Cet après-midi-là, j’étais en train de jouer au foot dans le jardin avec ma sœur, lorsque d’un coup de pied surpuissant, elle a envoyé mon ballon, suivi de sa basket dans le grand pin.
Ma basket ! a hurlé ma sœur, maman va me tuer !
Elle se contentera de te couper le pied ! J’ai répondu, au moins pas la peine de racheter une paire.
Ne te moque pas de moi ! va la chercher s’te plait, s’te plait s’te plait.
Bon ok” j’ai répondu en bombant le torse, je vais LE chercher !
LA chercher, on dit UNE basket
Oui mais on dit UN ballon, j’ai rétorqué, je vais chercher MON ballon et si en passant je croise TA basquette je te la ramènerais… peut être.
Ma sœur était furax, et moi plutôt content, sauf qu’en arrivant au pied du grand pin, je faisais moins le malin.
Est-ce que vous connaissez les séquoias géants d’Amérique ? Ceux sont parmi les plus grands arbres sur Terre. Et bien je crois que le grand pin du jardin doit avoir un grand-père séquoia, parce que ses plus hautes branches semblaient agripper les nuages. A côté je ressemblais à un minuscule nain de jardin.
Tu te dégonfles, comme ton vieux ballon, s’est moquée ma sœur à l’autre bout du jardin.
Là, il allait falloir que j’y aille, alors je me suis avancé et j’ai grimpé sur la 1ère branche. “Fastoche” j’ai pensé, c’est comme de monter à une échelle, et j’ai mis mon pied sur la 2eme branche, puis sur les suivantes.
En 2 minutes j’étais tout en haut. Il n’y avait pas de nuage, mais mon ballon et la basket. J’ai secoué la branche pour faire tomber le ballon et j’ai caché la basket sous mon tee-shirt. Alors j’ai entendu ma sœur crier :
Dépêche-toi ! Ou je vais attraper un rhume du pied, j’ai déjà envie d’éternuer des orteils.
Je me suis retourné pour lui répondre, et là, je l’ai vu.
Tapis dans le buisson au pied du pin, un petit animal aux gros yeux me regardait.
Tout petit qu’il soit il n’en était pas moins inquiétant. Peut-être son absence de poil, ou son absence d’oreille et de dent et de …
Mais c’est quoi ce truc ! J’ai hurlé.
Je crois que j’ai vu ma sœur me faire des signes et me parler tout en bas, mais j’avais l’impression de ne plus rien entendre et mes yeux ne pouvaient plus se détacher des yeux de cette drôle de bête. Plus je le regardais, plus je me sentais bizarre.
Mes jambes, qu’est-ce qu’il se passait avec mes jambes ? Elles devenaient toute molles, comme de la réglisse… Mais …
Elles sont vraiment en réglisse ! j’ai crié, et mes bras, ils sont en chewing-gum, je deviens tout mou ! Au secours !
Mais cette fois aucun son n’est sorti de ma bouche.Vertigo. C’est vertigo ! Maman m’avait mis en garde plusieurs fois “c’est comme ça dans la famille, on a le vertige de mère en fils, ne monte pas aux arbres ou tu risques de tomber dans les griffes de Vertigo”. Des blagues, j’avais pensé, pour faire peur aux enfants. Mais non j’avais la preuve que non. Il était bien là tout en bas, tellement bas et moi tellement haut, et mes mains qui commençaient à glisser et mes pieds qui commençaient à se dérober sous les branches.
Je vais tombéééééééé…
Mais non… m’a répondu le tronc.
Cette fois c’était mon cerveau qui était en train de se ramollir, un arbre qui parle !
Mais non… à répéter le tronc.
Une petite porte s’est ouverte et un hibou portant des lunettes de soleil en est sorti :
C’est moi ! Je sais, a dit le volatile, ça étonne toujours un hibou à lunette, mais je vis la nuit, alors le soleil, ça me fait mal aux yeux.
Euh, c’est que… un hibou qui parle…
Je vais t’aider à descendre, continua le hibou impassible.
Impossible, dès que je vois Vertigo, je sens que je tombe.
Et bien ferme les yeux !
Mais je ne peux pas redescendre les yeux fermés !
Mais si, dit le hibou, fait confiance à tes doigts.
Oui fais nous confiance ! ont dit mes doigts tous en cœur.
Et à tes orteils, ajouta le hibou.
Tu peux compter sur nous ! ont répondu les orteils d’une voix grave.
Qu’est ce qui se passe ? je suis en train de parler à un hibou, à mes doigts et mes orteils, je deviens zinzin, ou mes oreilles ont perdu la boule ?
Pas du tout, ont susurré mes oreilles, c’est parce que lorsque tu as les yeux ouverts tu ne fais pas attention à nous, mais tous ensembles, on va t’aider à descendre.
Vas- y, m’a encouragé le hibou, essaye.
Alors j’ai fermé les yeux et j’ai écouté mes doigts :
Un peu à gauche la main droite, et un peu plus bas.
Et j’ai senti une branche sous ma main. Et j’ai écouté mes orteils :
Lève notre pied droit… Stoooop c’est bon !
Et j’ai senti une branche sous mon pied. Et mes oreilles me disaient à voix basse :
Ecoute le vent, sent la chaleur des rayons du soleil, tout va bien !
Elles avaient raison, tout allait bien ! Et nous sommes descendus, tous ensemble. Arrivés en bas, ma sœur m’a sauté au cou.
J’ai eu tellement peur, je t’appelai et tu ne répondais pas, j’ai cru que tu avais le vertige et que tu allais tomber.
Le vertige ? Vertigo, j’avais complètement oublié vertigo. Je le cherchai au pied de l’arbre, mais il avait disparu. Ma mère est arrivée en courant :
Qu’est-ce qui se passe ici ? Ne me dis pas que tu es monté dans le grand pin ?
Monté et redescendu ! J’ai répondu fièrement, en rendant sa basket à ma sœur.
C’est très dangereux ! Je t’ai déjà dit de ne pas y monter ! s’est plaint ma mère, j’ai trop peur que tu tombes, à cause du vertige.
Je sais comment vaincre le vertige ! si tu veux je te dirais comment faire.
Mais je ne lui ai jamais dit, car je ne voudrais pas que maman tombe par ma faute. Après tout, les enfants aussi ont le droit d’avoir peur pour leurs parents, non ?