Nuit sanglante (3 min 8 s)

Le maire harangua la foule qui était venu se presser sur la place du village. “Ca ne peut plus durer ! cria-t-il. Tous ces troupeaux décimés, ces moutons déchiquetés, ces brebis démembrées, il faut que cela cesse ! A ceux qui tueront la bête, je promets une récompense en louis d’or ». La foule approuva, et aussitôt de petits groupes se formèrent pour discuter de la meilleure manière de capturer l’animal qui semait la terreur depuis plusieurs semaines dans les montagnes. Un homme se distingua de la foule, il était grand et robuste, le regard fier et arrogant. “C’est moi et moi seul qui la trouverai et lui ferai son compte”. « Tu n’iras pas seul ! » ordonna le maire. “J’irai avec lui”, dit une voix derrière le maire en même temps qu’un petit homme chétif sortait du rang”, l’homme robuste le toisa du regard “Toi ? dit-il en souriant. N’y a-t-il pas d’autre volontaire”. Mais personne ne s’avança. “Eh bien soit ! tu porteras mon sac et assisteras à mon triomphe”. La foule s’écarta pour laisser passer le héros et son paladin.

Les deux hommes marchaient déjà depuis plusieurs heures sous le couvert des bois humides. Il suivait une piste. Ici un bout de laine ensanglanté, là, un corps à demi-dévoré. “C’est trop facile dit l’homme robuste, la bête ne peut pas m’échapper”.
“Mais c’est le jour qui s’échappe, répondit le petit homme, il serait plus prudent de rentrer ?”.
“La prudence et la fille de la lâcheté ! assena l’homme fort. Serait tu un lâche ?”.
Ils continuèrent donc pendant que la nuit déposait ses ombres lugubres sur les cimes et les rochers. Bientôt l’obscurité éteignit les derniers feux du soleil et une lune, blême comme un œil mort, apparue dans le ciel. “Le brouillard se lève et le froid ne va pas tarder à nous glacer les os, se plaignit le petit homme, il faudrait faire demi-tour”. “C’est la peur qui te fait trembler,” se moqua l’homme fort. Suit moi ou reste, je n’ai que faire de toi, je sens l’odeur de la bête, il n’y a plus loin à ce que coule son sang”. Ils suivirent un étroit sentier rocailleux bordé de ronces et d’arbustes qui semblaient lancer dans la pénombre leurs bras velus et crochus. Enfin ils arrivèrent au pied d’une paroi qu’une fissure de la taille d’un homme balafrait jusqu’au sol. “C’est là, dit l’homme robuste, je suis sûr que c’est là, le terrier de la bête !”
Il s’affaira à ramasser du bois mort. “Que fais-tu?”, dit l’homme frêle”. “Je prépare l’enfer pour ce monstre”, répondit l’homme fort. “Et ensuite ?” demanda le petit homme d ‘une voix hésitante. “Ensuite, il n’y aura plus qu’à attendre”. “Et alors ? “ Insista l’autre homme. “Alors, ricana l’homme fort, alors lorsqu’elle se montrera, je la tuerai avec mon couteau, je dépècerai son corps et je ramènerai sa toison sanglante sur la place du village pour réclamer mon dû. Qu’as-tu à dire de cela?”. “je n’aurais pas dit mieux”, dit l’autre homme d’une voix qui n’avait plus rien d’hésitante. Un souffle glacial parcourut les branches, la lune, qui jusque-là était étranglée de nuages, brilla soudain d’une lumière inquiétante. L’homme fort se retourna vers son compagnon, et ce qu’il vit le glaça jusqu’aux os. Ce n’était déjà plus un homme, ce n’était pas encore un animal. Les chaires semblaient fondre et se recomposer sous ses yeux exorbités, ses vêtements se déchirèrent sous la pression de membres musculeux qui ne cessaient de croître et de se couvrir d’une fourrure noire et luisante, sa tête s’allongeât et ses lèvres se transformèrent en babines qui se retroussèrent sur une formidables rangé de crocs. Et soudain, l’homme fort devint faible, il n’eut plus la force de tenir son couteau qui tomba à ses pied, il leva les yeux vers la bête, mi-homme mi-loup qui le surplombait maintenant de plusieurs têtes, à peine eut il le temps de bredouiller quelques mots qu’une patte gigantesque s’abattit sur son torse et le lacera. Ce qui fut l’homme fort s’affaissa jusqu’au sol, ce qui fut l’homme faible plongea sa gueule dans ses entrailles pour en dévorer le cœur.
Alors du fond de la vallée jusqu’au sommet des montagnes ont entendit cette nuit-là, un long hurlement, à vous glacer le sang !

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