J’aurais préféré ne rien savoir. Même si ma vie durant j’ai cherché des réponses le regard tournés vers le ciel, j’aurais préféré ne rien savoir.
Je suis un collectionneur, depuis plus de dix ans, depuis ma retraite pour tout dire. J’arpente les brocantes et les surplus militaires dans l’espoir de trouver l’objet rare, celui qui ravivera la flamme de mes souvenirs.
Ce jour-là, je remontais les rues d’Orlando. L’asphalte vibrait de la chaleur moite d’un mois de juin en Floride. C’est au carrefour de Grissom Parkway et Fay Boulvard que j’ai vu la boutique. La devanture était poussiéreuse, l’enseigne était d’un autre âge. Mon flair de fouineur a fait clignoter un voyant dans ma tête.
Le tenancier de l’établissement était à l’image de ses murs, décrépi, et sans âge. Il m’a indiqué l’arrière du magasin, sans même me demander ce que je cherchais, sans doute renseigné par ma veste en cuir usée décorée d’un écusson de l’armée de l’air.
Les rangées d’étagères, croulaient sous le matériel, les câbles et des monceaux d’objets hétéroclites. L’air était humide. J’avancé prudemment dans les rayonnages, tel un explorateur parcourant une parcelle encore vierge de la forêt amazonienne, à la recherche d’une espèce inconnue. Un objet métallique accrocha alors mon regard. J’avais bien vu, un emblème de la Nasa ornait sa surface lisse et oblongue.
Je le tournais dans tous les sens, à bien y regarder, il ressemblait à un étui à cigare. J’essayais en vain de dévisser les deux parties qui le constitué. Je n’insistais pas de peur de l’abimer, j’avais trouvé ce que j’étais venu chercher.
Le vieux en avait demandé dix dollars, je l’avais eu pour huit. Nous avions tous les deux fait une bonne affaire, l’excitation de la découverte n’a pas de prix.
Dans mon garage, aménagé d’après ma femme comme une annexe d’un musée d’archéologie, j’entrepris de « faire parler » ma trouvaille. Sous ma lampe grossissante, je découvris d’abord un poinçon qui authentifiait sa provenance, puis deux petites initiales gravées à même l’écusson de la Nasa : N.A. Je gardais mon calme, même si je sentais poindre un sourire d’excitation sur mon visage. J’entrepris alors d’ouvrir cette petite capsule temporelle.
Avec mille précautions, je réussi à faire pivoter les deux partis sur elle-même. Je les séparais peu à peu, j’avais l’impression d’ouvrir un sarcophage. C’est bien une odeur de tabac qui d’abord s’imposa, mais ce n’est pas un cigare que je finis par sortir de l’étuis métallique.
C’était une sorte de mille-feuille de papier roulé sur lui-même. Je restais quelques secondes à le regarder, intrigué. Puis, délicatement, je commençais à le déplier. Je me retrouvais alors avec une dizaine de feuillets, jaunies, et couvert de texte !
C’était une écriture manuscrite et serrée, chaque page, qui semblait provenir d’un carnet en était recouverte. Le lettrage était fin et l’interligne quasiment inexistant, comme si on avait voulu exploiter le moindre millimètre carré disponible. Je disposai le premier feuillet sous ma lampe grossissante.
Je passais les heures suivantes à décrypter cette écriture quasi microscopique ou chaque mot, rechignant à se laissait lire, devait se deviner. A la tombé de la nuit, j’avais exhumé ce témoignage, qui me hantera jusqu’à la fin de mes jours.
***
Comment je m’appelle ? Ça n’a aucune importance ! L’important est ce que je suis, et plus précisément ce que je fais. L’homme ne se défini que par ses actions, tout le reste n’est là que pour amuser la gallérie au mur de laquelle sont accrochés les portraits de la plupart de mes contemporains. Je suis psychologue, psychologue en chef. Mon épithète n’est pas une usurpation, il n’est pas une boursouflure de mon ego, il dit exactement quel est ma fonction et mon niveau de responsabilité. Il justifie mes choix mais ne les excuses pas. Il est inutile de s’excuser pour ce que l’on fait, l’introspection et la morale ne sont que des barrières psychiques qui justifient notre passivité.
Pourquoi je suis ici ? Parce que j’ai failli ! Je n’ai pas su détecter ce qui maintenant m’apparait comme une évidence.
Tout a commencé il y a neuf ans. J’étais alors un jeune doctorant en psychologie animal. Fort de quelques publications qui avaient éveillé l’intérêt des pseudo-spécialistes, j’avais obtenu un poste à temps plein à l’université d’Orlando. Lieu stratégique, car à quelque kilomètre de là, le projet le plus fou de ce vingtième siècle, bien plus encore que le IIIème Reich, était en train de prendre forme. Le président l’avait décrété, en usant et abusant d’auto-persuasion, l’homme devait aller sur la lune avant la fin de cette décennie. Des moyens colossaux avaient été détournés dans ce seul but. Le monde scientifique était en ébullition, comme seulement il peut l’être pendant une guerre mondiale. J’étais trop jeune pour avoir connu l’effervescence intellectuelle que provoque un embrassement planétaire. Je ne voulais pas manquer cette nouvelle occasion.
La NASA comptait utiliser des animaux pour mener à bien ses expérimentations, et je comptais bien utiliser la NASA pour mener à bien les miennes. C’est donc en tant qu’expert du comportement animal que je réussi à me faire recruter.
Les premiers mois furent les plus jouissifs. Nous avions à notre disposition les équipements les plus sophistiqués, et nous pouvions obtenir les spécimens les plus rares, dans le seul but d’étudier leurs réactions et de sélectionner les plus aptes.
Le premier vol suborbital confirma mes intuitions, le primate le plus à même d’effectuer ce genre de mission était bien le singe, et pas l’homo sapiens. Plus docile, plus malléable, plus facilement conditionnable, c’était le cobaye parfait. Mais, comme l’homme en a pris la détestable habitude, la décision ne fut pas scientifique mais politique, et comme prévu, c’est bien l’être humain qui gagna sont ticket pour l’espace.
Notre équipe dut alors changer de sujet d’étude, afin de sélectionner les futurs équipages et de garantir leurs efficacités en toutes circonstances. Je taisais à cette époque mes doutes quant à la fiabilité de notre ligné d’hominidés, car enfin, existe-t-il sur cette planète espèce plus versatile, plus inconséquente, plus imprévisible ? Non ! Mais cela n’avait pas d’importance à mes yeux, car mes véritables expérimentations allaient pouvoir commencer.
Je m’attachais alors à concevoir des tests qui pourraient mettre en lumière les failles et les faiblesses de tous ceux qui avaient eu la prétention d’être candidat. J’avoue avoir pris plaisir à les éliminer un par un. Au bout de quelques mois, on nous demanda cependant d’ajuster les critères de sélection, aucun équipage n’ayant pu se dégager des dizaines de prétendants. L’approche scientifique aurait voulu que soit abandonnée cette lubie de vouloir envoyer un homme dans l’espace, mais la politique fit une fois de plus pencher la balance. Douze hommes furent alors sélectionnés, douze hommes qui avait réussi 75% des tests, là où le chimpanzé en avait réussi 100%. Douze hommes, autant de héros de pacotilles d’une nation aveuglée par son opulence, sur lesquels j’allais enfin pouvoir valider mes techniques de manipulation mentales.
C’était il y a trois mois, le jour du décollage. Les trois astronautes qui constituaient l’équipage final, se présentèrent à la salle d’examen six heures avant le début du compte à rebours. Il y avait : Pilote 16, Co-pilote 73 et orbiteur 65. Je l’ai déjà dit, les noms n’ont aucune importance, seule la fonction compte. J’effectuais les derniers contrôles pour m’assurer qu’aucune défaillance psychique ne serait à craindre dans les prochaines heures. Je signais leurs bons de sortie, même si j’avais une idée très précise de ce qui allait se passer.
A cinq heures du décollage, l’équipage fut emmené au pied de la rampe de lancement et prit place dans l’ascenseur qui devait les mener jusqu’à l’entrée du module de commande : leur « cocon » pour toute la durée du voyage, au sommet d’un lanceur Saturn V.
Une dizaine de cameras et de micros installés un peu partout, nous permettraient de ne rien rater de leurs pérégrinations. Leurs combinaisons étaient bardées de capteurs, tout comme la cabine du module. Nous pouvions voir évoluer leurs paramètres vitaux en temps réel.
Dans le centre de commandement, tout le monde étaient concentrés, prêts à jouer son rôle. Une cinquantaine de personnes, deux fois plus d’écrans, et un mur couvert de panneaux à lampes permettaient de surveiller le déroulement de la mission.
Depuis une petite plateforme qui dominait l’espace, je surveillais cette étrange populace de rats de laboratoire. J’avais mon stylo et mon carnet d’étude à la main.
Dans l’ascenseur, Co-pilote, l’élément le plus vulnérable des trois, semblait déjà nerveux :
Bon sang, pourquoi n’ont-ils pas prévu de fenêtre dans cette foutue cabine, j’aurais bien aimé voir le soleil une dernière fois.
Orbiteur avait l’horripilante manie de toujours en rajoutait :
Moi aussi, d’autant qu’on est pas sûr de jamais le revoir, pas vrai ?
Comme d’habitude c’est Pilote qui se chargeait de rassurer ses équipiers :
Ne vous inquiétez pas, on le reverra bientôt notre soleil, d’encore plus près, et encore plus beau … pas comme vous !
Et les trois complices de rire de concert. Consternant !
À quatre heures du décollage, sanglés sur leurs sièges, dans un espace pas plus grand qu’une cabine téléphonique, dos au sol, ils déroulaient l’interminable check-list. Activité inutile destinée à occuper leurs esprits, car tous les contrôles était fait par ailleurs depuis le centre de commandement et sans qu’ils le sachent, comme je l’avais préconisé. La valeur médiane de leurs paramètres vitaux validait s’il le fallait un peu plus mes théories. Je cochai une case sur mon carnet d’étude.
A trois heures du décollage, un voyant se mis à clignoter pendant quelques secondes sur le tableau de bord. Immédiatement, je vis bondir le cardiogramme de Co-pilote et d’Orbiteur. Rien chez Pilote n’avait bougé. Sauf sa main gauche qui vint tapoter le voyant qui finit par s’éteindre. Au centre de commandement, Contrôleur, chargé de communiquer avec l’équipage, leur signifia que tout allait bien. Je cochais une nouvelle case.
Les heures suivantes se passèrent sans évènement particulier. Je ne mentionnerais pas les conversations insignifiantes qui les ont emmaillées, me faisant parfois regretter mes primates simiesques.
Puis le compte à rebours final commença.
A H-9 secondes, Contrôleur annonça que la séquence d’allumage du premier étage était initiée. Les cardiogrammes d’Orbiteur et de Co-pilote recommencèrent à s’affoler.
Contrôleur poursuivi le décompte : 8, 7, 6… les paramètres réagissaient à l’unisson, 5, 4, 3… température, respiration, les courbes n’étaient plus que des pics, 2, 1… Les hauts parleurs déversèrent dans la salle de commandement, le bruit assourdissant de la mise à feu du premier étage.
La respiration des trois hommes s’accéléra, au point de se rapprocher de celle des canidés que j’avais étudié bien des mois auparavant. Le danger et la peur ravalaient l’humain et son état primitif d’animal. Co-pilote et Orbiteur poussaient des grognements, Pilote restait concentré. Le module de commande semblait pris dans le maelstrom d’un tremblement de terre. Les voyants de température extérieur affichaient des chiffres affolants. J’imaginais avec délectation l’effet provoqué.
Puis un bruit métallique vint s’ajouter au tumulte, celui du déverrouillage des bras qui maintiennent les 3000 tonnes des trois étages de la fusée sur son pas de tir, et Contrôleur commença d’égrainer l’altitude : 10… 20… 100… 130 mètres. L’équipage ressentie le roulis propre à l’alignement du vaisseau sur son nouveau cap. L’accélération lissait les traits de leurs visages crispés par l’effort. Orbiteur avait les yeux fermés. La sonde de Co-pilote enregistra le relâchement de sa vessie.
Contrôleur annonça que tous les paramètres étaient optimaux, Pilote confirma que de leur côté tous les voyants étaient aux verts, décidément c’était le seul à faire honneur à son statut. Je cochais quelques cases supplémentaires.
Lorsque l’altimètre afficha 62 km, 135 secondes après le décollage, un bruit d’explosion retentie, celui de la mise à feu des moteurs à poudre, annonçant la séparation d’avec le premier étage. L’équipage subit une nouvelle accélération. Les courbes une nouvelle élévation. Les trois astronautes avaient les yeux rivés sur l’écran affichant une caméra externe, on vit alors la jupe, cet élément qui relie les deux premiers étages, se désolidariser et commencer à s’éloigner. C’était la procédure normale. Elle ne se passerait pas normalement !
L’énorme annaux vint heurter un des moteurs du deuxième étage provoquant une gerbe d’étincelle qui aveuglât les occupants de la cabine. Simultanément, une alerte retentie, et cinq voyant se mirent à clignoter sur le tableau de contrôle du module. Une deuxième alerte s’ajouta à la première au poste de commandement : les courbes d’Orbiteur et de Co-pilote venait d’atteindre des valeurs critiques. Contrôleur pris la parole et indiqua la procédure à suivre. Pilote réagi avec précision et célérité, en moins de trois secondes, les voyants étaient repassés aux verts. Orbiteur et Co-pilote eux, étaient toujours dans le rouge. Je ne pus m’empêcher de sourire en cochant deux nouvelles cases.
Contrôleur annonça d’une voix calme :
La mission continue, je répète la mission continue.
On entendit alors la voix affolée de Co-pilote :
Un des moteurs a été touché, il faut annuler la mission, activer le dispositif de sauvetage !
Orbiteur se joignis à la complainte, il semblait à bout de souffle :
Annulez la mission, je répète, annulez la mission…
Pilote-le coupa calmement et repris le contrôle de la situation :
Du calme les gars, de toute façon, le dispositif de sauvetage vient d’être largué. Les cinq moteurs du deuxième étage sont toujours opérationnels, faisons-en sorte que les trois membres d’équipage le soient également. Alors, vous restez avec moi ?
Peu à peu je vis la fréquence cardiaque des deux équipiers ralentir. Non seulement Pilote avait un sang-froid à toute épreuve, mais il savait d’instinct comment rassurer ses hommes, j’en été presque admiratif.
Il s’écoula encore quelques minutes avant que les capteurs n’indiquent que tout le carburant du second étage était maintenant consommé. Quand le bruit de la séparation d’avec le troisième étage intervint, un soupir de soulagement résonna dans la cabine.
Les moteurs du dernier étage donnèrent alors de la voix pour emmener ce qu’il était sensé rester de la fusée jusqu’à son orbite basse, à quelque 180 km de distance de la terre. C’est précisément à ce moment-là, à H+11 minutes que le voyant qui s’était manifesté trois heures auparavant, se remit à clignoter.
Pilote demanda à Contrôleur si le voyant miroir du centre de commandement était allumé. Contrôleur confirma. Je vis sur l’écran les yeux de Pilote se plisser au travers de sa visière lorsqu’il annonça :
Contrôle, nous avons un problème.
Ses deux équipiers tournèrent la tête dans sa direction, leurs champs de vision entravés par leur casque, comme des enfants pris au piège d’un costume bien trop grand pour eux.
Co-Pilote se risqua le premier :
Quel genre de problème ?
Pressurisation, se contenta de répondre Pilote.
Pressurisation ? répéta Orbiteur.
Et un des cinq hublots de la cabine implosa !
Plusieurs alarmes retentirent dans la capsule et dans la salle de commandement. Les voyants des panneaux muraux se mirent à clignoter dessinant un ersatz de guirlande de noël, les imprimantes des ordinateurs se réveillèrent pour cracher des mètres de papier couvert de chiffres.
Du haut-parleur de la cabine s’échappaient les cris d’Orbiteur et de Co-pilote, en même temps que s’échappait l’oxygène à travers le trou laissé béant par la disparition du hublot.
Un frisson d’excitation fit trembler mon stylo lorsque je cochais de nouvelles cases.
Le cri de Pilote vint couvrir celui de ses équipiers :
Pressuriez vos combinaisons ! Pressurisez vos combinaisons !
Mais ils n’étaient plus en mesure de réagir, je souriais, leurs cerveaux semblaient également avoir subi une dépressurisation.
Pilote pressa à tour de rôle les boutons du boitier de commande situés sur leurs avant-bras avant même de s’occuper du sien. L’afflux d’oxygène leurs rendit un semblant de lucidité.
Qu’est-ce qui s’est passé ! hurla Co-pilote.
Un hublot arraché. Répondis calmement Pilote.
On est foutu ! cria Orbiteur.
Non, c’est la mission qui est foutue, pas nous ! Contrôleur, je vais passer en manuel pour larguer le troisième étage.
Je sentais Co-pilote au bord de la folie :
On va crever si tu fais ça !
Je vais tenter un retournement pour une rentrée dans l’atmosphère.
On est foutu ! répéta Orbiteur d’une voix blanche.
Depuis la salle de commandement, Contrôleur donna son feu vert :
Ok Pilote, vous avez les commandes, à vous de jouer !
Trois hommes enfermés dans un cercueil de fer, dont la survie ne tenait qu’à un fil unique : celui de la lucidité. Quoi qu’il arrive désormais, les données psychologiques de cette mission alimenteraient mes recherches pendant des mois.
Tout le personnel de la salle de commandement scrutait maintenant l’écran de retour de Pilote.
Ses gestes étaient précis, sa respiration contrôlée. A travers la visière de son casque, que les voyants d’alarmes faisaient rougeoyer, on pouvait deviner son expression déterminée. De sa main gauche, il actionna le levier de libération. Un bruit sourd confirma la séparation d’avec le troisième étage, Orbiteur et Co-pilote avait les mains cramponnées à leur siège, ils semblaient désormais incapables du moindre mouvement. Pilote saisie la manette d’orientation des tuyères et avec une infini délicatesse il corrigea l’azimute de la capsule en utilisant la poussé des rétrofusées. Il finit alors par annoncer :
Aligné, prêt pour la rentrée, je libère le module de service.
Nouveau bruit provenant de l’arrière de la capsule. La caméra de contrôle montrait à présent la partie basse s’éloigner lentement de l’habitacle dans laquelle était confiné l’équipage. Il ne restait du vaisseau spatial qu’un simple cône tournoyant sur son axe.
Contrôleur repris la parole :
Pilote vous êtes aligné sur la trajectoire de rentrée, vous pourrez allumer les rétrofusées à mon Go.
Co-pilote demanda d’une voix étranglée :
Ça va marcher ?
Oui !
Comment tu peux en être sur ? renchéri Orbiteur.
Mon fils a promis de me tuer si je ne revenais pas sain et sauf, je ne veux pas prendre le risque.
J’esquissais un sourire, Pilote ne semblait douter de rien, et rien ne semblait lui faire peur. Du haut de mon promontoire, j’observais les personnes du poste de commandement, qui a leur corps défendant faisait également partie de mon sujet d’étude. Nul doute que pour la plupart de ces esprits disciplinés et formatés, Pilote fut un héros. Mais les comportements extrêmes ne sont souvent rien de plus que l’expression d’une pathologie. La maladie d’Urbach-Wiethe : la maladie de l’homme sans peur, voilà ce qui expliquait sans doute sa témérité, rien de plus. Je cochais une case.
Contrôleur tourna alors la tête dans ma direction. La procédure voulez que je confirme la dernière séquence. Je faisais mine de regardait les courbes vitales qui défilaient sur un écran devant moi. Puis d’un signe du menton, je confirmais la poursuite.
Go ! Je répète, vous avez le Go pour injection sur la trajectoire de rentrée, bonne chance… et dieu vous garde.
Je sursautais du haut de mon perchoir, bon sang, cette manie puérile de toujours s’en remettre au divin, Nietzsche devait se retourner dans sa tombe.
Pilote pivota légèrement à droite puis à gauche, comme pour s’assurer que ses équipiers avait bien compris. Co-pilote et Orbiteur levèrent légèrement le bras, leurs cardiogrammes étaient repassés sous la barre critique, ils étaient mûrs pour le dernier acte !
Pilote allait basculer la manette des gaz vers l’avant, lorsqu’un mouvement à la périphérie de sa vision l’interrompit dans son geste. Il tourna lentement la tête dans la direction du hublot qui avait implosé. Orbiteur lui aussi semblait avoir perçu quelque chose, son regard se dirigea à son tour vers l’orifice et… le voyant de sa sonde urinaire s’alluma !
Un mince filament, qui aurait pu passer pour un simple câble, s’il n’avait remué comme un serpent à qui on aurait coupé la tête, était maintenant visible sur un des bords du trou.
Un deuxième fit son apparition sur le bord opposé, semblant palper l’intérieur de l’habitacle à la recherche d’une prise. Puis trois autres s’engouffrèrent dans la brèche, avant qu’un orifice pourvu de ce qui pouvait ressembler à des dents acérées ne viennent franchir l’encadrement du hublot !
Orbiteur était tétanisé. Co-pilote aperçu à son tour l’organisme qui était en train de pénétrer dans leur cocon. Il se figea, la bouche déchirée dans un cri silencieux. Je notais rapidement : état cataleptique ? Et l’obscurité totale se fit.
Et la lumière fut. Pilote avait allumé son éclairage situé au niveau du poignet. Son visage, baigné d’ombres sépulcrales, scrutait l’espace de la cabine. Tout semblait mort, équipement comme équipage. Au poste de contrôle, un nouveau voyant s’alluma : Il venait de détacher ses sangles. J’ignorais le regard interrogateur de Contrôleur et quittait mon poste d’observation, pour m’engouffrer dans le dédale de couloir de la base.
Les cinq minutes qui suivirent, je ne le visionnais que plus tard.
Après s’être défait de ses liens, Pilote était venu s’assurer que ses équipiers allaient bien. Toujours cet altruisme incontrôlé. Les deux hommes étaient inertes, probablement aux portes de l’inconscience. Sans même se préoccuper de l’intrusion dont tous avaient été témoin, il se dirigea pesamment vers la trappe de sortie. Les 70 kg de sa combinaison ne semblaient en rien entraver sa détermination. Arrivé devant l’écoutille qui le séparait du vide de l’espace, il ne marqua aucun temps d’hésitation et actionna le système d’ouverture. Il fut alors repoussé par la brusque re-pressurisation de la capsule.
La trappe était maintenant entièrement ouverte, une lumière crue s’était déversée à l’intérieur de la cabine, Co-pilote et Orbiteur gisaient toujours sur leurs sièges. Pilote se tenait dans l’embrasure de l’écoutille observant l’extérieur à travers son casque. Puis il remonta lentement sa visière.
Il passa sa jambe gauche au travers de l’ouverture. Il lui fallut plus d’une minute pour extraire le reste de son anatomie du module. Il était maintenant dans un couloir cylindrique d’environ trois mètre de diamètre, baigné d’une lumière blanche dont la source restait invisible. Il se mis péniblement en marche. Au bout de quelque minutes, il s’arrêta et pivota sur sa droite pour faire face… à la porte !
Il leva les yeux et fixa la demi-sphère qui surplombait le seuil. Le bleu de ses iris découpait ses paupières comme des lames de rasoir. Le bruit sifflant d’un piston, et la porte disparue dans la paroi. Quelques secondes plus tard, il se tenait devant un grand bureau hémisphérique couvert d’écrans et d’instruments de mesure, son regard acéré plongé… dans le mien !
VOUS ETES CINGLE !
Les deux mains de pilote frappèrent le bureau comme deux marteaux sur une enclume.
Vous nous avez manipuler comme de vulgaires cobayes !
Sa bouche était déformée par la colère, une veine saillait sur son front.
Je vous ai surtout sauvé la vie !
Il se redressa malgré le poids de sa combinaison et continua avec morgue :
Rien ne peut justifier ce que vous venez de faire.
Il reprit alors son souffle, je ne lui laissais pas le temps de reprendre la parole :
En effet, la recherche scientifique n’a pas besoin de justification.
Un voile de lassitude vint troubler son regard, je profitais de cette faiblesse passagère pour lui inoculer ma pensé :
Envoyer des hommes sur la Lune, sans s’assurer au préalable de leur réaction face aux dangers, était-ce vraiment raisonnable ? Bien sûr que non ! Et comment les tester autrement qu’en leurs faisant croire que ce qu’ils vivent est bien réel ? J’ai convaincu le directeur de mission de la nécessité de cette mise en scène. L’ascenseur qui devait vous mener au sommet de la fusée, vous a en réalité conduit trente mètres sous la rampe de lancement. C’est là que le simulateur a été construit. Une réplique de la capsule a été installé sur une centrifugeuse, une équipe de cinéaste s’est chargées des effets spéciaux, celle-là même qui prépare en ce moment les images de votre alunissage en cas d’échec. Il a fallu ensuite convaincre tout le personnel de la salle de contrôle de jouer le jeu, de loin la partie la plus compliquée de l’expérience. Ces gens-là vouent aux astronautes une admiration parfaitement dénuée de sens. Mais le résultat est là ! Le conditionnement psychique est la clef qui permettra de déverrouiller le potentiel inutilisé de l’être humain. Vos petits pas sur la lune ne seront rien en comparaison du bond que l’humanité va accomplir grâce à ce type d’expérience.
Vous êtes fous ! se contenta de rajouter Pilote, mais le cœur n’y était plus.
C’est vous qui l’êtes si vous imaginez un seul instant que vos équipiers auraient été à la hauteur. Vous seul avait réagi correctement, vous seul avez conservé votre lucidité, vous seul avez fini par comprendre la nature exacte de la situation.
Pilote sembla alors reprendre vie :
Quelle situation ? Qui pourrait croire à ce grotesque scenario de film de série Z ?
Orbiteur et Co-Pilote y ont cru eux ! Voyez leurs réactions, ou plutôt leurs absences de réaction !
Il me tança alors d’une voix tranchante :
C’est vous qui les avez emmenés au point de rupture pas vrai ? Ça fait partie de vos saletés de technique de manipulation !
J’appelle cela : le trempage ! Pour obtenir l’acier le plus résistant, il faut chauffer le fer à blanc, puis le refroidir brusquement, plusieurs fois. Pour l’homme, il en va de même : alterner les situations de stress intenses et les phases de repos, c’est comme cela que l’on forge les héros. Bien sûr, le traitement ne convient qu’aux alliages, et qu’aux hommes, les plus « purs ». Vous faite partie de cette race pure, vos équipiers hélas…
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase qu’il éructa :
Race pure ? Vous reprenez à votre compte les théories Nazi ?
De loin les plus avancées en matière de discrimination génétique et de conditionnement psychique.
Il frappa à nouveau les mains sur le bureau avec rage, puis se pencha au-dessus des écrans jusqu’à quelques centimètre de mon visage et murmura :
Je devrais vous tuer de mes mains !
Je laissais échapper un soupir de satisfaction :
Croyez-vous que je vous aurai raconté tout ça, si je vous savais capable d’un tel acte ? Je vous connais Pilote, mieux que quiconque, mieux que vous-même. Le meurtre n’est pas une option pour vous, la formulation de votre menace en est une preuve supplémentaire. C’est un des verrous inviolables de votre personnalité, de ceux qui assurent la cohérence de vos représentations mentales. Votre chemin est désormais tout tracé, je n’ai fait qu’élargir le sillon.
Il se redressa, sa respiration était lourde, son regard se perdit quelque part derrière moi :
Si mon chemin et tout tracé, le vôtre l’est également !
Puis sur cette déclaration qui m’apparut sibylline sur le moment, il se retourna et se dirigea vers la sortie.
A l’extérieur, une équipe médicale était en train de prendre en charge Co-pilote et Orbiteur. Allongés sur deux brancards, toujours en état de catalepsie, on les évacuait vers le fond du couloir, désormais ouvert sur une plateforme donnant accès au réseau de transport pneumatique souterrain de la base de lancement.
Pilote se vit proposer une place sur un des remorqueurs électriques. Avant que l’engin ne démarre, je le rejoignis, un grand sourire aux lèvres et un étui à cigare à la main. Il me regarda étonner, je déposais l’étui dans sa main gauche.
Une cuvé spéciale, vous pourrez célébrer votre petit pas sur la Lune, et mon grand pas pour l’humanité !
Le remorqueur s’élança alors silencieusement. Pilote ne me lâcha pas du regard jusqu’à ce que le véhicule tourne au bout du couloir. Alors seulement, un rire nerveux s’échappa de ma gorge.
La catalepsie d’Orbiteur dura seize heures. A son « réveille », il montrait des signes post-traumatiques semblable à ceux des soldats qui reviennent d’une zone de combat. Je savais qu’il ne serait plus jamais opérationnel, mais l’avait-il jamais été ? Demi-dieu n’ayant pu atteindre l’Olympe, il rentra chez lui trois jours plus tard, l’échec l’ayant ravalé à l’état de simple mortel.
J’avoue avoir été surpris par la récupération de Co-pilote. Deux heures après avoir été évacué, il était déjà sur pied. Loin de la vindicte qu’avait manifesté Pilote, il s’était montré volubile, voir enthousiaste, près à partir « une bonne fois pour toute » marquer de son empreinte indélébile « la poussière sélénite ». Son ton un peu trop grandiloquant, ses mots un peu trop choisis, son exaltation un peu trop feinte, je détectais chez lui les prémices d’un effondrement émotionnel. Je l’autorisais à rentrer chez lui, précipitant sa fin, et sans le savoir, la mienne.
C’est de la bouche même du directeur de mission que j’appris la nouvelle le lendemain. Sur le chemin du retour, Co-pilote avait percuté un arbre à pleine vitesse. Il était mort sur le coup. Les premières constatations ne faisaient état d’aucune trace de freinage et d’aucun problème mécanique sur son véhicule.
Je me rendais sur les lieux de l’accident pour avoir la confirmation de mes soupçons : il y avait, à mi-hauteur du tronc, un trou de la taille approximative d’un hublot !
Finalement, Co-pilote avait réagi à l’intrusion… douze heures plus tard.
Les jours qui suivirent furent conformes à mes prévisions. Le personnel du centre de commandement émit des doutes sur les méthodes de l’équipe psy. Ces zélateurs aveugles de la caste des astronautes ne tardèrent pas à retourner leurs vestes. Invoquant l’éthique, prétextant un cas de conscience, déployant l’argumentaire classique des faibles. Le directeur de mission n’eut d’autre choix pour apaiser les esprits chagrins, que d’ostraciser mon département. Qu’importe, si nous n’étions plus les bienvenus au poste de contrôle, j’avais déjà de quoi étayer mes études.
Je n’assistais pas à l’enterrement de Co-Pilote, d’autres cobayes étaient partis avant lui, d’autre arriveraient après. Je ne croisais plus Pilote, même si je le soupçonnais d’être à l’origine ne ma mise à l’écart, mais qu’importe, tout ça, je l’avais déjà anticipé, oui, j’avais tout prévu. Tout, sauf ces douze dernières heures !
Nous somme à H-1 heure du décollage, trois mois après le test. Un équipage a été reconstitué, Pilote 16 en fait bien sur parti. Dans quelques dizaines d’heures, les plus de trois milliards d’êtres humains restés sur Terre assisterons au premier pas d’un homme sur la Lune, réel ou fictif. Instantanément, Pilote deviendra un héros, et je ne serais plus là pour le faire le tomber de son piédestal.
C’était hier, j’étais dans mon bureau, prenant des notes sur mon carnet, recoupant les montagnes de données récoltées durant ces derniers mois, analysant la moindre des réactions, les plus petites fluctuations physiologiques et psychiques des dizaines de sujets humains et non humains, qui avaient pris part volontairement ou non, à mes expérimentations. J’allais établir une carte de la psyché animale, une carte qui à l’instar des cartes perforés des ordinateurs permettrait à terme, de programmer un cerveau humain comme on programme un cerveau de silicium. Le contrôle du libre arbitre d’un individu, voilà ce que j’allais offrir à l’humanité.
Le sifflement de la porte pneumatique interrompit ma réflexion. Je regardais l’heure à mon poignet : 22h30, je levais la tête, personne n’était présent dans l’encadrement. L’écran de contrôle relié à la caméra extérieur n’affichait rien, probablement en panne, une fois encore. Je rangeais mon précieux carnet et mon stylo dans ma poche et me dirigeais vers la sortie, irrité d’avoir été distrait dans mes activités. Je franchissais la porte, bien décidé à sermonner l’importun, lorsqu’un choc à la tête me fit instantanément perdre connaissance.
Je suis revenu à moi il y a maintenant quatre heures, une douleur lancinante au niveau de la tempe droite, dans l’obscurité la plus totale. Dans une telle situation, la plupart des individus seraient aux mieux désorientés, aux pires paniqués. Mais je connais trop bien les effets délétères de la peur pour m’y abandonner. J’exploitais donc tous les processus de cognitions autre que ma vision pour analyser la situation. Inutile de crier ou d’appeler à l’aide, toutes formes de réactions primaires qui pourraient faire empirer ma situation, en tout premier lieu, déterminer ou je me trouvais.
Il y avait d’abord cette légère odeur d’hydrocarbure, et puis le son, qui résonnait comme dans un espace clos. Le mur derrière moi était en béton parfaitement lisse. Je le suivais sur quelque mètre sans rencontrer aucun angle, il semblait être curviligne. Je fouillais dans mes poches, y trouvais le stylo que je déposais à mes pieds. Puis je repris mon exploration. Au bout d’une quarantaine de pas, je retrouvais mon stylo. La pièce dans laquelle je me trouvais était probablement circulaire, d’un diamètre avoisinant les huit mètres. La seule issue semblait être une porte en acier que j’avais sentie sous mes doigts à mi-parcours. Ayant atteint mon premier objectif, je senti mon pouls s’accélérer, le stress ne devait pas prendre le dessus. Réfléchir, il fallait réfléchir !
J’avais été assommé puis transporté dans cette pièce. Par qui ? je ne manquais pas d’ennemi. L’entourage de Co-pilote ? Sa femme avait menacé de raconter le lancement fictif à la presse, rendant la Nasa responsable de l’accident mortel de son mari, mais un arrangement avait été trouvé par le directeur de Mission. De toute façon, elle aurait dû bénéficier de complicités, seules les personnes accréditées ont accès au réseau souterrain du complexe de lancement. Beaucoup devaient en vouloir à l’équipe psy, et a moi en particulier, mais aucun n’aurait le courage de mettre en péril sa carrière, les rêves de grandeurs peinent souvent à cacher la bassesse des esprits qui les abrites. Pilote ? Est-ce que Pilote aurait pris le risque ? Est-ce qu’à quelques heures seulement du décollage, il aurait mis la mission en danger pour venger son équipier, est-ce que l’ombre du héros dessinais le profil d’un justicier ? J’en étais là de mes réflexions quand un bruit sourd brisa le silence et qu’un mince trait de lumière découpa le plafond par le milieu !
La pièce baignait maintenant dans le faible rayonnement qui séparé le plafond en deux. Celui-ci semblait s’être ouvert de quelques millimètres sur tous son diamètre. Mes yeux s’abreuvaient à cette source lumineuse. La lumière à se pouvoir : diluer les pensées les plus sombres. Mon premier geste de voyant fut de regarder ma montre, il était 4h32, j’étais rester inconscient plus de six heures !
Il fallait que je reprenne mon exploration, l’action et la réflexion, le balancier garant de mon équilibre mental devait rester en perpétuelle mouvement. J’eu confirmation de l’unique issu que comportait ma prison circulaire : une porte métallique, semblable à une écoutille de navire, verrouillée de l’extérieur. Sur sa gauche, à hauteur d’homme, une ouverture d’une dizaine de centimètre données sur un conduit qui plongeait dans le mur. Le mur lui-même semblait comme noircie, le toucher laissait sur mes doigts un léger dépôt graisseux. Un réservoir d’hydrocarbure ? Si j’étais toujours sur la base de lancement, cette pièce pouvait-elle être un des nombreux lieux de stockage présent sur le site ? Je balayais à nouveau l’espace, l’observant à l’aune de cette nouvelle hypothèse lorsque je vis, à l’aplomb du rideau de lumière qui découpait le plafond, comme un regard tranchant découpe les paupières, un objet long et oblong. Je me précipitais pour le ramasser, le venin du stress, que j’avais contenu jusqu’à présent déversa dans mes veines son poison, troublant mon regard, rendant mes gestes fébriles, il fallut quelques secondes à mon organisme pour que l’adrénaline, son antidote, n’en neutralise les effets. Ne pas épuiser mais réserve physiologique et psychique, tel devait être ma priorité. Je respirais profondément et portais l’objet à mon regard, mon agresseur avait signait son forfait, je tenais dans ma main tremblante : l’étui à cigare de Pilote !
Il avait osé ! Il avait pris ce risque insensé ! Je n’arrivais pas à comprendre quel processus de pensé l’avait emmené à élaborer un tel scenario. Quel était son but ? Le décollage allait avoir lieu dans quelques heures. Il m’avait laissé prisonnier dans cette pièce, sans nourriture et surtout sans eau. La mission, s’il elle allait à son terme devait durer plus de huit jours, et il serait soumis à une quarantaine de vingt et un jours après son retour. Quelqu’un finirait forcement par me trouver, mort ou vif, et il ne tarderait pas à remonter jusqu’au coupable. Il fallait être fou pour penser le contraire, et Pilote n’était pas fou, tous mes tests le démontraient, absolument tous !
C’est alors que des effluves acides résultant des tensions auxquelles mon organisme était soumis, vinrent enflammer mon œsophage, et que je me mis à hurler ! Il me fallut plusieurs secondes pour retrouver mon calme. Que s’était-il passé ? J’étais maintenant près de la porte que je venais de martèlerait de mes poings à présent endoloris. Le sang bâtait douloureusement à mes tempes, la sueur traçait son sillon brulant sur ma peau. Cette succession de phase de stress intense aller finir par avoir raison de ma lucidité, il fallait que je garde le contrôle. Je devais continuais à analyser la situation.
Si j’excluais le coup de folie, cela signifiait que Pilote avait dû planifier son projet depuis plusieurs semaines, qu’il en avait soigneusement envisagé toutes les conséquences. Il ne comptait pas me tuer, mais m’éprouver. C’était ça ! Il me faisait subir un test, une simulation, il retournait contre moi mes techniques de manipulation. Le « trempage » n’étais-ce pas ce que j’étais en trains de subir ? Il voulait me faire plié jusqu’à perdre la raison. Alors seulement, il libérait ce corps que l’esprit aurait déserté, alors seulement, ma parole devenue inaudible ne pourrait plus compromettre le héros descendu des étoiles. C’était le seul scenario plausible, je devais m’en convaincre, celui qui me laissait un espoir. L’espoir que Pilote n’ai pas agi seul, et que peut-être même j’étais observais. Oui à cet instant précis, quelqu’un attendait probablement les signes de mon effondrement mental, alors il me libérerait, alors la vengeance serait accomplie, alors… un bruit sourd brisa le silence, et le plafond disparu complètement !
C’était il y a trois heures. Il était 5h29, et la tuyère du moteur principale du premier étage de la fusé saturne V venait de remplacer le plafond.
Je me mis à trembler, de tout mon être, chaque atome me constituant semblant pris de frisson, et ce tremblement se propagea comme une vague jusqu’à mon larynx, et un rire de dément vint alors remplir la salle de son écho. Etais-ce possible ? Etais-ce seulement vrai ? Avais-je perdu la raison ? Mon rire inextinguible fini par s’étouffer, ayant épuiser mes dernières réserves émotionnelles, me laissant confus et agar. Tous cela semblait bien trop réel pour ne pas l’être, j’étais pris au piège, dans une prison à ciel ouvert, dont la hauteur des murs empêchée toutes tentative d’évasion, mon champ de vision écrasé par la fusée qui se dressée comme un glaive vengeur au-dessus de moi. Une couronne de ciel étoilé pour seul horizon. Ce n’était pas un réservoir, c’était un espace de confinement et d’évacuation des gaz de propulsion. Dans quelques heures, la mise en route des moteurs délivrerait une chaleur titanesque de 3200°c dans cette prison, me réduisant instantanément à l’état de particules. Cet œil cyclopéen pour l’instant endormie ne se réveillerai que pour me signifier ma mise à mort. Il ne faisait à présent plus aucun doute que personne ne m’observait et que personne ne viendrait me délivrer. Pilote avait imaginé le crime parfait. J’avais commis une erreur fatale, celle de croire que la simulation n’avait pas affecté son profil psychologique.
Rester calme, réfléchir. J’étais sous le site de lancement, le soleil n’allait pas tarder à se lever. Le décollage était prévu pour neuf heure, mais les reports étaient courants, les ingénieurs interrompant le compte à rebours à tout bout de champ, vérifiant et revérifiant jusqu’à l’obsession, j’avais encore quelques heures devant moi, quelques heures pour trouver une solution. Je me remis à crier, consciemment cette fois-ci, même si l’espoir était mince que l’on m’entende, un périmètre de sécurité était décrété lors des lancements, les personnes les plus proches étaient désormais à quelques 110 mètres au-dessus de moi. Mais ce crie stimulait à nouveau mon intellect, je dénouais prestement mes lacets de chaussures et faisait tournoyer la première que je lançais, telle une fronde, au-dessus de ma tête. Des cameras filmaient en permanence la rampe de lancement. J’avais une chance d’attirer l’attention. La chaussure atterrie sur le bord du mur circulaire. Je fis de même avec la seconde. J’attendais anxieux, espérant à chaque minute entendre le bruit du déverrouillage de la porte, ou une voix me héler depuis le sommet du mur. Trente minutes s’écoulèrent, trente minutes déversant leurs silences morbides dans ma tombe à ciel ouvert. Trente minutes avant qu’une voix ne resonne. Une voix que je reconnu sans équivoque, celle de Contrôleur qui annonçait : « décollage dans trois heures », et une clameur étouffée me parvint, portée par la brise qui se leva avec les premiers rayons du soleil.
A quelques centaines de mètres, je savais que des gradins avaient été installés. Point de ralliement des dizaines de privilégiés qui allait être les témoins directs du lancement. Un mat équipé de hautparleurs diffusait les conversations du poste de commandement. La voix de Contrôleur était tombée comme un couperet. Il ne me restait que trois heures. Trois heures pour laisser une trace. J’avais toujours mon stylo et mon carnet de note. Dix pages pour témoigner de ce crime atroce. Mais comment faire parvenir se témoignage alors qu’un torrent de flammes allait bientôt vaporiser tout ce qui se trouvait dans cette pièce. Mon regard se posa sur l’étui à cigare.
Cela fait maintenant trois heures que j’écris sans discontinuer, seulement troublé par les annonces de Contrôleurs qui me rappelle le temps qu’il me reste à vivre. Il me semble avoir décelé une pointe de cynisme lorsqu’il a annoncé « décollage dans 15 minutes », est-ce qu’il fait partie du complot, lui, et tous les autres ? J’ai extrait le cigare, je le mâchouille nerveusement, n’ayant même pas le loisir de l’allumer pour calmer mon esprit, bien que disposant du plus gros briquer jamais créer au-dessus de ma tête. Après avoir écrit la dernière ligne de ce qui ressemble de plus en plus à mon testament, je glisserais ces feuillets dans l’étui. Il ne me restera plus qu’à attendre et qu’à espérer. Attendre que quelqu’un s’étonne de cette paire de chaussures au pied de la rampe de lancement… espérer que Pilote interrompe le compte à rebours…
Alors, à la toute dernière seconde je saurais, je saurais qu’une fois encore l’humanité aura porté à son pinacle : un criminel.
***
Chéri, on va passer à table !
L’injonction de ma femme me sorti de ma torpeur. Je levais la tête des feuillets que je tenais dans mes mains tremblantes.
Tu es sûr que tout va bien ? Tu es blanc comme un linge !
Je… j’ai quelque chose à vérifier… et j’arrive… laisse-moi dix minutes.
Elle me jeta un regard à la fois étonné et inquiet :
Très bien, je mets le repas au chaud. Puis reprenant son air enjoué, décollage dans dix minutes pas plus, et je t’avertis : il n’y aura pas d’interruption du compte à rebours !
Alors qu’elles s’éloignaient d’un pas léger, je me précipitais vers les étagères qui couvraient un pan entier du garage. Au fil des ans, j’avais collecté et numérisés des centaines d’heures d’archive vidéo de tous les lancements de la Nasa. Le compte à rebours d’Apollo 11, je cherchais fébrilement dans les archives de 1969.
Le carton était éventré à mes pieds, je tenais le boitier du DVD dans mes main, son étiquette indiquée : 16 juillet 1969. Je m’y repris a deux fois pour introduire le DVD dans le lecteur de l’ordinateur. Des images familières, apparurent à l’écran, le logo de la NASA, un plan panoramique sur la rampe de lancement, puis un sur le site dédier au public et enfin un plan large de la salle de contrôle. L’horloge en surimpression en bas à droite de l’image indiquait 6h30. Je me souviens de cette journée, la retransmission avait débuté à l’aube, donnant l’occasion au réalisateur de filmer les abords du site dans le flamboiement du lever de soleil. Je faisais défiler rapidement les séquences, à la recherche d’un plan bien précis, j’arrêtais à 6h59 alors que le commentateur profitait d’un gros plan sur les moteurs du première étage pour décrire par le menu son fonctionnement. Dans le cadre de l’image, on pouvait distinguer très clairement les cônes des moteurs ainsi que leurs ombres venants se découper quelques mètres plus bas, sur bords de l’excavation circulaire destinée à évacuer les gaz de propulsion. Des cameras couleurs hautes définitions avaient été installées sur le site pour immortaliser cette journée historique, je profitais de ce luxe de détail pour zoomais sur l’image et la déplaçais pixel par pixel. Peu à peu, dans le rectangle de la loupe numérique, je vis apparaitre un amas de pixel dont la forme ne faisait aucun doute : une chaussure !
Je dus contenir les sursauts de ma main pour continuer à déplacer l’image, jusqu’à trouver la deuxième. Malgré ces deux preuves accablantes, je lutais encore quelque instant pour repousser l’évidence. Quelqu’un d’autre aurait très bien pu voir ce détail, et à partir de ce détail inventer ce canular morbide. Mais dans ce cas, comment expliquer la présence incongrue d’une paire de chaussures à cet endroit précis ? Et surtout, comment ne pas croire à tout ce que je venais de lire, alors que mes propres souvenirs témoignaient de leurs véracités ?
J’essuyais mon front du revers de la manche et faisait défiler rapidement l’enregistrement jusqu’à 9h17, puis j’appuyais sur « play ». J’entendis alors distinctement la voix du contrôleur annoncer « décollage dans quinze minutes ». Une image se superposa alors à celle que je regardais fixement, l’image de cette homme prisonnier sous les 3000 tonnes du lanceur le plus puissant ayant jamais été conçu, espérant une interruption du compte à rebours, qui ne viendra pas.
A l’écran, à présent, le visage du pilote, souriant dans son casque dont la visière ne masque pas encore le tranchant du regard. Il plaisante avec le poste de commandement,
Cette fois-ci c’est la bonne pas vrai « Contrôleur » ?
Je perçois maintenant l’ironie de cette phrase si souvent entendue, il utilise sciemment le mot de l’équipe psy,
Et le contrôleur lui répond plein d’enthousiasme, d’innocence et de joie contenu sur le même ton sans le nommer :
Oui « Pilote », celle-là, c’est pour de vrai !
Je vois maintenant d’infimes détails qui m’avaient échappé jusqu’alors, les lèvres du pilote qui s’entrouvrent, ses dents serrées, dévoilant la férocité de son sourire. J’accélère à nouveau, la dernière check-list prend des allures de film muet, je sais qu’elle est pourtant bien réelle, après le « test » les astronautes avaient exigé et obtenu la suppression de toutes les manœuvres fictives. Je m’arrête à H-5 minutes et repasse en vitesse normale. Je peine à reprendre ma respiration, j’ai l’impression d’avoir couru un cent mètre. Nouveau plan large sur la fusée, je scrute la zone des moteurs, je devine cet homme quelques mètres sous terre, j’imagine ses derniers instants. Il enroule les feuillets, les insères dans l’étui a cigare, le revisse en y mettant ses dernières forces, Il s’approche du conduit d’évacuation. La voix du contrôleur annonce « H-4 minutes » dans les hautparleurs, zoom sur le public. Des hommes et des femmes que rien ne distingue de touristes, chapeaux, casquettes et paréos, brandissent leurs appareils photos. « H-3 minutes », gros plan sur l’équipage, visières baissées, l’un d’eux fait le signe de la victoire à la caméra. « H-2 minutes », plan large du poste de commandement, tous les regards tournés vers l’immense rétroprojection du pas de tir, pas un pour remarquer cette satanée paire de chaussures dans l’ombre de la fusée. « H-1 minutes », le contrôleur commence d’égrainer d’une voix monotone le compte à rebours final. Le réalisateur en profite pour étaler sa technique aux yeux des millions de téléspectateurs qui suivent l’évènement en directe. 59 secondes… plan de la fusée, 55 secondes… plan de l’intérieur de la capsule, 42 secondes… plan de l’équipe au sol, un tourbillon d’images qui me ramènent quatre décennies en arrière, 30 secondes… plan sur les spectateurs figés dans l’attente, 20 secondes… plan sur… l’homme sous la fusée, sa main tenant l’étuis à cigare se relâche, les traits de son visage se détende, il lève la tête vers le ciel qui va bientôt s’embrasser, 10…, 9 …, « Démarrage de la séquence d’allumage !»
Chéri ? Ça fait dix minutes !
Elle s’approche de l’écran, 8…,7… elle pause une main sur mon épaule, 6…, 5…, plan serré sur le pilote, sa main gauche est posée à côté du bouton d’interruption d’urgence, 4…, je la vois trembler pour la première fois, 3…, plan américain sur le contrôleur, c’est lui qui va déclencher la mise à feu, 2…, cette personne, qui me ressemble comme un fils, deviendra alors le complice involontaire, 1…, du premier criminel à avoir marché sur la Lune !
Elle sourit en regardant cet homme de quarante ans mon ainé :
Eh ? Mais c’est que tu n’étais pas trop mal à l’époque !
0…, « IGNITION ! »