– Comment tu veux contacter Jérémie sans son numéro et sans son nom ? Par télépathie ?
Mes mots se perdent dans l’espace à tout jamais. Je commence à avoir l’habitude.
Cette fois-ci Mathilde est partie en direction de la pièce du fond. D’où elle revient 22 secondes plus tard avec un ordinateur portable, qu’elle pose sur la table basse.
– C’est l’ordi de ma mère.
– Je la regarde intriguée.
– Et ?
– Ma mère est déléguée des parents d’élèves. La mère de Jérémie aussi, et là, il y a toutes les adresses et les numéros de téléphones des délégués. Donc…
– Celui de Jérémie !
Bon sang ! Raisonnement implacable ! Qui a transformé Mathilde en graine de génie ? Mais il y a quand même un petit problème :
– Tu connais le mot de passe ?
– Quel mot de passe ? Y’a pas de mot de passe !
OK, c’est définitif, les parents de Mathilde, son méga cool, voire carrément baba cool, ils la laissent seule à la maison, et il n’y a pas de mot de passe sur leur ordi !
Elle clique un peu partout et fini par ouvrir un document :
– Là ! Je connais tous les noms sauf celui-là, c’est sûrement la mère de Jérémie !
Je bondis sur le canapé et Mathilde bondit sur le téléphone. A force de faire des bonds j’ai l’impression d’être un kangourou. Je vérifie discrètement si une poche ventrale n’est pas en train d’apparaître sous mon teeshirt. Ok, pas de mutation marsupiale à l’horizon.
Sonnerie dans le téléphone : Tuut. Tic dans le minuteur : TIC, il ne reste plus que 13 minutes !
***
Quelqu’un décroche à l’autre bout du téléphone sans fil, et ce quelqu’un est une « quelqu’une ».
– Allo ? fait une voix qu’il me semble reconnaître.
Mathilde me passe le téléphone comme si c’était un bâton qui venait de se transformer en serpent à sonnette.
De surprise je bafouille un :
– Euh, est-ce que je pourrais parler à Jérémie s’il vous plaît.
J’entends un soupir à l’autre bout du sans fil, suivi d’un :
– Jérém’, c’est pour toi !
Le bruit du téléphone qu’on repose et des bruits de pas qui s’éloignent. Je décolle le téléphone de mon oreille, et je regarde Mathilde, incrédule.
– Quoi ?
– La voix…
– Quoi la voix ?
– C’était celle de Lou !
Et le minuteur choisi ce moment crucial pour annoncer dans un tic : 12 minutes.
***
L’incrédulité, ça doit être contagieux, et ça doit se transmettre par les yeux, vu la tête que fait Mathilde.
– Pas possible ! T’es vraiment sûre ?
– Sûre au carré !
– Peut-être qu’elle est chez Jérémie pour une soirée pyjama geek ?
Ouai c’est ça, peut-être, n’empêche, pendant quelques secondes le stress à fait place à un autre sentiment… la jalousie ? Mais je réfléchirai à tout ça plus tard. Je recolle le téléphone à mon oreille. Mathilde colle son oreille de l’autre côté. J’entends des pas, mon cœur s’accélère, ma pression artérielle augmente, mes narines se dilatent, bref le stress est revenu.
– Allo ?
Cette fois ci, c’est la bonne voix, celle de Jérémie. Mathilde m’encourage du regard, c’est fou tout ce qu’on peut faire juste avec une paire d’yeux ! Je veux régler ma langue sur : « élocution claire et décontractée », mais je me trompe de bouton et je me retrouve à bégailler un :
– Sa… Salut Jé… rémie.
– Lola ? Salut, tu… enfin… ça me fait plaisir de….
Bon, apparemment, le bégaiement c’est aussi contagieux.
Je respire un grand coup, l’air c’est un médicament miracle, et je me lance :
– Jérémie, j’ai un gros problème. J’ai utilisé le stylo pour sortir de chez moi, et maintenant je peux plus rentrer !
Je sens mes joues s’empourprer. Je jette un coup d’œil sur le minuteur, avec l’œil droit, et sur Mathilde, avec l’œil gauche. Je dois ressembler à un caméléon. Tic, le minuteur s’en fiche et affiche 11 minutes. Mathilde a l’air de faire de l’hyperventilation comme un chien de chasse aux abois.
– Mince, dit Jérémie à l’autre bout.
Il est poli, et en plus il a l’air vraiment embêté. Il ajoute :
– J’aurais dû y penser !
Et en plus il s’en veut ! Comme pour traduire ma pensée, Mathilde me murmure à l’oreille :
– Il est vraiment, vraiment, trop, trop, craquant !
Je reprends :
– C’est surtout moi qui aurais dû y penser, mais là, j’ai moins de 11 minutes pour trouver une solution, je vois pas trop comment…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que j’entends à nouveau le bruit du téléphone qu’on pose et juste après la voix de Lou ! Et un petit bout d’éternité plus tard, Jérémie m’annonce :
– Je crois qu’on a la solution !
Encore ce « on », Lou sera décidément toujours entre nous. TIC !
***
Le minuteur ne se gêne pas pour proclamer qu’il ne reste plus que 10 minutes. Je comprends subitement ce que veulent dire mes parents lorsqu’ils disent que passer une dizaine, ça met un coup au moral. Mathilde a toujours l’oreille collée de l’autre côté du téléphone. Une idée fulgurante me traverse le crâne de part en part. J’appuie sur la touche haut-parleur, on va pouvoir écouter sans ressembler à des siamoises. Jérémie reprend la parole :
– Alors, voilà. Le stylo a une connexion sans fil Bluetooth. Si tu as un ampli ou une enceinte Bluetooth, tu pourras le connecter, et en mettant le son à fond, peut-être commander GOGOL à travers la porte.
– Une enceinte ou un ampli ? C’est que… je sais pas trop où…
Je n’ai pas fini ma phrase que Mathilde crie :
– Je sais où en trouver une ! Merci Jérémie, je crois qu’on va pouvoir se débrouiller !
Et elle me prend le bras.
– Ok Ok ! dit Jérémie tout étonné. Et… pour connecter le stylo, utilise la petite bague en bas… et… euh… bonne chance Lola !
Je regarde le stylo, et j’ai juste le temps de lui répondre un :
– Vue… merci ! On te rappelle pour te tenir au courant…
que Mathilde a déjà raccroché et m’entraîne avec elle.
***
– Mais où est-ce qu’on va, là ?
Mathilde a pris le minuteur dans sa main droite, et me tire de sa main gauche tout en m’expliquant :
– Chez Mamy, elle est un peu sourde et papa lui a installé une enceinte Bluetooth pour écouter la télé à bloc !
On sort de chez Mathilde, et on bondit jusqu’au palier d’à côté comme deux écureuils qui auraient vu une noisette géante.
Mathilde va pour sonner, mais elle s’arrête :
– Mince !
Elle repart à toute vitesse en me laissant seule comme un vieux paillasson… sur le vieux paillasson. Je n’ai pas le temps de me sentir abandonnée qu’elle réapparait déjà en brandissant un trousseau de clés.
– T’imagines si la porte se referme, et qu’on peut plus rentrer chez moi ! On aurait l’air malines !
Je me frappe la main sur le front, elle frappe sur la sonnette, rien ne se passe, sauf une minute !
***
TIC, 8 minutes. On appuie plusieurs fois sur la sonnette, en vain. On se colle à la porte pour essayer d’entendre quelque chose. Enfin, on entend la voix de quelqu’un, on se regarde et on s’exclame : « Tom Cruise ! »
– Je te l’avais dit, elle est un peu sourde, semble s’excuser Mathilde. Elle doit s’être endormie devant la télé, avec Doddy.
Je précise, Doddy ce n’est pas son doudou, c’est son chien, et apparemment lui aussi est un peu sourd.
– Il est sourdingue ! me confirme Mathilde, en général il se réveille que pour manger.
Je regarde le minuteur, qui semble n’avoir qu’une envie, afficher le chiffre 7. C’est au tour de mon cerveau de fulgurer !
– J’ai une idée !
Avant que Mathilde n’ait le temps de réagir, je repars en courant en direction de l’appartement ; chacune son tour ! 30 secondes plus tard, je reviens avec une tranche de jambon dans la main.
– Euh, c’est vraiment l’heure de se faire un sandwich ?
Sans répondre, je glisse le jambon sous la porte. Le minuteur fait TIC !
***
– Un chien ça peut sentir une tranche de jambon à des kilomètres, même dans ses rêves : démonstration !
Pendant dix très longues secondes, on n’entend rien. Mathilde soupire :
– Doddy est peut-être enrhumé ?
Et puis j’entends un halètement suivi d’un jappement.
– Ça, c’est pas Tom Cruise !
Je sens la tranche de jambon remuer sous la porte. Je la retire à toute vitesse. Cette fois-ci, c’est un aboiement qui résonne à travers la porte et sur le palier. Je répète mon petit numéro de dressage : jambon, plus jambon, jambon, plus jambon. Doddy aboie de plus belle, ce n’est pas très sympa, mais c’est efficace. Il est de plus en plus excité, ses grognements se prolongent en écho dans les étages.
– Si ça continue, il va ameuter tout l’immeuble, commence à s’affoler Mathilde.
Heureusement, c’est ce moment que Doddy choisi pour arrêter d’aboyer… et se mettre à parler !
***
Note : Pour les non anglophones, non franglophones, et non comprenophones, je fournirais gracieusement une traduction lorsque nécessaire.
– What the hell’s going on ? (Que diable se passe-t-il ?)
TIC 6 minutes.
– On a réussi à la réveiller ! m’annonce Mathilde
Et elle appuie à nouveau sur la sonnette. Ça me rassure de savoir que ce n’est pas le chien qui parle anglais… ou même qui parle tout court !
– Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
– Euh, disons qu’elle n’est pas contente.
Cette fois ci, c’est un bruit de pas en pantoufle, et pas de pattes en poil, qu’on entend se rapprocher de la porte.
– Qwui aye la ? (Qui est là ?)
Une chose est sûre, je suis moins bonne en Franglais que Mathilde.
– C’est moi Mamy, c’est Mathilde !
– Mathilda ? What is happening my darling ? (Que se passe t’il ma chérie ?)
Bruit de verrou en haut, bruit de verrou en bas… bruit de verrou au milieu !
– Elle est très… prudente Mamy non ?
– Ouai, elle préfère s’enfermer à triple tour la nuit, rapport au chien qui entendrait pas un pet d’éléphant.
– En tout cas, il le sentirait !
***
TIC, 5 minutes ! La porte s’ouvre !
Mamy apparaît. Elle est grande pour son âge, que j’estime à au moins 125 ans, plus ou moins 6 mois. Normalement on rétrécit dans ces eaux-là, non ? Elle nous avise :
– Oh, tou yé avec tonne amie Loula. Commente ça va Loula ? (Oh, tu es avec ton amie Loula. Comment ça va Lola ?)
– Euh, bien… en tous cas pour encore à peu près 5 minutes…
– Oh, mais tou yé pieds nou ! (Oh, mais tu es pieds nue !)
« Loula les Pieds nou ? » C’est bien de moi qu’il s’agit.
– Mais entwé, vous z’allez atwapé foid sou le palliér ! (Mais entrez, vous s’allez attraper froid sur le palier)
On rentre. On la suit dans le salon. Doddy aussi nous suit dans le salon tout en engloutissant sa tranche bien méritée. Il renifle ma main, elle doit sentir le jambon. Je la range dans la poche de mon pantalon avant qu’il ne confonde mes doigts avec des saucisses apéritives.
Mamy s’installe dans un gros fauteuil. Mathilde s’impatiente :
– Mamy, we need to… (nous avons besoin de …)
– Assé-yé vous ! dit Mamy comme si elle n’avait rien entendu, ce qui est probablement le cas.
On n’a pas le temps, mais on n’a pas le choix, on se pose sur deux gros poufs, ils sont moelleux, très moelleux, on s’y enfonce jusqu’aux oreilles. Doddy s’effondre à côté de moi, je crois qu’il a fait une crise cardiaque, ou bien il fait semblant de dormir et il guette le moment où je sortirais les saucisses de ma poche !
***
La main droite de Mathilde fait TIC, nous rappelant de manière perfide qu’il ne reste plus que 4 minutes. Dans un anglais que j’estime parfait, en comparaison du mien que je juge inestimable, elle fait une nouvelle tentative :
– Mamy, could we take your Bluetooth speaker, Just for a moment ? (Pouvons-nous prendre ton enceinte Bluetooth ? Juste pour un instant) demande Mathilde .
Mamy semble s’apercevoir que la télé est allumée, mais pas que Mathilde a parlé :
– Vous voulez wegawdé Mission Impossibeul avec moye ? Ça va bientôt cowmentsé. (Vous voulez regarder Mission Impossible avec moi ? Ça va bientôt commencer.)
Elle se ravise en voyant Tom Cruise sur l’écran :
– Eye, mais ils ont demawé en avantse, no ? (Eh ! Mais ils ont démarré en avance non ?)
Elle commence à feuilleter le programme télé qui était posé à côté du fauteuil. Je vois Mathilde qui bouillonne dans son pouf. Elle finit par en sauter comme un bouchon de champagne, et fonce vers la télé
– Ecoute Mamy, on a besoin de ton enceinte Bluetooth, de toute façon, le film est bientôt fini.
Elle débranche l’enceinte. J’ai un éclair de lucidité :
– Mais on n’aura pas de prise de courant sur mon palier ?
– L’enceinte est rechargeable, pas la peine de la rebrancher sur une prise.
Mamy marmonne dans son coin :
– They say it’s at 20h30 o’clock, what’s up ? (Ils disent que c’est à 20h30, qu’est-ce qu’il se passe ?)
Mathilde me reprend le bras et m’aide à remonter à la surface. Elle saisit l’enceinte
– Vite, on fonce ! ! !
Mamy lève enfin la tête :
– Where do you go Mathilda ? (Ou vas-tu Mathilde ?)
– An urgent thing to do, i’ll be right back ! And it’s a bit late for your film ! (Un truc urgent à faire, je reviens ! Et c’est un peu tard pour ton film !)
– What do you say Mathilda, it’s only 20 o’clock ! (Qu’est-ce que tu dis Mathilde, il est seulement 20 heures !)
Je regarde l’horloge qui surplombe la télé, elle indique bien 20h !
– Elle est jamais à l’heure, Mamy s’obstine à la remonter tous les jours, même si on a beau lui répéter qu’il faut juste changer la pile, soupire Mathilde.
On se met à courir en direction de la porte. Doddy ressuscite de sa crise cardiaque, et me court après en tirant la langue !
***
TIC 3 minutes ! On franchit la porte. Doddy freine des pattes arrières et s’arrête net !
– Il sort jamais de l’appart, il est trop peureux, m’explique Mathilde dans un souffle.
Il me semble voir des larmes dans ses yeux, et des saucisses aussi.
On file en direction des escaliers que l’on commence à gravir quatre à quatre, puis trois à trois, puis deux à deux, puis une par une.
On est exténué, à bout de souffle, nos muscles nous font souffrir, j’ai l’impression que notre ascension dure des heures. Je regarde le minuteur dans la main de Mathilde. Non, en fait juste une minute. TIC, il n’en reste que 2 !
On arrive enfin au cinquième étage ! On a plus assez d’air pour parler.
– Stylo… me dit Mathilde.
Bon je corrige, on a juste assez d’air pour dire un mot. Pendant que je plonge la main dans ma poche, elle pose le minuteur à côté du paillasson. Mes doigts ne rencontrent que du vide ! Mathilde se redresse, elle voit ma main remplis de… rien, et ses yeux s’ouvrent en tellement grand, que j’ai l’impression qu’elle va m’avaler. Je lui dis d’une voix chevrotante :
– Je crois que je l’ai laissé chez toi !
Stupeur et tremblements…
***
TIC the last minute ! Mathilde ouvre la bouche au ralentie
– Pas poss… Je l’interromps avant qu’elle ne prononce le mot fatidique.
– Non, Je l’ai ! ! !
Et je brandi le stylo. Il était dans mon autre poche. Moment suspendu… de courte durée.
Elle appuie sur le bouton de l’enceinte, je tourne la petite bague en bas du stylo comme me l’a dit Jérémie il y a très longtemps déjà ; et la magie opère, et appaire les deux compères, même si ce n’est pas le moment de faire des vers !
– Bluetooth pairing ! dit la voix du bon génie de l’enceinte.
– C’est bon, dit gravement Mathilde, ils sont connectés.
On se regarde, je lève le stylo comme si c’était un détonateur, elle colle l’enceinte à la porte comme si c’était de la dynamite. Je mets mon pouce sur la tête du stylo, prête à tout faire sauter !
– Attends !
– Quoi attend ? Mais on peut plus attendre !
– Il faut mettre le volume à fond !
Et elle appuie au moins mille fois sur le petit bouton « plus ». L’enceinte finit par hurler un « PLUS » qui nous arrache les oreilles.
– Là c’est bon !
Et mon pouce écrabouille la tête du stylo ! Et la voix de mon père s’élève de l’enceinte, faisant vibrer la porte, trembler les murs et la terre, probablement jusqu’au Japon :
– OK GOGOL, DÉVERROUILLE LAAaaaa ppoo …
Et la fin de la phrase se perd dans la nuit.
– Qu’est ce qui … Mathilde semble hébétée.
J’appuie à nouveau sur la tête du stylo. Plus aucun son ne sort de l’enceinte. Je me sens étrangement calme :
– Je crois qu’elle est complètement déchargée.
Mathilde essaye de pousser la porte. La porte repousse Mathilde.
– C’est foutu !
– Je crois.
Comme pour confirmer, un « Driiiiinnnng » retentit. La sonnerie fait sursauter Mathilde.
– Misère ! Tes parents sont en train d’appeler !
Je tends l’oreille, je baisse la tête.
– Non ! C’est le minuteur !
***
Ce qu’il y a de pire après avoir retrouvé l’espoir, c’est de le reperdre. On était abattue, lessivée, effondrée, sonnée et tout un tas d’autres trucs déprimants en « é » et en « u ». Echouée sur le paillasson, comme sur un radeau au milieu de la mer des lamentations ! Le téléphone n’allait pas tarder à sonner, et mis à part me transformer en tranche de jambon, je n’avais aucun moyen de me faufiler sous la porte !
– Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant ? a demandé Mathilde en haussant les épaules.
C’est à ce moment-là que l’ascenseur a décidé de s’immiscer dans la conversation en répondant :
– CLANG !
On s’est tourné de manière parfaitement synchronisée vers la cage, pour voir les câbles se mettre en mouvement.
– Il monte ! a dit Mathilde, d’une voix qui trahissait un début d’inquiétude.
– Il monte ! ai-je confirmé après quelques secondes. Ne t’inquiète pas, c’est normal pour un ascenseur non ? A part monter ou descendre, que voudrais tu qu’il fît ?
– Il continue de monter ! a repris Mathilde, d’une voix qui trahissait un début d’affolement (Peut-être dû à mon emploi audacieux de l’imparfait du subjonctif ?).
– Pas d’affolement, c’est surement un voisin du dessous qui rentre chez lui.
Ça ne pouvait pas être mes parents. Même s’ils venaient d’interroger GOGOL, ils ne pouvaient pas être déjà là. Ni nos voisins du cinquième d’ailleurs, ils étaient partis en voyage la semaine dernière. Donc pas d’affolement.
– Il a passé le troisième !
Mathilde a posé sa main sur mon épaule et commencé à me secouer.
– Il faut qu’on décolle, et vite !
Elle n’était plus seulement affolée, elle était au bord de la panique.
– Pas de panique Mathilde ! je ramassais le minuteur calmement, on va redescendre tranquillement chez toi et attendre mes parents et…
Et la lumière s’est éteinte.
***
C’est étrange comme les choses paraissent différentes lumières allumées. En moins d’une seconde, je suis passé d’un état résigné, mais détendu, à un état résigné, mais complètement paniqué !
L’obscurité avait rallumé des peurs enfantines qui projetaient leurs ombres terrifiantes sur les murs ! Mathilde a étouffé un crie. Une pâle lueur montait de la cage de l’ascenseur. Il ne s’était pas arrêté au troisième étage. Et il n’allait pas plus s’arrêter au quatrième, j’en avais l’horrible pressentiment.
Je voyais le visage de Mathilde, déformé dans un étrange rictus que le faible éclairage rendait encore plus étrange. Il fallait faire quelque chose, mais elle ne semblait plus en état de faire quoi que ce soit. J’ai pris sa main et j’ai serré très fort ; et alors que la douleur semblait la sortir de sa torpeur, je l’attirais en direction de l’escalier qui montait vers d’improbables étages.
***
C’est un très vieil ascenseur. Il est très lent, et très grinçant. Depuis la cabine ajourée, on a une vue imprenable sur les gens qui montent et qui descendent. Le moteur qui actionne les câbles est situé juste au-dessus de la cage, après le cinquième palier l’escalier continue jusqu’à une petite plateforme qui le surplombe. C’est jusqu’à cet improbable étage que j’entrainais Mathilde. Et, s’est accroupi dans l’ombre du moteur vrombissant, qu’on attendait, tremblantes, que son ascension se termine. CLANG !
Les portes ont grincé, je crois que mes dents aussi, et je pressais la main de Mathilde si fort, que ces os ont dû grincer également. Une lumière sépia a alors projeté une forme humanoïde sur le mur d’en face, et un être non identifiable est sortie de la cabine !