Chapitre 4 – La voix de la raison

« Lola tu veux encore un peu de… VAMPIRE »

« Tu n’as pas touché ta purée… VAMPIRE, tu n’as pas faim »

« Au dessert il y a de la glace aux… VAMPIRES, tu en veux une ou deux boules ? »

NOOONNN, pitié, impossible de me sortir ce mot du cerveau, ce repas était une véritable torture.

Maman, on n’aurait pas de la glace à l’ail plutôt ?

Mon père a levé la tête de sa purée et m’a regardé comme si j’avais une saucisse au milieu de la figure :

Lola, tu n’as pas l’air bien, c’est notre expédition au commissariat qui t’a tourneboulée ? Tu es blanche, comme un vampire.

Misère ! S’il savait, il ne me « tourneboulerait » pas avec ce mot de sept lettres qui commence par un « v » fini par un « e » et vous suce le sang dès que vous avez le dos tourné !

Euh… je crois que je n’ai plus faim, d’ailleurs, j’ai promis à Mathilde de descendre chez elle ce matin, et elle doit fulminer à force de m’attendre.

Dans ce cas ne la laisse pas « fulminer » plus longtemps, a souri ma mère, tu peux y aller.

Je me suis levée avec l’impression d’avoir une boule de bowling dans le ventre et des quilles chancelantes à la place des mollets.

Et le dessert ? s’est lamenté mon père, j’avais tenté une nouvelle recette : « Ile flottante sur sa mer de fruit rouge… », mais j’étais déjà loin.

J’ai rejoint ma chambre, creusé à mains nues dans mon cimetière de chaussettes, et déterré la boîte. A son contact mon cœur s’est mis à battre à toute vitesse comme s’il était en train de monter des œufs en neige, j’ai senti mon sang dégouliner dans mes veines comme un coulis de fraise et je me suis mis à transpirer comme dans un cuit vapeur. Est-ce que je faisais une indigestion au dessert de mon père, sans même en avoir mangé ?

Et puis les couleurs de ma chambre m’ont soudain paru plus vives, les sons plus percutants, les odeurs plus prononcées, tous mes sens semblaient décuplés. Est-ce que la boîte était radioactive et m’avait communiqué des super pouvoirs ? Dans ce cas, il fallait de toute urgence que je me trouve un nom, non ? Super Lola ? Lola Fantasic ? Wonder Lola ? A moins que… n’étais-je pas en train de perdre la boule et de devenir : Super Cinglée ?

Bon, je crois que j’étais plutôt : Super Stressée, et dans ces cas-là, rien de mieux qu’une : Super Copine.

***

Dong, Ding ! Pour une raison mystérieuse, la sonnette avait sonné à l’envers. Après un grand moment de solitude sur le paillasson, qui m’avait chaleureusement accueillie par un « bonjour » et que j’avais frénétiquement remercié avec mes semelles de chaussures, la porte s’est enfin ouverte, et le visage super renfrogné de Mathilde est apparu dans l’encadrement. Aïe ! il allait falloir l’amadouer, j’essayais de calmer mon impatience :

Que me vaut cet air courroucé… très chère ?

Eh bien, sachez que je vous attendais dès potron-minet, pour que vous m’informiez de vos découvertes, ainsi que nous en convînmes tôt ce matin, par voie téléphonique. Mais de Lola Holmes, point de nouvelle jusqu’à cette heure tardive où vous fîtes grand tintamarre, pour que je vinsse vous ouvrir.

Bon, en plus du passé simple et de l’imparfait du subjonctif, Mathilde sortait les grands mots, il fallait donc un grand remède (ce n’est pas moi qui le dit, c’est le proverbe). Et dans ces cas-là, rien de mieux que le menu « plat d’excuse sauce regard humide » :

C’est vrai ma chère Waston, je suis désolée.

Désolée comment ?

Vraiment !

N’as-tu point d’adverbe plus éloquent ?

Euh, carrément ?

Mais encore ?

Mathilde, j’ai des trucs super importants à te dire là…

J’attends …

Terriblement ? Indubitablement ? Anticonstitutionnellement ? puisjeentrermaintenant ?

Mathilde a esquissé un sourire, un soupir, puis a repassé son sourire au feutre indélébile, avant de me lancer :

Bon Ok, c’est bon t’as l’autoris’

Ouf, on était de nouveau en zone anticyclonique (pour de plus amples informations, regardez la météo ce soir à la télé)

***

Alors ? m’a demandé Mathilde qui avait retrouvé toute sa bonne humeur, je veux tout savoir, et elle m’a regardé avec des spirales dans les yeux : tu vas touuut me diiiiire !

Je me suis assise sur le canapé du salon sans quitter son regard hypnotique, et j’ai plongé la main dans ma poche, mais avant d’en sortir vous savez quoi, j’ai murmuré méfiante :

Tes parents sont pas là ?

Mathilde a fait mine de regarder à droite et à gauche :

La zone est sécurisée, aucune oreille adulte à l’horizon.

Encore à une de leurs conférences sur la protection des espèces en voie de disparition ?

Tout faux, ils sont allés à un cours de cuisine intitulé : « Ragout de panda et soupe de tortue luth ».

Pas possi…

Non t’as raison, encore une réunion « sauver la planète ou ce qu’il en reste », mais… t’as quoi dans la poche, à part une demi-paire de mains ?

J’ai sorti ma « demi-paire de mains », et posé la boîte sur la table basse qui me faisait face. Mathilde a écarquillé un œil tout en décarquillant l’autre (n’essayez pas de faire la même chose chez vous, vous pourriez vous coincer les globes oculaires) :

Woua ! Tu l’as trouvé où ? Elle contient quoi ? Tu l’as ouverte ? C’est un œil au-dessus ?

A son mitraillage de questions, j’ai répondu en rafale :

Sous le plancher ! Je sais pas ! Non ! Oui !

Elle a saisi la boîte et l’a fait tourner dans tous les sens puis l’a secouée.

On dirait qu’il n’y a rien à l’intérieur, peut-être que c’est juste un objet précieux, un truc de collectionneur, comme le pot de chambre de Louis XIV ou le slip de Napoléon 1er.

Ou la boîte à sparadraps de Ramsès III ? J’aimerais bien, mais ce que je vais te révéler est bien plus (voix lugubre) … inquiétant !

J’ai pris mon élan comme si je m’apprêtais à sauter par-dessus le mur d’un asile de fou.

Hier soir, alors que j’observai la boîte éclairée par la pleine Lune, (et qu’un loup solitaire hurlait sous le ciel piqueté d’étoiles) l’œil… s’est ouvert. Et il m’a regardé.

Mathilde a lâché la boîte qui est venue s’écraser sur la table basse et a dit d’une voix mal assurée :

Euh, Lola, t’es sûre que c’est pas plutôt tes yeux qui se sont fermés et que …

J’ai continué :

Et le truc un peu flippant …

Ah parce que c’est pas ça le truc un peu flippant de l’histoire ?

Non, le truc un peu flippant, c’est que je pense que l’homme en noir a probablement piraté GOGOL dans le but de récupérer cette boîte, et qu’en plus il vient… et j’ai dégluti de Transylvanie !

Euh, mais là, elle commence carrément à me faire flipper ton histoire !

Ben non, parce que le truc carrément flippant…

Ah bon, on y est pas encore ?

Avant la révélation, j’ai eu l’impression que ma tête allait exploser, j’ai serré mon crâne entre mes mains et j’ai pris une grande respiration comme pour plonger dans une piscine sans eau :

… c’est que je crois que ma nouvelle nounou… est un vampire ! BONG ! je me suis écrasée au fond de la piscine.

Et je lui ai raconté mon rêve.

Je ne sais pas pourquoi, mais après ma « confession », je me suis sentie mieux, mon anxiété s’était à moitié diluée… dans les veines de Mathilde.

Elle s’est levée sans rien dire, a marché comme une funambule somnambule en direction de la cuisine, d’où elle est revenue 23 secondes plus tard avec un verre d’eau (mais sans minuteur).

J’ai tendu la main :

Non, c’est pour moi. Là, j’ai besoin d’un remontant, et elle a bu : cul-sec ! (N’hésitez pas à replacer cette expression : effet garantie).

***

Nous étions là et las (une fois de plus). Essorées par la vague d’adrénaline qui nous avait fait nous échouer sur le canapé comme des baleines déboussolées.

« Cétacé » (ceci est le premier et le dernier jeu de mot que vous trouverez dans ces chroniques ! Ou alors c’est que quelqu’un d’autre écrit à ma place) a dû se dire Mathilde et, un peu comme un psychiatre qui essaierait de convaincre son reflet dans le miroir qu’il n’est pas fou, elle s’est levée et s’est mise à marcher en long en large et en travers tout en parlant :

Bon, si on réfléchit calmement, après tout, on a juste une drôle de boîte, un voleur à capuche, et une nounou qui ressemble à une poupée zarbie, pris séparément, pas de quoi écrire une histoire de vampire non ? Elle m’a regardée en hochant la tête comme pour m’indiquer la seule réponse que ses oreilles étaient prêtes à entendre.

J’ai pris une grande inspiration et, pour ne pas ajouter à son trouble que j’espérais ne pas être mental, j’ai répondu en essayant de contenir ma colère :

OK, et donc tu penses peut-être que tout ça… c’est juste le hasard qui…

Voilà ! s’est exclamé Mathilde ravie, c’est le hasard, ce sont des choses qui arrivent.

Ma nounou zarbie que mes parents dégotent comme par sorcellerie ?

Le hasard !

Et son air de passer ses nuits dans un cercueil ?

Hasard, c’est le hasard, on a le droit d’avoir le teint blafard non ?

Et sa manière de mettre ses lunettes plus vite que son ombre au moindre rayon de soleil ?

Le hasard, encore et toujours, a chantonné Mathilde

Et le voleur transylvanien à capuche qui cherche sous le parquet ?

H.a.s.a.r.d !

Et son sang qui s’est évaporé avant même d’avoir touché le sol ?

Ha… sard… il faut te le dire combien de fois ?

Et la boîte à œil lunatique ?

Ha…

… sard ?

Non, là je dirais Ha…llucination.

Ah, ben voilà ! Maintenant, elle insinuait que j’avais perdu la boule et ne faisait même pas mine de la chercher avec moi, super la super copine !

Je soupirais à travers mes narines, prête à éternuer des flammes comme un dragon qui a la goutte au nez, lorsque ma mère a fait irruption sans frapper dans ma tête (c’est sa spécialité, ça et rentrer aussi sans frapper dans ma chambre) : « Lola, tu t’es encore laissée emballer par ton imagination ! ». Et comme si ça ne suffisait pas, mon père s’est invité et s’est mis à parler comme dans un livre (dont j’ai oublié le titre) : « Rappelle-toi Lola, lorsque tu as éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vé-ri-té ». Super, merci ! Il faudra aussi que je mette un panneau « interdit aux parents » à l’entrée de mon cerveau ?

Sauf que, une fois le feu de ma rage éteint et les braises de ma colère refroidies, j’ai bien dû me rendre à l’évidence : si je considérais qu’il était impossible que les vampires existent, Mathilde et mes parents avaient sans doute parler avec : « la voix de la raison ».

J’ai repris la boîte. Elle me paraissait maintenant inoffensive, même si le symbole en forme d’œil et les ronces qui l’entouraient avaient quelque chose d’effrayant.

Bon, il est possible que je me sois un peu emballée, et que… vous ayez peut-être raison.

Mathilde m’a regardé un peu inquiète :

Euh, Lola, tu me vouvoies ? Ou alors tu me voies en double ? Ou bien… tu vois d’autres personnes dans la pièce ? Je suis prête à tout entendre, sauf la dernière proposition je t’en supplie !

Hum, oui je voulais dire que : « tu as raison », je suis un peu tourneboulée par tout ça, et machinalement j’ai plongé ma main dans mon autre poche.

Mathilde m’a lancé un regard affolé.

Quoi ? Ne me dis pas que tu as un autre objet démoniaque à me montrer ?

J’ai sorti ma deuxième demi-paire de main pour lui montrer son contenu diabolique.

Mais non, c’est juste …

Des piles ? mais qu’est-ce que tu fais avec des piles dans la poche ?

Eh bien, avant que tu ne démontres brillamment que tout ça n’était que hasard et hallucination, j’avais pensé rendre une petite visite à Mammy, histoire d’avoir des renseignements sur la locataire qui vivait dans mon appart’ avant qu’on emménage, y a des chances que ce soit elle qui ait caché la boîte et …

Mais c’est une super idée ! Ça va nous…euh je veux dire te dé-tournebouler complètement, mais pour les piles ?

Ah ça, un petit cadeau, pour remettre les pendules à l’heure.

Chapitre 3 – La révélation du bureau 112

Après avoir gravi les marches en imitation marbre en nous tenant à la rampe en imitation métal, nous sommes arrivés sur le pas d’une porte, qui aurait sûrement été en imitation chêne, si elle avait été la !

Crois-tu qu’il faille signaler la disparition de la porte à la police ? Ai-je fait remarquer à mon père, qui n’avait rien remarqué.

Sacrevert ! Encore un mystère ! Sans porte à laquelle taper, comment demander la permission d’entrer ?

En réponse à son involontaire quatrain (cherchez pas, c’est de la poésie), je levais le poing et lui faisais ma célèbre imitation du toquage de porte : « 3 x Toc ! » ( « Toc Toc Toc » c’était beaucoup trop long à écrire).

Alors, du fin fond du bureau 112, et probablement du fin fond des âges primitifs, un râle guttural a retenti jusqu’à nos oreilles, qui si elles avaient été papillons auraient décollé sur le champ pour rejoindre leurs cocons et redevenir chenilles.

Qui ose interrompre ma noble activité ? Qu’il se présente à moi pour recevoir son juste châtiment !

Cette tirade a eu raison des derniers efforts de mon père pour trouver un peu de logique à la situation. Il s’est tourné vers moi dépité :

Lola, je crois qu’on est chez les fous !

Il a alors fait mine de tourner une poignée invisible, puis d’ouvrir une porte invisible, et a pénétré dans le bureau.

Je le suivais prudemment jusqu’au fond de la pièce, en m’assurant qu’un entonnoir n’était pas en train de lui pousser sur la tête.

***

Eh, bonjour m’sieur dame ! s’est exclamé l’agent Adolphe en levant les yeux vers nous. Désolé, j’ai cru que c’était mon frère, qui venait encore m’apporter des stylos.

Mon père a soupiré en voyant la montagne de stylos qui jonchait le bureau, mais, ayant décidé d’abandonner son sens de la logique à l’entrée, il n’a pas fait plus de commentaires. L’agent Adolphe, alerté par ce regard consternant a cru alors bon de se justifier :

Hum oui, tout cela doit vous paraître bien étrange.

Mon père, sans se départir de son air affligé a alors débité d’une voix monotone :

Si vous voulez parler des blocs de béton sur un terrain vague…

Oui c’est vrai, il y a ça.

… et de la porte d’accès qui ne s’ouvre qu’en appelant le 17

Ah oui, ça aussi.

… et de celle qui manque ici…

Tiens ? Je n’avais pas remarqué.

… et pour finir, de ces dizaines de stylos, et… et de vos doigts bleus !

Ah oui, il avait aussi les doigts bleus.

Eh bien non ! a conclut mon père, Je ne vois pas ce qu’il y a d’étrange ici, et toi Lola ?

Là, je n’ai pas su quoi dire.

L’agent Adolphe non plus, pendant un instant il est resté figé comme si quelqu’un l’avait débranché. Et puis le courant est revenu à tous les étages, et dans un soupir de soulagement il a déclaré :

Pour les doigts bleus, j’ai une explication. On a pas reçu les cartouches d’imprimante, alors on les remplit avec l’encre des stylos, voilà rien d’extraordinaire en somme.

Certaines fois, je crois qu’il vaut mieux ne rien savoir.

Sur cet entrefaite (comme on dit dans la bonne littérature), mon inspectrice préférée a débarqué.

***

Elle était comme dans mes souvenirs d’enfance : grande, belle, rayonnante, avec un dossier à la main, qui semblait avoir été imprimé au stylo à bille.

Lola et son papa, quel plaisir de vous voir ! Venez vous asseoir à mon bureau, l’agent Adolphe est apparemment sur une… enquête prioritaire.

L’agent Adolphe a précipitamment balayer les stylos de son bureau et saisie le dossier le plus proche.

J’ai souri à mon inspectrice et lui ai dit à voix basse :

C’est l’affaire de la mystérieuse disparition de la porte, non ?

Le dossier qu’il avait entre les mains était en réalité un catalogue d’aménagement de bureau.

***

L’inspectrice m’a rendu mon sourire (on est forcément très honnête dans la police), a ouvert son dossier et en a sorti une photo.

Sacreblanc ! s’est exclamé mon père, s’agirait-il de la camionnette grise de l’homme en noir ?

Elle s’est tournée vers moi :

Lola ? Tu confirmes.

Aucun doute possible c’est bien mon utilitaire ou alors, c’est son Rodolphe.

Pardon ?

Euh… je veux dire son frère !

Mais, comment l’avez-vous retrouvé si vite ? s’est enquit mon père.

Grâce à Doddy.

Quoi ? vous avez embauché le chien de Mammy dans la police ?

Non, je voulais dire : grâce au bout de tissu qu’il a arraché au suspect. Et elle a posé un sachet plastique contenant le « morceau de l’homme en noir ».

Mon père a paru soulagé, enfin quelques graines de logique à moudre dans son moulin à cogiter.

Évidemment ! Je suppose que vous avez effectué une analyse des fibres tissulaires, ainsi qu’un spectrogramme de sa composition chimique…

Les sourcils de l’inspectrice ont légèrement frémi, mon père a continué :

Ce qui vous a permis de déterminer la provenance du tissu, son usure, d’identifier les modèles de pantalon qui l’utilisent…

L’agent Adolphe a levé les yeux de son catalogue, je me suis aperçue à cet occasion qu’il le tenait à l’envers, et a tourné la tête.

Imperturbable, et avec de plus en plus d’assurance, papa a poursuivi :

De localiser les enseignes qui vendent ces modèles, de lister tous les achats effectués…

Un téléphone s’est mis à sonner sans que personne ne réagisse.

De croiser les informations avec celles extraites du reste d’ADN présent dans les fibres du tissu, pour finalement aboutir à l’adresse d’un suspect et au numéro d’immatriculation de son véhicule.

J’ai failli applaudir. Ça, c’est mon père !

L’inspectrice été bouche bée, mais elle a quand même fini par articuler un :

C’est-à-dire… qu’en fait… on n’a pas eu à faire tout ça, parce que le morceau de tissu, c’était une poche, et que dans la poche, il y avait un papier, et sur le papier : une adresse !

A l’autre bout de la pièce, Adolphe a soupiré :

Un coup d’pot quoi, comme dans 90 pourcent des 10 pourcent des affaires que l’on résout (je vous laisse résoudre l’affaire des pourcentages).

Mon père a balbutié :

Mais… l’ADN, le spectrographe… les fibres…

Oh vous savez, a continué l’agent Adolphe, on n’a déjà pas de quoi s’acheter une porte, alors des analyses ADN…

Re-soupir de mon père (Merci de vérifier plus haut s’il a déjà soupiré, sinon rayer la mention inutile).

L’inspectrice paraissait un peu gênée :

Oui, on peut dire que la chance était de notre côté, elle a sorti le bout de papier, qu’elle a déplié devant elle.

J’ai alors vu le visage de mon père se décomposer, son teint jaunir, ses cheveux blanchir, une partie de son nez s’effriter pendant qu’un vers de terre en sortait.

Etonnant non ? a lancé Adolphe depuis son bureau.

***

Quoi ? Qu’est-ce qui est si étonnant ? J’aimerais bien le savoir (si vous aussi, signez la pétition au bas de la page).

Eh bien je vais vous le dire (bon, laissez tomber la pétition)

Non mais, c’est le magasin de GOGOL ! s’est exclamé mon père.

Je me suis penchée vers le bout de papier. Il y avait marqué : « Pixel Plus » suivi de : « Tout l’inutile qui vous deviendra indispensable » suivi de : un dessin fort mal réalisé représentant des gadgets informatiques, suivi de : l’adresse (j’espère que vous avez suivi).

L’inspectrice a expliqué que la camionnette appartenait au patron de l’établissement qui avait déclaré que : « C’est mon employé qui l’utilise, moi j’ai rien à voir avec ça ! Un jeune toujours en survet’ à capuche, vous voyez le genre. Et en plus avec un accent étranger, vous avez tout compris. Depuis une semaine : plus de nouvelle, mais ça m’étonne pas, vous savez de nos jours mademoiselle on peut plus compter que sur soi-même, d’ailleurs c’est moi qui ai fait le dessin de mon prospectus, qui soit dit en passant est plutôt pas mal, comme vous d’ailleurs, voire carrément bien. Mais c’est normal je crois que j’ai un don, à ce propos j’ai réalisé quelques estampes qu’à l’occasion je pourrais vous montrez un soir après le travail et…» patati et patatra, mon père venait de s’ébouler (c’est comme être effondré mais en pire) sur sa chaise. Lorsqu’il s’est remis à parler, j’ai eu l’impression que ses cordes vocales étaient légèrement désaccordées.

Il a probablement piraté GOGOL avant même que je ne l’achète, c’est comme ça qu’il a pu entrer dans l’appartement !

C’est ce que nous soupçonnions, a acquiescé l’inspectrice sans s’inquiéter de sa mû (si vous ne savez pas ce que c’est, ne vous inquiétez pas, vous aussi, bientôt, vous saurez), et maintenant que vous confirmez qu’il s’agit bien de ce magasin, cela ne fait plus aucun doute.

C’est marrant non ? a ajouté Adolphe depuis son bureau, c’est comme si vous aviez donné vos clefs directement au voleur ! Et puis il a réfléchi, non ! en fait c’est comme si un voleur vous avait vendu des serrures antivols, il a encore réfléchi, non ! en fait, c’est comme si… Mais l’inspectrice est intervenue :

Hum, je crois qu’on a compris Adolphe, pas la peine d’en rajouter.

Oui, pas la peine, mon père venait de se ré-ébouler !

***

Nous étions là et las (enfin surtout papa), assis sur nos chaises dont les huit pieds avaient déjà eu bien du mal à supporter le poids des révélations précédentes, alors même que la principale restait à venir ! (Ne suis-je pas la maîtresse du suspens ? j’en vois un qui lève le doigt au fond ? « Oui maîtresse, vous l’êtes ! », Merci).

Mon père, qui reprenait peu à peu ses esprits et dont l’implacable logique tentait de surnager dans cette tempête d’informations, se risqua à une supposition :

Si je comprends bien vous avez retrouvé le véhicule, identifié l’individu, compris son mode opératoire… il ne reste donc plus qu’à l’appréhender ?

Je zoomais sur l’inspectrice, papa avait parfaitement résumé l’épisode, il ne restait qu’à apporter la conclusion et à envoyer le générique de fin.

C’est que… j’ai bien peur qu’on ne puisse pas conclure cette affaire aussi rapidement que vous l’espériez (Ok, on rembobine le générique). Après avoir obtenu le nom et l’adresse de l’individu, nous sommes allés aussi vite que possible à son domicile pour l’interpeller, mais hélas à notre arrivée, il avait déjà filé.

Faut dire qu’on a eu un petit problème mécanique, a cru bon d’ajouter Adolphe, qui devait en avoir assez de lire son catalogue en version Manga (à l’envers quoi), on a dû finir en trottinette électrique !

Ce dernier détail s’est visiblement faufilé depuis le conduit auditif de mon inspectrice, jusque dans sa gorge où il est resté coincé. Après un discret raclement de l’œsophage (voir planche d’anatomie en annexe), elle a précisé :

Hum, oui, nos véhicules d’interventions sont un peu … vétustes, tout comme nos locaux.

Mon père et moi avons hoché la tête, en signe de communion.

Mais, a continué l’inspectrice comme pour s’excuser, nous avons pu établir un portrait-robot du voleur, et elle a sorti une feuille de son dossier qu’elle a posée devant nous.

De ma voix la plus neutre possible j’ai fait remarquer :

Ça ressemble à un smiley à capuche non ?

L’inspectrice a baissé la tête vers le dessin, puis l’a repris précipitamment.

Euh, oui, désolé, le propriétaire du « Pixel Plus » a tenu à nous montrer ces incomparables talent de dessinateur, voici celui réalisé par nos soins.

Une plume glacée a glissé le long de mon épine dorsale. J’avais en face de moi le regard à la fois déterminé et inquiet de l’homme en noir, entre-aperçu lors de notre fuite. Le reste du portrait (veuillez prendre une feuille de papier et un crayon) montrait un visage long, émacié et anguleux, encadré de cheveux noir et barré à l’horizontale d’une bouche aux lèvres bien dessinées, et à la verticale d’un nez fin et allongé (voilà, vous devez avoir le même portrait sous les yeux, sinon, envisagez de prendre des cours de dessin !).

Le plus étrange, n’était cependant pas le visage, mais les inscriptions au bas de la feuille qui …

Mais qu’est-ce qui est inscrit au bas de la page ? a demandé mon père (qui avait visiblement décidé de casser tous mes effets !).

L’inspectrice s’est penchée comme pour nous confier un secret :

C’est son nom, et surtout, et ça je suis sûre que ça va t’intéresser Lola, avec ton imagination débordante (comment elle sait ? Elle lit mes chroniques ou quoi ?), sa ville d’origine : Sibiu, en Roumanie et plus précisément … (Bon finalement ça ne serait pas elle, la maîtresse du suspens ?) en Transylvanie.

BANG !! Une chauve-souris venait de passer le mur du son à travers mon crâne ! Des images oubliées ont jailli de ma mémoire onirique, et un mot s’est imprimé à l’envers sur ma rétine en même temps qu’une lampe à incandescence (penser à la remplacer par une lampe à LED) s’est allumée derrière mes yeux pour projeter en géant sur le mur du bureau :

ERIPMAV !

Chapitre 2 – A la recherche du commissariat perdu

“Vous êtes arrivé à destination !” Mon père obéit docilement au GPS (qui avait un peu la voix de gogol, c’est étrange) et gara la voiture le long du trottoir.

Papa, tu es vraiment sûr que c’est là ?

Bien sûr que je suis sûr, on peut se fier au GPS, il est précis à la seconde et au mètre près !

Je regardais autour de nous, tout en me demandant si Albert Einstein, mon père et moi avions la même notion de l’espace-temps.

Tout ce que je voyais dans un rayon de 1500 millimètres (je vous laisse convertir en mètre), c’était une barrière avec marqué « Interdit au public » qu’une personne en tenue de chantier était en train de manœuvrer. J’en profitais pour me moquer gentiment :

Regarde papa, un policier avec un marteau piqueur et un casque jaune sur la tête !

Mon père, qui semblait déjà moins sûr d’en être sûr, réfléchit quelques secondes, et finit par émettre une hypothèse :

Il se pourrait fort bien que la carte du GPS ne soit pas tout-à-fait à jour, nonobstant le fait que je l’ai achetée la semaine dernière et que le vendeur, que je retournerais voir pour lui exprimer en terme choisi ma façon de penser, m’a garanti la fraîcheur des informations pour “à peine” dix euros de plus, et il a claqué la portière en guise de point finale, VVRANCK (c’est ce que j’ai trouvé de plus approchant pour un bruit de portière qui claque)

Lorsque mon père est agacé, il a tendance à faire des phrases télescopiques et là, je crois qu’il commençait à être plus que « légèrement » agacé (mais moins que « vraiment », on va dire « moyennement » si cela vous convient, et si ça ne vous convient pas, c’est la même chose, parce que là, moi aussi je commence à être agacée et à faire des phrases à rallonge).

***

Nous étions tous les deux sur le trottoir, scrutant l’horizon comme deux indiens déplumés, à la recherche d’un indice pouvant nous mettre sur la piste du commissariat, lorsqu’un homme casqué de jaune s’est approché de nous pour nous interpeller d’un :

Police, vos papiers s’il vous plaît !

Je regardais mon père, stupéfaite. Quoi ? Finalement les policiers se baladent vraiment avec un marteau piqueur et un casque jaune sur la tête ?

Désolé, a ajouté l’homme en jaune, dans un grand sourire, j’ai pas pu m’empêcher en vous écoutant. Pas d’panique la police nationale n’a pas changé d’képi, elle a juste changé d’bocal.

Euh… vous voulez dire de local ? a demandé mon père.

C’est ça ! Les anciens bocaux ont été rasé pour faire place à du neuf, et en attendant, toute la brigade a été transvasée dans des bâtiments temporaires un peu plus haut dans la rue, et il a indiqué une direction.

Mon père l’a remercié chaleureusement, mais avant de partir il a demandé :

Et, par curiosité, les travaux ont commencé quand ?

Plus d’un an m’sieur ! C’est que, pour faire les choses bien, il faut prendre son temps pas vrai ?

Je regardais derrière la barrière, et n’y voyais qu’un grand trou. Mwouai, pas la peine d’avoir des marteaux piqueurs, si c’est pour creuser à la p’tite cuillère.

***

Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais je sais à quoi je ne m’attendais pas, et c’est justement ce qui nous attendait lorsqu’on est arrivé devant le commissariat de police (relisez cette phrase à l’envers pour défaire les nœuds qu’elle a dû provoquer dans votre cerveau).

En lieu et place d’un bâtiment rutilant drapé des couleurs de la république, auquel tout bon citoyen est en droit de s’attendre (ici, faites résonner la Marseillaise dans votre tête), nous nous sommes retrouvés devant un empilement de blocs de béton qui avaient l’air d’avoir été jeté là, faute de place à la déchetterie la plus proche.

Mon père m’a lancé un regard de homard, le genre qui après s’être demandé où il était tombé, se rend compte que c’est dans une casserole d’eau bouillante.

Papa, je te rappelle que je suis ta fille, et que c’est toi qui es censé me rassurer.

Euh, Lola, ne t’inquiète pas. Tu sais parfois la première impression n‘est pas la bonne, l’extérieur ne reflète pas toujours la beauté intérieure, et là il a semblé chercher un exemple pour appuyer sa démonstration. Je suis venu à son secours :

Un peu comme ce qu’a dû penser maman quand elle t’a rencontré ?

Euh… oui !

Regard de homard !

***

On s’est donc retrouvé devant l’entrée du bâtiment principale. Papa a regardé à droite, puis à gauche, espérant trouver une sonnette ou quelque chose ressemblant à un bouton d’appel.

Bon sang, comment on est censé rentrer ? Il y a forcément un moyen !

Pendant qu’il réfléchissait, je faisais le tour du propriétaire. En plus des différents parallélépipèdes (désolé d’évoquer de pénibles souvenirs de cours de géométrie) qui constituaient l’architecture du lieu, il y avait, sur le terrain vaguement aménagé en parking, une dizaine de véhicules, dont le seul point commun était un état de délabrement qui aurait valu une mise à la casse immédiate, s’ils n’avaient été surmontés d’un gyrophare.

Il doit y avoir un système de protection très sophistiqué, a fini par dire mon père, c’est évident qu’on ne rentre pas dans un commissariat comme dans un moulin.

Je me suis approchée à mon tour et me suis collée à la vitre pour essayer de voir à l’intérieur du moulin, euh… du commissariat.

Évidemment elle est teintée, a ajouté papa, sécurité oblige, un commissariat c’est un peu une forteresse !

Je retirais alors mes mains pour lui montrer le type de « sécurité » employée.

Je crois que c’est juste… de la crasse !

Mon nettoyage involontaire avait au moins eu le mérite de nous permettre de voir à l’intérieur.

Il me semble voir un petit panneau ! s’est exclamé papa, Oui ! il y a un code écrit dessus, c’est le numéro à taper. Il doit y avoir un clavier pas loin.

Je me suis penchée moi aussi pour voir le message et j’ai demandé :

Papa, je peux t’emprunter ton tel’ ?

Euh, oui, si tu veux, mais si tu m’aidais plutôt à chercher le digicode, en général c’est juste à quelques centimètres… et il a recommencé à fureter autour de la porte.

Au bout de quelques secondes, voyant que j’étais en conversation, il s’est approché.

Lola, à qui es-tu en train de… et la porte s’est ouverte comme par magie.

Ce n’est pas la phrase de mon père qui l’a ouverte, « sésame ouvre-toi », je veux bien mais : « Lola à qui es-tu en train de … », ça laisse à désirer comme phrase magique non ?

Les deux battants de la porte vitrée ont donc glissé, pas de manière naturelle, ni surnaturelle, mais plutôt… sous-naturel, car de l’autre côté, point de bon génie mais…

Eh, mais c’est notre inspecteur ! s’est exclamé mon père.

Et pour une fois, il n’avait pas complètement tort !

***

Pas complètement, parce que si l’homme qui nous faisait face ressemblait bien au petit inspecteur légèrement enveloppé, il lui dissemblait (non c’est pas un mot que je viens d’inventer) suffisamment pour que ce ne soit pas lui.

Il avait le visage rougi par l’effort :

Désolé m’sieurs dame, la porte est en panne, il faut l’ouvrir manuellement depuis l’intérieur, c’est pour ça que j’ai mis le petit panneau. J’étais pas sûr que tout le monde comprenne qu’il faille appeler le 17 pour avoir le commissariat et demander qu’on vienne ouvrir, mais apparemment ça marche pas trop mal !

Euh… oui, a dit mon père en me regardant, c’était évident bien sûr, et il m’a fait un clin d’œil raté.

Par contre, a-t-il ajouté en traînant un doigt sur la vitre, je crois qu’un zeste de ménage ne serait pas de trop !

Le policier a fait mine d’être étonné,

Ah bon ? Pourtant il vient d’être fait, il y a peine 3 mois !

Je ne me permettrais pas de juger, c’est à peu de chose prés, la dernière fois que j’avais rangé ma chambre.

***

Une fois à l’intérieur de la “forteresse”, la normalité a semblé reprendre ses droits. Il y avait un large vestibule (rien à voir avec la bulle dans laquelle votre poisson range sa veste rouge après une dure journée de travail), avec en son centre un bureau flambant neuf en arc de cercle.

L’agent nous a devancé pour aller se poster fièrement derrière son office, et nous a accueillie comme s’il n’avait jamais bougé de son poste.

M’sieur dame, bienvenue au commissariat principal, je suis l’agent d’accueil Rodolphe, que puis-je pour vous !

A l’audition de cette simple phrase, j’ai eu l’impression qu’on venait de secouer la boule à neige qui me sert de matière grise. Une avalanche de questions est venue s’écraser à l’arrière de mon sourcil gauche, que je commençais à gratter frénétiquement.

Commissariat principal ? Si ça s’était le commissariat principal, le secondaire était en quoi ? En papier mâché ? Et le tertiaire ? En bouse de yak séché ? Et les autres ? (Peut-être un assemblage hétéroclite de paille et de crotte de nez).

Et puis Rodolphe ? Comment pouvait-on encore s’appeler Rodolphe au 21 siècle ? De tous les prénoms disponibles, je crois bien qu’on ne pouvait en trouver de pire ! (Désolé pour mes lecteurs ou lectrices qui s’appellent Rodolphe, vous pouvez remplacer tous les Rodolphe qui suivent par un prénom de votre choix… du moment qu’il se termine par « lphe » !)

Et ensuite, comment ce faisait-il que cet atrocement prénommé Rodolphe, ressemble à ce point à mon inspecteur ! Est-ce qu’un peu comme des moules à cake, il y avait des moules à policier ?

Du fin fond de mes pensées me parvint alors une voix. Était-ce la voix de la sagesse ? Était-ce la voix de la connaissance ? Non, juste la voix de mon père, qui répondait à l’agent qui demandait la raison de notre présence.

Ah mais oui ! s’exclama “Rodolphe”, je vois parfaitement qui vous êtes, c’est mon frère aîné qui est en charge de l’enquête avec l’inspectrice.

Woua ! si je m’attendais à ça, mon agent avait un frère policier !

Bureau 112 au 1er, c’est là que vous trouverez mon frère : Adolphe.

Arghh ! les parents de Rodolphe avaient réussi à trouver encore pire !

Je crois que pendant quelques secondes, de battre mon cœur s’est arrêté.

Chapitre 1 – Le rêve

Un rayon lumineux vient perforer mes paupières en même temps qu’une onde sonore vient caresser mes oreilles :

Bonjour Sveta, bien dormi ?

Mes bras se déplient comme les ailes d’une chauve-souris.

Mmmmm … j’ai l’impression d’avoir dormi 100 ans !

Elle se penche vers moi :

99 pour être précise.

Ses yeux sont verts, elle les tient de moi, forcément, c’est ma mère non ?

Quelque chose me tapote le cortex, comme un souvenir qui ferait des claquettes dans un coin de ma tête pour que je le remarque.

Et soudain, je la vois, et dans mon souvenir, elle a les yeux bleus !

***

Une onde de chaleur vient caresser mon visage en même temps qu’une voix solaire vient murmurer à mes oreilles :

Bonjour Lola, bien dormi ?

Mes bras se déplient comme les ailes d’une … d’une quoi déjà ?

Mmmm … j’ai l’impression d’avoir dormi … 100 ans ?

Elle s’écarte de moi :

Non, 10 heures … seulement !

Son sourire fait éclater dans ma tête des bulles de joie. Ses yeux sont bleus, rien de plus normal, elle les tient de moi, c’est ma mère non ?

Quelque chose me fait frissonner les neurones, comme un morceau de nuit qui s’échapperait sur un courant d’air.

Tu as fait de beaux rêves ?

Question rituelle depuis que j’ai 3 ans.

J’m’en souviens plus !

Réponse habituelle depuis que j’ai 9 ans, et qu’un agent d’entretien passe la serpillière dans ma boîte crânienne tous les matins, juste avant de m’ouvrir les paupières pour aérer mon cervelet. Bon de toute façon, les rêves c’est propriété privée !

Voilà comment tout avait commencé ce drôle de samedi matin !

***

J’étais à peine en train d’émerger de mon océan de draps, chancelante comme un vieux marin qui n’aurait pas le pied marin, lorsque ma mère s’est dirigée vers mon placard pour un contrôle surprise. Ça aussi ça fait partie du rituel, du coup c’est plus vraiment une surprise.

Elle a ouvert la porte, et son sourire a pivoté d’un demi-tour (ou 180 degrés pour les matheux), j’ai eu l’impression qu’elle venait d’ouvrir une boîte de conserve avariée.

Lola, qu’est-ce qui s’est passé dans ton armoire ? Tu héberges un diable de Tasmanie ou quoi ?

J’ai déambulé jusqu’à elle, insouciante :

Bin oui ! Leur habitat naturel est en voie de disparition, si je pouvais par mon action contribuer à la survie de l’espèce…

Mouai, en attendant, ton diable et toi vous allez faire un peu de rangement, sinon c’est ma bonne humeur qui risque de disparaître.

Elle a commencé à remuer mes chaussettes en essayant de reformer des couples. Je trouvais son incursion dans leur vie sentimentale très indiscrète :

Maman, les chaussettes ne font pas parties des espèces en voie d’extinction, c’est pas la peine de jouer les entremetteuses…

Et d’un coup, je me suis rappelée… la boîte !

Euh… mais laisse, c’est à moi de m’en occuper, tu as bien assez à faire comme ça !

Elle s’est retournée, son regard a balayé la chambre avant de se poser sur moi, comme pour s’assurer que ce qu’elle venait d’entendre était bien sortie de ma bouche, puis sa grimace a pivoté de 180 degrés (un demi-tour pour les non-matheux), et son sourire est réapparu.

D’accord, mais je te rappelle qu’une paire est constituée de deux chaussettes d’à peu près la même taille, et d’à peu près la même couleur !

Je lui ai rendu son sourire :

J’essaierai de m’en rappeler… à peu près.

Puis elle a tourné les talons, et le reste (elle n’est pas contorsionniste) et s’est dirigée vers la porte.

Je t’attends pour le p’tit dej !

Ok, on arrive dans 5 minutes, mon diable de Tasmanie et moi.

***

La porte venait à peine de se refermer que j’étais déjà la tête dans le placard, le nez dans les chaussettes, en train de remuer les paires comme des boules de loto. Au bout de cinq secondes, Bingo ! La boîte était dans ma main. Je l’observais un peu tremblante. Son œil gravé sur le dessus était endormi. Est-ce que vraiment il s’était ouvert la nuit dernière ou tout cela n’était-il qu’un rêve ?

Faisant fi (expression désuète du 13ème siècle, pour les amateurs d’expression désuète du 13ème siècle) de mes doutes nocturnes, je décidais de faire confiance à mes sens aiguisés et de laisser mon bon sens me guider (oui, j’écris en rime à l’occasion, et je parle bien du bon sens qui m’a fait me retrouver enfermée dehors dans mes précédentes chroniques). Et puis, même si je n’avais pas réussi à ouvrir la boîte, je savais déjà ce qu’elle contenait (attention révélation) : de l’aventure ! (Je sens comme une odeur de déception, ne serait-il point temps d’aller se laver ?)

***

Après mes ablutions, je me suis retrouvée devant la glace de la salle de bain pour faire le point.

Je ne sais pas pourquoi, mais devant un miroir, j’ai l’impression qu’on réfléchit mieux (ou alors c’est juste un effet d’optique ?). Peut-être le fait de parler à une personne qui vous comprend vraiment et qui ne fait pas non de la tête quand vous faites oui.

Pour mener à bien mes investigations, j’allais avoir besoin d’une assistante capable de m’introduire dans les conduits auditifs passablement obstrués d’une personne carrément britannique. Après réflexion, mon reflet et moi sommes tombés d’accord sur la personne à contacter.

Je suis allée discrètement prendre le téléphone du salon (J’en entends qui textote pour me demander pourquoi je n’utilise pas mon téléphone portable, eh bien je suis désolée de ne pas pouvoir leurs répondre, mais je suis probablement la seule pré-ados de mon collège, voire de tous les collèges de France, voire de tous les collèges de l’univers, à ne pas avoir de téléphone portable, et si vous voulez savoir comment au 21ème siècle une chose pareille est possible, envoyez un texto à mes parents, ils vous expliqueront tout sur les ondes multi-G qui vous cuisent la cervelle à la coque)

Tuuuuut, clic…

Mathilde ?

Vous êtes bien sur le répondeur de Mathilde, je ne suis pas disponible pour l’instant, ou bien je n’ai pas envie de vous parler, ou bien j’ai envie mais une envie plus pressante m’empêche de vous répondre. Veuillez laisser un message, pas trop long car je n’ai pas que ça à faire, merci… et avant que j’oublie…BIIIIPPP.

Mince, pas la peine d’avoir un téléphone si c’est pour le laisser éteint !

Bon Mathilde, c’était pour te dire que j’avais des trucs à te dire… et que ton message est pas terrible, surtout le bip, on dirait que tu l’as fait avec la bouche et…

Et quoi ? Moi je l’ai trouvé super mon BIIIPP.

A d’accord, elle me faisait une blague du matin, ok, tu l’auras voulu :

Alors avant que ça raccroche, c’était pour t’avertir que je comptais descendre chez toi dans pas longtemps pour te montrer un truc dément, mais bon si t’es pas là…

Eh mais je suis là ! C’était pour rire, y’a pas de répondeur en fait, c’est moi !

Ouai, cool ton message à rallonge, on pourrait croire que t’es vraiment là, bon ben j’espère tu auras ce message rapidos, sinon j’irais chez Sarah, ou Amélie je sais pas…

Mais… je suis pas en replay là, je suis vraiment là…

Bon ben… tant pis, j’aurais vraiment aimé te parler en vrai.

Mais JE TE DIT…

Et j’ai posé le téléphone et cessé de respirer.

Lola ? Lola ? Non mais… t’as pas vraiment raccroché ? LOLAA, redécroche tout de suite !

Eh calmos, tu vas me décoller les oreilles ! T’as pas aimé ma contre blague du matin ?

Je l’ai senti hésiter entre vengeance et impatience, mais la curiosité a fait pencher la balance.

C’est quoi ton truc dément ?

Un truc sur lequel il va falloir enquêter, et pour ça j’aurais besoin d’un Watson.

Une Emma Watson ? C’est tout à fait moi ça !

Non, c’est du docteur Watson que je parlais, tu sais, le pote à Sherlock.

Aurais-je encore senti une légère odeur de déception ?

***

Cinq minutes et quelques miettes de biscotte (complète) plus tard, j’étais habillée et rassasiée, prête à partir à l’aventure, chapeau vissé sur la tête et fouet à la main (ok, cette dernière partie est purement fictive, vous pouvez l’effacer SVP, j’ai perdu mon correcteur).

Père était également en tenue d’apparat, enfin, pas dans sa tenue traditionnelle de sportif du samedi.

Papa ? Je sais bien que le short ne te va pas très bien, mais de là à mettre un pantalon et une chemise pour aller courir …

Hum… a commencé ma mère en voyant son « époux » (je sais ça fait carrément vieillot) froncer les sourcils, mais bien sûr que ton père est très beau en short, d’ailleurs il l’est, quelle que soit sa tenue voyons !

Les paroles de son « épouse » (non mais vraiment vieillot), ont remis les sourcils de mon père à l’horizontale. Il s’est alors adressé à moi en prenant son air d’ambassadeur :

Sachez, jeune fille, que je ne vais pas courir, mais à un rendez-vous de la plus grande importance, il a levé bien haut le menton et bombé le torse.

Diantre ! Mille excuses monsieur, j’ignorais que votre éminence était attendue en haut lieu. Pourriez-vous nourrir notre curiosité quant à la teneur de ce rendez-vous, sans enfreindre le protocole il va de soit (jamais depuis mon 1er cri, phrase mieux tournée ne sortit de ma bouche).

Avant même qu’il ne puisse répondre, un « coucou » a retenti dans la cuisine, suivi de huit autres, qui lui ont cloué le bec. Heureusement dans ces cas-là, ma mère prend le relai.

On a rendez-vous au commissariat ce matin à 9h30 avec l’inspectrice, il parait qu’il y a du nouveau dans l’enquête, moi je ne peux pas y aller, alors c’est ton père qui s’y colle.

Sacrebleu (Ou « Sacrerouge » si vous préférez, chacun ses goûts et ses couleurs après tout) ! Ce matin j’avais prévu d’aller retrouver Mathilde pour commencer ma propre enquête, et là j’apprenais que l’enquête « officielle » avait pris de l’avance ! « Non de non », je n’allais pas me faire doubler sans rien faire.

Papa ! tu sais que j’ai toujours rêvé de visiter un commissariat ?

Euh… non, première nouvelle !

Aie, il allait falloir employer la ruse :

Mais si, je te l’ai déjà dit plusieurs fois, mais tu ne devais pas m’écouter, un peu comme quand maman te parle, et j’ai souri de toute mes dents.

Ma mère l’a regardé comme un chat qui vient d’attraper une souri, avant de se faire croquer tout cru il a répliqué :

Ou là, mais bien sûr que je vous écoute, d’ailleurs tu as raison, tu m’en as parlé pas plus tard…

Qu’hier…

Oui c’est ça ! Eh bien, s’il n’y a que ça pour te faire plaisir, tu peux m’accompagner.

Victoire par KO !