Et le matin a fini par arriver, mais de justesse. Il était déjà 10h30 lorsque je me suis réveillée le lendemain. J’ai secoué la tête pour m’ébrouer des songes de ma nuit agitée.
Sur le tabouret, il y avait toujours la boîte et le téléphone, deux objets pourvoyeurs de problèmes dont j’aurais rêvés me débarrasser. J’ai quand même rallumé le mobile, au cas où, des fois que (premier symptôme de la dépendance ? Pitié, je ne veux pas devenir réseau-sociopathe !).
Mal m’en a pris, un SMS de Jérémie m’attendait depuis l’aube (environ 9 heures pour un dimanche).
« Rendez-vous au parc à 11 heures, Jérém’»
Super encore un rendez-vous d’affaire, et plus qu’une heure pour me préparer ! Je me suis habillée en version loto, j’ai tiré au hasard des vêtements trouvés sous, sur, devant, derrière et dans mon lit (on était dimanche, et j’allais pas à la messe), et pour être franche, je crois bien que je n’avais pas tiré le gros lot !
***
– Lola, tu es tombée dans le panier à linge sale ?
C’est par ces mots encourageants que mon père m’a apostrophée depuis la table de la cuisine.
– Non, c’est juste que j’ai adopté ton style « décontracté » du week-end. Je dois retrouver Jérémie au parc, je peux y aller ?
J’ai senti que mon père se demandait si ma réponse méritait une réponse, mais sa réflexion sur ma réflexion a été opportunément interrompue par ma mère depuis le bureau :
– Et ton petit déjeuner ?
Parfait, la conversation déviait sur le sujet préféré de mon cuistot préféré.
– Pas le temps, je me rattraperai à midi.
– Pas grave, a jubilé mon père, j’ai prévu un super dessert, avec la glace que tu n’as pas mangée hier.
Ail ! Maintenant il fallait que je trouve rapidement le moyen de m’en débarrasser avant que mon père ne découvre qu’il y avait un « kiwi dans l’potage » (traduction d’une expression néo-zélandaise issu d’une expression française, je crois).
– Euh, finalement, je vais prendre un grand p’tit dèj’ !
***
Dong ding ! Mais qu’est ce qui clochait avec cette sonnette ?
– Oh ! Hello Loula, comment va-tou?
– Hello, very good, merci !
C’était le père de Mathilde qui venait de m’ouvrir, et heureusement pour moi, son accent me laissait moins circonflexe que celui de Mammy.
Il se tenait dans l’encadrement, grand et flegmatique comme un poteau téléphonique (fils de poteau télégraphique), vêtu d’un peignoir bigarré en tissu probablement recyclé, et de pantoufles pareillement dépareillées : une rouge et une verte, sa main droite nonchalamment posée sur la hanche (droite également, son bras c’est pas la Manche quand même !).
Pourquoi, malgré son accoutrement aussi hétéroclite que le mien, lui avait l’air de sortir de chez son riche tailleur, et moi d’avoir survécu de justesse à un accident de cabine d’essayage ?
J’en étais là de mes pensées ethnologiques, lorsque la tête de Mathilde est apparue dans l’encadrement formé par le bras de son daddy dandy (ok, les jeux de words, faut pas en abuser).
– Que me vaut cette visite dominicale ma chère amie ? Auriez-vous des révélations croustillantes à me faire sur notre ténébreuse affaire.
– Oh ! Oh ! je pwéfèwe éloigner mes gwandes oweilles bwitanniques de vos petites manigances, a dit son père tout en levant un sourcil comme s’il allait y caler un monocle (un genre de paire de lunettes pour cyclope). Puis il s’est effacé avec l’élégance et la légèreté d’un nuage de lait dans une tasse de thé.
– J’ai rendez-vous avec Jérémie, au parc.
– Oh ! Oh ! je pwéfèwe éloigner mes petites oweilles semi-bwitanniques, de vos grandes manigances !
– Justement pas, tes petites oreilles à tête chercheuses vont venir avec moi, j’ai besoin d’un Watson pour conclure cette enquête !
– De quel Watson as-tu besoin cette fois ma chère Lola Holmes ?
– Docteur ou Emma, c’est comme tu le sens.
– Ok, c’était juste pour savoir si je devais mettre une moustache ou une perruque blonde.
– Ton système pileux d’origine devrait largement suffire, viens comme tu es.
– Tu veux dire avec mes pantoufles rouge et verte ?
J’ai baissé les yeux. Bon sang ! Mais qu’est-ce qui clochait aussi avec les pantoufles ici ?
***
J’ai suivi Mathilde à l’intérieur de sa « demeure ».
– Dans deux minutes, je suis prête…
– Attends ! Avant, tu pourrais te débarrasser discrètement de ça ? et j’ai sorti la glace de mon sac à dos.
– Woua ! Ça c’est pire que du Jelly ! Direction la poubelle !
Mon père allait sûrement se poser des questions sur la mystérieuse disparition de la glace, mais c’était mieux que de s’en poser sur la mystérieuse apparition de cette odeur repoussante !
121 secondes plus tard, Mathilde est réapparue et apparemment, au loto vestimentaire, on avait joué les mêmes numéros.
On allait sortir lorsque son père nous a interpellées :
– Excuse me my dear daughter, but… what is this ? (Excuse moi ma chère fille, mais qu’est-ce que cela ?)
Misère ! Il tenait le pot de glace ouvert dans sa main droite et une petite cuillère en argent (sûrement échappée de chez Mammy, après avoir subi le supplice du Jelly) dans sa main gauche.
– Euh, daddy, it’s… (Euh, papa, c’est…)
– Delicious Mathilda, it’s delicious ! et il a léché la petite cuillère (qui devait commençait à regretter le bon vieux temps du Jelly)
– C’est un cadeau… de Lola !
– Oh, Merci Loula de me faire decouwiwe ce côté obscoure, de la gastwonomie Fwançaise que je ne connaissais pas encowe ! Finalement, nous avons des goûts gustatifs en commun, no ?
Definitely… No ! (Définitivement… Non !)
***
– Alors ? m’a dit Mathilde, tandis que nous cheminions en direction du parc, pas de signes de transformation vampirique ? Elle m’a regardé consternée, rien pas le moindre accroc, ni trace de crocs.
– Désolée de te décevoir, mais je crois que je n’étais pas à son goût, mon subtil parfum de glace à l’ail l’a probablement repoussé, ou alors la vérité est bien pire : Sveta n’est pas la nounou de mes rêves de chiroptère !
J’ai compté 25 pas sans que nos bouches ne s’ouvrent (île du record en vue mon capitaine !), mais au vingt sixième, Mathilde a craqué :
– Qu’est-ce qu’on va dire au reste de la bande ?
La « bande », voilà qu’on avait basculé dans la Bibliothèque Verte ! (Mathilde est adepte des boîtes à livres dans lesquelles elle déniche des bouquins, dans lesquels elle déniche des mots, qui datent pour la plupart d’avant Gutenberg).
Hum, qu’aurait répondu une héroïne d’un de ces romans de papier jaunies…
– Euh… que du rêve à la réalité, il y a parfois un fossé que seul l’imagination peut combler ?
Mathilde m’a lancé un regard de méduse :
– Finalement… je crois qu’on ne va rien leur dire.
***
Et le parc a fini par se présenter sous nos pieds.
Le dimanche, il est toujours envahi par tout un tas d’adultes agités du mollet (Je crois bien que ce sont les mêmes qui se plaignent de courir toute la semaine !).
Mathilde a mis sa main en casquette et sa tête a commencé à pivoter comme celle d’une chouette. Heureusement, avant qu’elle ne se dévisse une vertèbre :
– Ils sont là-bas !
Ils ? Je regardais dans la direction qu’elle m’indiquait.
Ok, impossible de rater Jérémie, il était à côté de son double : Lou et de son triple : Alex.
En quelques enjambés, « là-bas » est devenu « ici ».
Sans concertation mais avec une parfaite synchronisation, la bouche de Mathilde et la mienne ont alors prononcé un « Salut », que Lou a apprécié à sa juste valeur :
– Mathilde et Lola, une même langue dans deux corps différents.
J’ai pensé très fort : « Lou, deux langues, dont une de vipère, dans le même corps », mais je me suis abstenue, car je crois que bien malgré moi, je commençais a apprécié son humeur sarcastique.
Jérémie m’a alors souri comme s’il avait capté mes ondes cérébrales (aurait-il des paraboles à la place des oreilles ?), je lui ai rendu son sourire, qu’il m’a rendu aussitôt et que je lui…
– Hum… a dit Alex, je ne voudrais pas interrompre votre partie de ping-pong des zygomatiques, mais… si on se mettait un peu à l’écart pour discuter de… et il a murmuré… vous savez quoi.
Mathilde a bondi à ses côtés.
– Allons-y la bande ! et Jérémie et moi avons suivi le mouvement.
– Je suppose que je fais aussi partie de la « bande » moi aussi, a bougonné Lou, enfin, si ça dérange personne.
***
Nous étions maintenant éparpillés dans l’herbe comme des fruits tombés de l’arbre qui nous surplombait (un chêne je crois).
– Bien ! a dit Lou, qui reprenait les choses en bouche, va s’y Jérém’, montre leurs.
Jérémie a farfouillé dans sa poche, les yeux effervescents comme si deux cachets d’aspirines avaient remplacé ses pupilles, et il en a sorti… un banal téléphone. J’ai croisé le regard de Mathilde, elle avait sous les narines une moue de déception qui n’a pas échappée à Alex :
– Ne fait pas cette tête Mathilde, ce qui compte, c’est le contenu, pas le contenant, et il lui a adressé un clin d’œil (que j’ai ajouté à la longue liste des choses auxquelles je devrais réfléchir).
Jérémie a appuyé sur l’écran, une image indéterminée est apparue.
– Bon, tout le monde a compris, c’est la carte de la ville vue de dessus, a dit Lou.
Euh, tout le monde moins une personne en fait.
– Ah d’accord, a dit Mathilde, je voyais pas ça comme ça (Merci Mathilde, ça fait tout le monde moins deux personnes). En même temps je suis pas un oiseau, afin… même si mon père dit souvent que j’ai une tête de linotte.
Alex a eu un hoquet de rire (il apprécie vraiment Mathilde ou c’est moi qui m’imagine des choses ?).
– Bref, a continué Lou, et là le point rouge…
– C’est le traceur dans la boîte, a terminé Jérémie, et il a levé la tête vers moi. Lola, est-ce que tu sais où habite Sveta ?
– Ben, je crois qu’elle m’a dit qu’elle logeait à la cité universitaire, mais ça ne peut pas être la boîte, je glissais la main dans mon sac à dos, parce que comme je te l’ai dit hier… Mais Lou m’a interrompu :
– C’est ça ! Regardez sous le point, elle vibrait d’excitation, c’est pas le hasard si c’est pile au centre de la cité universitaire !
J’ai alors sortie ma main et l’ai avancée lentement comme si je tenais une relique sacrée :
– Et ça… c’est pas une hallucination !
***
– Mince ! a dit Jérémie un peu confus, je pensais que tu avais mal vu, ou que j’avais mal compris, ou que… enfin tu sais… passé minuit certaines conversations deviennent…
Surréalistes, oui, je savais, mais là ce n’était pas un problème de vision ou de compréhension, la boîte était dans ma main, alors que le traceur indiquait qu’elle était à plusieurs milliers de mètres. Comment résoudre un pareil paradoxe ? (La réponse : « parce que Lola à un bras de plusieurs kilomètres de long » ne sera pas acceptée !)
– Ben…, a commencé Mathilde, si je comprends bien, le point devrait indiquer la position de Lola, alors qu’il indique la position de Sveta c’est ça ?
– Oui, c’est exactement ça ! lui a répondu Alex, et c’est rigoureusement et scientifiquement impossible ! (Pas d’autres adverbes à ajouter)
– Sauf si le traceur a été subrepticement sorti de la boîte, a ajouté Jérémie (ah oui, cet adverbe-là, je n’y avais pas pensé).
– Ça n’aurait aucun sens, mais c’est facile à vérifier non ? m’a lancé Lou sur un air de défis.
Mathilde a remis sa robe d’avocate :
– Bien sûr que c’est facile, comme va vous le démontrer ma cliente. Miss Holmes, si vous voulez bien procéder !
Soupir. J’ai appuyé sur le bord de la boîte, là où le mécanisme d’ouverture était censé se trouver et… rien n’a bougé !
– Hum… miss Holmes ?
– Euh… on dirait qu’elle est coincée, Jérémie peut-être que toi ?
Délicatement, il l’a saisie dans ma main et a appuyé, sans plus de succès.
– Rien à faire, le mécanisme doit être bloqué, peut-être à cause du traceur ? et il l’a posée dans l’herbe, au centre de notre cercle de perplexité.
Alex s’est alors penché, et j’ai vu ses sourcils se rapprochés comme s’il essayait de se presser le ciboulot, puis ses yeux se sont dessillés :
– Peut-être. Mais peut-être… qu’il y a une autre explication. Si la boîte ne s’ouvre pas, c’est peut-être qu’il n’y a pas de système d’ouverture, et s’il n’y a pas de système d’ouverture…
– C’est peut-être qu’il n’y a rien l’intérieur ? a terminé Mathilde, j’ai déjà entendu ça quelque part, et elle a fait un clin d’œil à Lou.
Oui, moi aussi j’avais déjà entendu ça (et vous aussi, sauf si vous lisez avec des bouchons d’oreilles dans les yeux), mais qu’est-ce qu’il voulait dire par là, on savait tous qu’il y avait quelque chose à l’intérieur, non ?
J’ai penché la tête à mon tour vers la boîte et là, j’ai vu ce qu’Alex regardait vraiment. Juste à côté, a demi caché dans l’herbe que le printemps avait ressuscité d’un hiver mortifère j’ai vu (on est en plein suspens botanique là !), à même la terre nourricière du noble bicentenaire qui nous ombrageait de son feuillage verdoyant j’ai vu… bon, j’abrège, parce qu’on est pas du côté de chez Swann ici (RIP Marcel Proust, mais pas dans ma bibliothèque STP)… j’ai vu donc… deux glands !
***
Alors, soit Alex avait du sang de sanglier et la vue de ces deux glands avait réveillé chez lui une faim de marcassin, soit…
Je me suis rapproché du sol jusqu’à loucher, maintenant les deux glands n’en faisaient plus qu’un, j’ai reculé jusqu’à ce qu’ils se dédoublent à nouveau, puis j’ai lentement relevé la tête. Tout le monde était silencieux et tout le monde me regardait, comme si je n’étais pas comme tout le monde. Sauf Alex qui semblait m’encourager du regard.
– Hum… Lola, a commencé Mathilde qui visiblement essayait de justifier mon étrange comportement, tu as trouvé deux nouveaux spécimens pour ta… collection… de fruits à coque ?
Lou a grimacé un demi-sourire :
– Ouai, point de vue spéciwomen, je crois qu’on en a trouvé une bonne là !
– Arrête Lou, s’est à demi fâché Jérémie (ils font tous les choses à demi dans cette famille ?), puis il a continué un peu hésitant, je suis sûr que Lola… a eu une idée ! Pas vrai Lola ?
Ça m’a donné du courage, je me suis levée et me suis approchée de l’arbre tout en lui parlant (oui, à l’arbre) :
– C’est bien possible… oui, c’est bien possible. L’idée m’est venue en regardant ces deux glands.
Mathilde a cru nécessaire de préciser :
– Elle parle des fruits bien sûr…
– Comme vous pouvez le constater, ils sont en tout point identiques.
– Bon sang ! a soupiré Lou, elle a trop fumé la pipe à Sherlock ou quoi ?
– Deux jumeaux parfaits.
– Monozygotes ! s’est exclamée Mathilde, en rougissant comme si elle venait de traiter quelqu’un d’ »espèce de Monozygote ! » (Je ne sais pas d’où elle avait sorti ce mot, sûrement pas de la Bibliothèque Verte en tous cas).
Alex lui a encore fait un clin d’œil :
– C’est ça, un seul ovule et un seul spermatozoïde, puis il s’est tourné vers moi, j’ai bien retenu la leçon (du tome 1 chapitre 10) pas vrai Lola ?
J’ai posé mon pied sur une branche qui partait du tronc à environ 51 cm du sol à vue de nez (j’ai un nez équipé de la pifométrie laser)
– Supposons que tels ces deux glands ici présents…
– Euh… tu parles toujours des fruits hein Lola ? s’est inquiétée Mathilde.
– … supposons donc, que la boîte ait une sœur jumelle. Et je me suis élancée sur la branche.
– Je crois que là, on l’a complètement perdue, a soufflé Lou. Jérém’, toi elle va peut-être t’écouter, dis-lui de descendre s’te plait.
Je me suis alors retournée pour faire face à mon auditoire (vue d’ici, il paraissait tout petit). Le vertige m’a saisie (51cm j’aimerais vous y voir), pour que m’a démonstration soit complète, il allait falloir transformer mes supputations en preuves (ouvrir un dictionnaire pour éviter de supputer sur la signification du mot « supputation »).
Alex a secoué la tête en signe d’approbation, enfin c’est ce que j’ai cru, et de toute façon je n’allais pas rester ici dans ma position simiesque toute la journée non ? Il m’a semblé entendre un cri retentir au-dessus de moi, Sigmund ? (Ou bien était-ce dans ma tête ?). Alors, j’ai déployé mes ailes… et j’ai sauté de ma branche. Et, telle une poule qui essaierait de prendre son envol après avoir englouti un éléphant (ok, j’abuse, on va dire un éléphanteau, ça vous va ?) … je me suis écrasée, pieds joints (parfois, les poules ont des pieds, demandez à votre styliste), pile sur la boîte.
Regards horrifiés de tous les spectateurs (et de tous les lecteurs ?) moins un.
***
– Woua, là, tu m’as sciée les branches !
De la part de Lou, je pouvais considérer ça comme un compliment.
– Eh bien, a dit Alex, maintenant… c’est la seconde de vérité !
Jérémie était en état de choc, et Mathilde n’arrêtait pas de clignoter des yeux comme si elle essayait d’effacer de sa rétine ce qu’elle venait de voir.
– Mais… Lola… pourquoi… tu as … ?
J’ai repris ma démonstration, mais avec un peu moins d’assurance.
– Hum… oui… donc… si nos prémices sont correctes (et j’espérais qu’ils l’étaient, sinon je n’aurais plus qu’à me construire une cabane dans ce chêne, pour y vivre comme un de ses fruits jusqu’à la fin des temps), et bien… la conclusion est élémentaire ma chère Watson ! et j’ai reculé pour laisser apparaître les restes de la boîte.
Les paupières de Mathilde se sont figées, je n’osais pas regarder.
– Pas possible ! a dit Math… euh, Lou.
Le regard de Jérémie s’est remis à pétiller et Alex a poussé un gros soupir. J’ai baissé les yeux. Dans l’herbe naissante, éparpillés comme les mille et une pièces d’un puzzle en bois, les morceaux de ce qui avait constitué la boîte, sans le moindre atome de métal ou de cristal. J’ai pris une inspiration qui a failli faire éclater mes poumons, je me sentais maintenant si légère, que j’aurais pu me mettre à chanter, comme un oiseau sur la branche.
***
Mathilde, dont le cerveau avait également l’air d’avoir volé en éclat, tentait d’en recoller les morceaux avec de la colle à neurone :
– Si je comprends bien, il y a deux boîtes…
– Il y avait, l’a repris Lou, avant que l’inspecteur Dumbo ne la réduise en bouillis… il y avait.
Dumbo ? Mon numéro de voltige pachydermique ne lui avait pas plu ? Mathilde a continué sur sa lancé :
– Donc, Sveta aurait subtilisé notre boîte à œil de caméléon intégré pour la remplacer par la copie que Lola a désintégrée ? Mais pourquoi ?
– Pour qu’on ne sache pas qu’elle l’avait « subtilisée » justement, a répondu Jérémie.
Elle a plissé les yeux, preuve d’un nouveau point d’interrogation à venir :
– Et comment, a-t-elle pu savoir que Lola avait trouvé la boîte, avant de la voir ?
– Ça, c’est la bonne question ma chère Watson, est intervenu Alex.
Eh ! Il n’y avait qu’un seul Sherlock ici, et c’était « une ».
Lou a bondi sur ses pieds (si elle avait bondi sur ses mains, j’aurais applaudi des deux miens)
– Pour l’instant on se fiche de la réponse, ce qui compte c’est qu’elle a la vrai boîte, et qu’elle ne sait pas qu’il y a un traceur dedans.
J’ai senti que cette enquête commencait à m’échapper, alors j’ai levé le doigts pour parler :
– Euh… si je puis émettre un avis, puisque Sveta a obtenu ce qu’elle voulait, on pourrait peut-être conclure cette histoire sur un « tout est bien qui finit bien », non ?
Jérémie s’est levé à son tour et s’est approché de moi un sourire double effets (charmant et désarmant) sur les lèvres :
– Lola, on est si près du but, tu ne veux pas savoir ce qu’il se passe après le : « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant » ?
A cette évocation de conte de fée, j’ai senti un petit oiseau chanteur pépier dans mon cœur, et comme dans un rêve (qu’il me semblait avoir déjà fait et refait non ?) j’ai répondu :
– Oui Jérémie, je le veux.
J’ai entendu Lou pouffer (fin de l’intermède romantique) et simultanément, Alex est passé en un éclair de la position assise à la position debout comme si l’herbe sur laquelle il était assis était devenue carnivore.
– Dans six jours ! il avait son téléphone dans la main, si l’œil doit s’ouvrir, c’est pendant la pleine lune, dans six jours !
Le visage de Lou s’est transformé en smiley :
– Ça vous dit une soirée pyjama geek, samedi prochain ?