si vous lisez ces lignes… Hé  ! Mais vous lisez mon journal là  !).

Je me suis rapprochée de Jérémie  :

Impressionnant, vraiment très impressionnant  ! (Pour ceux qui prennent des notes, oui, j’ai utilisé la même expression que ma mère)

Jérémie a légèrement rosi, ça m’a fait plaisir, et il a commencé à bafouiller, ça m’a fait encore plus plaisir  :

Euh… alors… bon… euh… maintenant…

Au 15eme petit point (comptez si vous ne me croyez pas), Lou a craqué. Elle a pris la suite, tendu la main et demandé, comme une chirurgienne à un infirmier  :

Stylo  !

Et Jérémie lui a tendu le stylo.

Ok, maintenant on va procéder à l’opération. Lola, tu prends le stylo ; Jérém’, tu fais comme si tu étais le père de Lola, et toi Lola, tu dois le faire parler, pour qu’il demande à ADA d’ouvrir la porte, et tu l’enregistres discrètement. Comprendo  ? (Hé  ! Si en plus elle me piquait mes expressions entre parenthèses  !)

J’avoue, ça avait l’air plutôt marrant, alors je me suis tournée vers Jérémie et de ma plus belle voix, j’ai dit  :

Salut Pa’  ! Ça s’est bien passé au boulot aujourd’hui  ? Les collègues étaient sympas  ? T’as bien mangé à la cantoche  ? et « Clic », j’ai appuyé sur la tête du stylo.

Jérémie m’a regardé ne sachant trop quoi répondre, je l’ai encouragé d’un regard bienveillant et de mon plus beau sourire, mais ça n’a pas suffi à lui dégeler la mandibule, alors Lou l’a encouragé à son tour, mais d’un coup de coude dans les côtes, ce qui a eu pour effet de mettre sa langue en mouvement  : encore un mystère du corps humain.

Euh… oui… très bien, et toi  ?

Oh moi ça va, mais c’est plutôt la porte d’entrée qui m’inquiète, clin d’œil à Lou, j’ai l’impression qu’elle coince  !

Là, je méritais un Oscar.

La porte  ? Mais non, regarde  : « OK ADA, ouvre la porte  ! » tu vois bien qu’elle fonctionne  !

Il commençait à bien sentir son rôle, un sérieux concurrent pour les Oscars  ?

Coupez  ! a crié Lou, on a tout ce qu’il faut  !

Dommage, je commençais à apprécier mon partenaire et je voyais que c’était réciproque, peut-être un peu trop aux yeux de Lou. Quelqu’un a redit « Jalouse »  ?

***

Ensuite, tout est allé très vite, Lou a branché le stylo sur un ordinateur, elle a cliqué un peu partout, lancé un logiciel, ouvert un fichier, couper/coller/copier et sauver, sous le regard attentif de Jérémie et le regard médusé de moi-même. Puis, elle m’a tendu le stylo, et apparemment très fière d’elle, a claironné  :

Ta daaaaa  ! (Pour les mélomanes, le « ta » est en La et le « daaa » et en Si)

J’ai appuyé à nouveau sur la tête du stylo qui a fait CLIC, et qui a dit  :

Ok ADA, ouvre la porte  ! avec la voix de Jérémie.

Parfait  ! a dit Jérémie, avec la voix du stylo, et maintenant on essaye avec la « Surveillante ».

Lou a cru nécessaire de m’expliquer que la « surveillante » avait deux niveaux de commandes  :

Pour les commandes « standard », elle répond à n’importe qui.

Ok, j’avais compris, le « n’importe qui » c’était moi, mais pour lui faire plaisir, je l’ai relancé  :

Comme demander la météo, ou écouter une musique, ou dire une blague débile  ?

Ouai, si tu veux. Mais pour les commandes « spéciales » elle n’obéit qu’à la voix de son maître.

J’ai fait un pas vers Jérémie et je me suis prosternée.

Oh, grand maître Jérémie  !

Le grand maître a rougi.

Euh… c’est juste pour la démonstration.

Et il s’est approché de la « surveillante » et lui a dit  :

OK ADA, ouvre la porte.

Cette bonne vieille ADA, elle avait 6 mois quand même, a répondu « Porte ouverte  ! », avec une jolie voix féminine. Machinalement, je me suis tournée vers la porte, mais elle n’avait pas bronché  !

Lou s’est empressée de se justifier  :

On n’a pas le module d’ouverture de porte.

Ah bon  ? pas de module  ? ai-je demandé, avec un zest de provocation.

Lou m’a lancé un regard noir comme une banane trop mûre (C’est un jeu de mot multifruit, c’est bon pour la santé  !). Jérémie m’a demandé de répéter la phrase.

C’est bien parce que c’est toi, oh grand maître  !

Je l’ai gratifié d’une jolie grimace de l’œil droit (c’est horrible, je ne sais pas faire les clins d’œil), et je me suis tournée vers ADA  :

Ok ADA, peux-tu ouvrir la porte s’il vous plaît  ?

Ce n’est pas parce qu’on s’adresse à une machine qu’il faut oublier la politesse.

Vous n’avez pas l’autorisation  ! m’a répondu ADA de sa douce voix.

La politesse ça n’ouvre pas toutes les portes apparemment.

Lou, a repris l’initiative  :

Va s’y, essaye avec le stylo.

J’ai pressé la tête du stylo, il en est sorti la formule magique prononcée par le grand mage Jérémie, et ADA a répondu  :

Porte ouverte  !

***

Après ça on a tous quitté le Club précipitamment, car la sonnerie de 14h a retenti. Et je déteste arriver en retard à mes cours, au moins autant qu’arriver en avance.

Jérémie m’a dit que je pouvais revenir quand je voulais, pour bidouiller mes enregistrements espions. Lou m’a sauté au coup, ma fait un gros bisou et m’a tapé dans la main… euh, non, en vrai elle m’a juste dit « Salut » du bout des lèvres, enfin c’est ce que j’ai cru, peut-être n’a-t-elle même pas ouvert la bouche.

Avant de rejoindre mon cours d’anglais, je me suis dit qu’il faudrait que j’en apprenne plus sur cette fille.