Les deux Chèvres (2 min 26 s)

Un jour, deux bergers vinrent trouver Sanshara.
Oh, Sanshara toi qui es connu pour ta grande sagesse, dit le premier, et pour ta grande beauté, dit le second en rougissant, règle le différend qui nous oppose.
Sanshara, posa son regard d’azurite sur l’un puis sur l’autre, puis leva la main pour les inviter à parler.
J’ai une chèvre, dit le premier berger, vigoureuse, donnant du lait plus qu’une vache et de la laine plus qu’un mouton.
J’ai moi aussi une chèvre dit le second berger, bien portante, ses pis ne tarissent jamais, sa toison à la blancheur de l’ivoire.
Voilà qui fait de vous deux bergers heureux je suppose, dit malicieusement Sanshara.
Hélas non ! dit le premier, car ma chèvre, cet homme ci, qui était mon ami, affirme que c’est la sienne, et que la mienne et une pauvre chèvre décharnée et pelée qui erre sur le pâturage
Et cet homme-là, qui n’est plus mon ami, dit le second, jure qu’elle lui appartient, et que celle que je possède serait en fait une bête qui a plus d’os que de peau et qui n’a plus de chèvre que le nom.
Ainsi donc, dit Sanshara avec ingénuité, vous n’avez pas marqué vos bêtes pour les distinguer.
Inutile dit le premier berger, je saurais la reconnaître entre mille autres, je l’élève comme mon propre enfant.
Et moi je la reconnaîtrais entre dix mille, je m’en occupe comme de ma propre mère.
Voilà qui fait de vous deux berges honorables, dit ironiquement Sanshara. Et la pauvre bête qui partage votre pâturage, a qui est-elle donc alors ?
Ah lui, s’époumona, le premier.
C’est la sienne bien sûr, s’écria le second.
Vous voulez donc que je vous départage ? demanda Sanshara dans un demi-sourire.
Cet homme est un menteur dit le premier berger, rend moi justice
Celui-là est un voleur dit le second, fait éclater la vérité.
Sanshara ferma les yeux, inspira puis expira lentement, puis les réouvris. Un sourire complet se dessina alors sur son visage.
Je propose dix écus, soit le prix de dix chèvres bien portantes, pour celui à qui appartient la chèvre chétive, et elle plongea sa main dans une petite bourse accrochée à sa taille.
Elle est à moi s’exclama le premier, ces dix écus me reviennent.
Affabulateur, gronda le second, cette chèvre est la mienne ainsi que son à moi ces dix écus.
Eh bien, les arrêta Sanshara, voici votre dû, vous pouvez vous le partager, et elle ouvrit la main qu’elle venait de retirer de sa bourse.
Il n’y a rien ? s’étonna le premier berger.
Qu’est-ce à dire ? questionna le second berger.
C’est le prix du mensonge et de la délation, rétorqua Sanshara, vous qui vous prétendiez des amis, voilà où vous a mené votre négligence et votre cupidité. Car négligeant vous l’avez été envers cet animal dont vous refusez la responsabilité et cupide vous l’êtes au point d’en réclamer maintenant la possession.
Je vous condamne donc, à vous occuper de cette pauvre créature, toi comme si c’était ta mère, et toi comme si c’était ton enfant, afin de vous montrer digne de l’une et de l’autre.
Les deux bergers baissèrent les yeux, leurs joues rougies comme si elles venaient d’être marquées au fer chaud, et s’en allèrent retrouver, tout penaud, leur pâturages d’où ils ne redescendirent qu’au printemps, accompagnés de deux chèvres qui respiraient la santé et que plus rien ne pouvait désormais distinguer.

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