Ce jour-là à la ferme, l’éleveur entra dans le pigeonnier avec un air soucieux.
“Oh Oh” se dirent les volatiles, “il a la tête d’un oiseau de mauvaise augure”.
Me chers enfants à plumes, commença l’éleveur, vous savez que je vous adore. Je vous entraîne depuis des semaines pour que vous deveniez les meilleurs pigeons voyageurs. Mais hélas, je n’ai plus les moyens de tous vous nourrir. Il faut donc que je me sépare de l’un d’entre vous.
“Gloups” firent les pigeons en se regardant tous les uns les autres. L’éleveur continua :
Plutôt que de tirer à la courte plume, j’ai décidé d’organiser une course d’orientation jusqu’au village voisin, pour savoir qui de vous, ira chez le volailler.
Cette fois les pigeons se tournèrent tous vers Max.
Pourquoi me regardez-vous avec vos yeux de perdrix ? s’étonna max.
C’est que…, répondit un des oiseaux, c’est toi… qui va gagner.
Moi, gagner la course, mais je n’ai pas le sens de l’orientation, je ne saurais jamais aller jusqu’au village voisin sans me perdre, vous le savez bien !
Justement, enchaîna un autre, tu vas gagner, pas la course bien sûr, mais le droit d’aller chez le volailler ! mon pauvre max.
Ah ? Et c’est si terrible que ça ? demanda Max
Si tu aimes être farcis de légume et rôti à la broche, Non ! rigola son voisin.
Et tous les pigeons gloussèrent de concert. Max failli en tomber de son perchoir.
Mais, mais … je n’ai pas envie d’être cuit, et mangé !
Mais nous non plus ! piaillèrent en cœurs ses congénères, et grâce à toi nous savons que ça n’arrivera pas. Merci max, merci, merci…
Cessez donc ces roucoulades gronda l’éleveur. Dans 5 minutes je donnerais le départ.
Jules, le meilleur ami de Max lui murmura alors à l’oreille :
Ne t’en fait pas, tu n’auras qu’à me suivre pour ne pas te perdre.
L’Éleveur poursuivi :
Bien sûr, Vous partirez chacun à votre tour, pas question de voler à plusieurs.
C’est foutu ! larmoya Max.
Bon ce n’est pas grave, dit Jules à voix basse, une fois que tu auras décollé, tu vas te cacher dans un arbre, et une heure plus tard, tu rentres au pigeonnier en faisant semblant d’être essoufflé, comme si tu étais allé au village voisin !
Mais l’éleveur ajouta :
Pour être sûre que vous avez bien atteint votre destination sans tricher, un de mes amis du village vous fera une marque rouge. Gare à qui rentrera sans sa marque et gare à qui prendra le plus de temps, menaça l’éleveur. Il finira ses jours sur l’étal du volailler.
Brrr… J’en ai la chaire de poules, dit un pigeon à côté de Max, merci encore de te sacrifier pour nous.
Là, soupira Jules, je n’ai plus d’idée.
Cinq minutes plus tard, la cloche du départ retentit et le 1er pigeon quitta le bercail dans un nuage de graine et de poussière.
Il ne lui fallut pas plus de 15 minutes pour revenir avec sa marque rouge.
« Bravo Bravo » entonnèrent tous les pigeons.
Au suivant de ces messieurs tonna l’éleveur.
Et toute la matinée le ballet des pigeons se poursuivi. Tous revinrent, et tous avez leur marque rouge qu’ils arboraient fièrement au grand désespoir de Max.
Bien ! bien ! jubilait l’éleveur, voyons voir qui va nous quitter pour aller rendre sa 1ère et dernière visite au volailler. Et le pigeon le plus lent est… Roger !
Non Non, s’affola Roger, vous avez oublié Max ! Max n’est pas encore partis !
Hein quoi ? dit l’éleveur qui n’entendait que roucoulement et caquetage. Qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est que vous essayez de me dire ?
Et les pigeons se tournèrent à nouveau vers Max, qui était resté tapis dans un coin, en espérant qu’on l’eût oublié.
Désolé mon vieux s’excusa Roger, mais je suis trop jeune pour mourir.
Mais je suis nait le même jour que toi protesta Max.
Cinq minutes avant moi rectifia Roger, alors : adieu mon vieux !
Ah ah ! s’exclama l’éleveur, une tire au flanc ! et il fit tinter la cloche. Remus ton croupion ! ordonna-t-il, ou il finira déplumé !
La sortie, où est la sortie ! hurla max affolé.
“Ouf, Je crois que je suis sauvé” pensa Roger, “il ne trouverai pas la statue de la liberté, même s’il était à ses pieds”.
Tu vas y arriver ! l’encouragea son ami Jules, j’en suis sûr ! Enfin… J’espère ajouta-t-il pour lui-même.
Max fini par trouver la sortie du pigeonnier, mais à peine dehors, il ne savait déjà plus où aller et se posa dans la cour de la ferme.
Par où c’est le village ? A droite à gauche, en haut en bas, je ne sais plus
Et il se mit à pleurer.
Laisse-moi abréger tes souffrances, murmura alors une voix à son oreille.
Max sursauta, le chat était à côté de lui.
Ne t’inquiète pas dit le félin, je ne vais pas te croquer, moi aussi je suis un animal domestique, je ne mange que dans ma gamelle.
Et le chat d’ajouter :
Pour aller au village voisin, le meilleur moyen c’est de suivre la route. En trottinant tu devrais y être rapidement.
Mais… je suis un oiseau dit Max, les oiseaux ne trottinent pas.
Le chemin passe par les bois et par un long tunnel, si tu ne veux pas perdre la route, il faut te servir de tes pattes lui conseilla le chat.
Les autres pigeons écoutaient la conversation du haut de leurs perchoirs
Tu ferais mieux d’aller directement chez le volailler Max, il est surement en train d’aiguiser son couteau en t’attendant.
Un lapin qui se promené dans la cour se mêla alors à la conversation :
A patte tu ne reviendras jamais à temps, assura-t-il, va s’y plutôt en voiture
En voiture ? interrogea max, mais je suis un pigeon, un pigeon ne conduit pas !
Tu n’auras pas à conduire mais à te faire conduire, il suffit d’arrêter une voiture et de monter dedans, mon grand-père m’a expliqué comment on s’y prend, ça s’appelle : faire de l’auto-stop. Tu te mets au milieu de la route et lorsqu’une voiture arrive, tu la regarde droit dans les yeux, sans bouger !
Euh, tu es vraiment sûre que ça fonctionne ? s’étonna Max
Bien sûr que je suis sûr ! D’ailleurs un matin, mon grand-père est parti faire du stop, et on ne l’a plus jamais revu depuis. A l’heure qu’il est, il doit être au bout du monde. Je me demande d’ailleurs pourquoi il n’a pas envoyé de carte postale ?
Surement parce qu’il est aplati un peu plus loin sur la route, ricana le Chat. C’est tout ce que tu gagneras à essayer d’arrêter une voiture Max
“Misère” pensa Max, finir embrocher, aplati ou trottiner jusqu’au village, je n’ai pas le choix, et il se mit à marcher sur le bord du chemin.
Le soleil était déjà haut et chaud. “Je commence déjà à rôtir”, se désespéra Max, inutile de continuer je n’y arriverai pas. Mieux vaut rentrer au pigeonnier l’éleveur aura peut-être pitié de moi ?
Tu as l’air bien ennuyé, le fit sursauter une voix derrière lui
Max se retourna et en se retrouva bec à museau avec un drôle de lapin aux grandes oreilles. De stupeur, il en oublia son langage.
Je suis un lièvre, dit l’animal amusé, un lapin sauvage si tu préfères.
Et toi ? Es-tu oiseau ? Ou es-tu rat ? Car depuis le temps que je t’observe, je ne t’ai pas encore vue voler.
Je suis un pigeon, dit max, qui d’indignation avait retrouvé l’usage de la parole.
Dans ce cas tu dois au moins avoir une aile cassé pour faire un si grand usage de tes pattes ?
Non, rougis Max, c’est mon sens de l’orientation qui est cassé, et il expliqua au lièvre sa situation en versant des torrents de larmes.
Tu pleures pour bien peu ! ironisa le drôle de lapin.
Juste pour ma vie que je risque de perdre ! grimaça Max, et il éclata de nouveau en sanglot.
Il était encore en train de sangloter, lorsqu’un vol de palmipède passa bruyamment au-dessus de leurs têtes.
Regarde ces canards, dit soudain le lièvre, crois-tu que ce soir, ils vont rejoindre leur « canardier » ?
La question surpris Max qui cessa de pleurer.
Mais… ça n’existe pas un « canardier »
Justement, ils ne peuvent donc pas y retourner. Et sais-tu où ils vont aller ?
Euh … non, dit Max, et qui pourrais le savoir, les canards vont où ils veulent, ils sont …libres.
Justement, toi aussi, tu peux être libre Max, il suffit juste que tu décides de l’être.
Dans la petite tête de pigeon de Max, des tas de questions commençaient à se bousculer, et c’est d’une voix mal assurée qu’il demanda :
Mais … je suis un animal domestique, comment faire pour me nourrir ?
Et bien tu mangeras des vers de terre comme tous les oiseaux.
Mais… c’est dégoûtant !
Pas si tu rajoutes un peu de sauce tomate.
Parce qu’on trouve de la sauce tomate dans la nature ?
Dans la nature non, dans une poubelle, oui !
Mais c’est encore plus dégoûtant !
Quoi manger un vers de terre ou fouiller une poubelle ?
Les deux voyons ! Et… pour dormir ?
Et bien tu te feras un nid ou tu nicheras dans un trou comme tous les oiseaux.
Et… pour échapper au renard ?
Tu t’envoleras comme tous les oiseaux. A ce que je sache, les renards ne savent pas voler ! Mise à part Super renard bien sûr ! fit le lièvre en faisant un clin d’œil.
Max était à court de questions, et de toute façon il sentait bien que ce drôle de lapin aurait toujours une réponse d’avance. Il leva la tête vers le vol de canard qui s’éloignait en direction de l’horizon.
Qu’est-ce que tu attends Max ? Pars les rejoindre, si toi tu ne sais pas où aller, eux le savent je te l’assure. L’incertitude de la liberté vaut mieux que la certitude de finir embroché, non ?
Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, une voiture apparut au bout de la route.
Je crois que ton maître est à ta recherche Max, il va falloir se décider ! fit le lièvre en tendant ses grandes oreilles.
Le cœur de Max se mit à battre fort dans sa poitrine :
Mais… je … qu’est-ce que je dois faire ?
Le lièvre projeta son museau en avant, ce qui lui fit comme un bec, et siffla de toutes ses forces en direction des canards. Le dernier palmipède de la formation tourna alors la tête et sembla lui faire un signe de l’aile.
Va s’y Max, ils t’attendent !
Le pigeon regarda une dernière fois la voiture qui remontait la route dans leurs directions, il prit une grande inspiration, l’air ne semblait plus avoir tout à fait le même goût, un mélange de peur et d’excitation lui hérissa le sommet du crâne, une légère brise lui gonfla son plumage. Le lièvre l’observait de ses gros yeux noirs où se reflété le monde, alors, il déploya ses ailes et pris son envol en direction de la liberté.
***
Ce jour-là à la ferme, l’éleveur entra dans le pigeonnier avec un air hébété.
“Quoi encore”, se dirent les volatiles, “un des nôtres va encore passer à la casserole ?”. Mais, déjouant les pronostics, l’homme sortit un rectangle en carton qu’il jeta au milieu des pigeons avant de se retourner, et de s’en aller le dos voûté tout en marmonnant :
Satané piaf ! Ce Max j’aurais dû m’en méfier, et pourquoi pas un email tant qu’on y est !!
Les oiseaux se regardèrent avec inquiétude :
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Il a parlé de Max ?
Qu’est-ce qu’il y a sur le carton ?
Peut-être un faire-part du volailler ?
Jules, Max était ton ami c’est à toi de …
Jules s’approcha, alors que tous s’écartaient, comme effrayés par ce simple bout de carton.
Alors Jules ? Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Jules se pencha :
C’est une image … Il y a une sorte de … femme qui brandit … une sorte de flambeau je crois…
Mais c’est quoi le rapport avec Max ? dit un des pigeons, il y a quoi derrière ?
Jules retourna le carton qu’il détailla pendant de longues secondes. Puis il leva la tête, ces yeux semblaient avoir doublé de volume.
Alors Jules ? Alors ?
Jules se racla le gosier, puis, lentement, d’une voix monocorde dit :
Max …
Tous les pigeons étaient suspendus à son bec.
… nous passe le bonjour …
Hein ? quoi ? ils nous passent le bonjour ? dis un oiseau.
Chutttt ! dire les autres, continu Jules, continu !
Et Jules continua avec cette fois-ci un large sourire sur la figure :
… depuis New York !
Dans la cour, le chat et le lapin regardèrent intrigués en direction du pigeonnier qui retentissait d’un concert de roucoulement assourdissant. L’éleveur leva la tête et le poing en grommelant :
Satané volatiles !
Il fallut tout l’après-midi pour que les oiseaux retrouvent leurs calmes. A la nuit tombée, dans la douceur de ce soir de printemps, Roger vint se poser sur le perchoir de Jules :
Tu crois vraiment que Max est allé jusqu’à New York ? C’est peut-être le maître qui nous a fait une blague ?
Jules détourna son regard en direction de l’ouverture du pigeonnier ou la Lune brillait déjà, comme un phare dans la nuit :
Peut-être Roger, peut-être…
Puis il rentra sa tête dans son plumage et ferma les yeux. Avant de s’endormir, il repensa au dernier mot que Max lui avait écrit, ceux qu’il n’avait pas lu à voix haute, ceux qu’il avait gardé pour lui :
“Prend le prochain vol de canards, je t’attends au pied de la statue de la liberté”