Ce soir, à l’auberge du village, la discussion est animée :
Je vous jure que je l’ai vue ! Un dragon est descendu de la montagne, et a enlevé mon bouc ! dit un homme.
C’est une chauve-souris que la sorcière à transformer en dragon ! ajoute un autre, Il parait qu’elle sacrifie le plus vigoureux des boucs, les soirs de pleine lune, pour transformer les pierres en or !
Mon mari a disparu en les cherchant, assure une femme.
Le mien aussi ! pleure sa voisine.
Dans son coin, un berger réfléchi : « j’irai moi aussi récupérer les pierres d’or, mais je serais plus malin que ces deux-là ! ».
De retour chez lui, il retrouve sa femme toute joyeuse qui lui dit :
J’ai une merveilleuse nouvelle, assieds-toi pour que je te l’annonce…
Mais le berger l’interrompt :
J’ai une grande nouvelle moi aussi, nous allons être riche, je pars dès ce soir dans la montagne chercher l’or de la sorcière !
Et avant même que sa femme ne proteste, il est déjà sorti. Il passe d’abord dans son étable, récupérer une vieille peau de bouc qu’il gardait pour se faire un manteau l’hiver prochain. Il l’enfile, en prenant soin de bien fixer les cornes sur sa tête. Puis, il rejoint son troupeau qui dort dans la clarté de la pleine lune, et se mets à bondir et sautiller comme un bouc endiablé.
Peu de temps après, un bruit d’aile vient s’ajouter aux ronflements des moutons, puis une ombre immense recouvre le troupeau. Il est là, toutes griffes dehors ; le dragon plonge sur le berger déguisé en bouc, et l’emporte dans les airs.
Arrivé au sommet de la montagne, il lâche son fardeau au-dessus d’une rivière. « Aie… je n’ai rien prévu pour l’atterrissage » pense un peu tard le berger, avant de s’écraser dans le cours d’eau.
Heureusement, la rivière est assez profonde à cet endroit, et c’est seulement avec une grosse bosse entre ses deux cornes, qu’il refait surface.
De l’or ! s’exclame le berger en regagnant le bord, le fond de la rivière est couvert de pierre d’or !
Et Il remplit ses poches avec le précieux minerai.
Je suis riche, riche !
Tu es surtout un voleur ! tonne une voix derrière lui, et tu mérites une punition !
C’est la sorcière, qui ajoute en ricanant :
Puisque tu t’es déguisé en bouc pour me dérober mon or, et bien désormais, tu seras bouc, et tu le protégeras jusqu’à la fin de ton existence !
Elle lève alors son bâton biscornu au-dessus de sa tête, d’où un éclair jaillit, qui vient frapper le pauvre berger.
***
Quelques années plus tard à l’auberge du village, la discussion est animée :
Un bouc aux cornes d’or, je t’assure que je l’ai vue comme je te vois ! s’exclame un homme à son voisin.
C’est vrai ! dit un autre, moi aussi je l’ai vue, ce bouc existe, il garde le trésor de la sorcière, et malheur à celui qui ose s’en approcher.
Dans son coin un enfant réfléchi « je serais plus malin, ce n’est pas le trésor que j’irai chercher, mais les cornes du bouc, elles suffiront bien à nous faire vivre, maman et moi ».
Une fois rentré chez lui, sans rien dire à sa mère, il prend un couteau et s’en va vers la montagne. Il marche longtemps et, une fois arrivé à proximité du sommet, près de la rivière, il se met à crier :
Eh oh, le bouc, je viens voler le trésor de la sorcière !
Une silhouette apparaît au loin. L’enfant a juste le temps de sortir son couteau, que le bouc est déjà sur lui. Trop tard, il va l’encorner ! Mais non ! Il s’arrête et regarde l’enfant tremblant de peur. Alors l’incroyable se produit, le bouc verse une larme, et se met à parler.
Il lui raconte son histoire, lui explique que la sorcière l’a transformé en bouc.
Mais pourquoi tes cornes sont-elles en or ? demande l’enfant.
Elles sont seulement dorées, à force de boire l’eau de la rivière ?
Et pourquoi tu ne t’enfuis pas ?
J’ai essayé, mais le dragon me ramène toujours au pied de la montagne.
Et pourquoi pleures-tu ? dit enfin l’enfant,
Parce que… je suis ton père ! répond le bouc.
Lorsque je t’ai vue, je me suis vue, continue le bouc. J’ai compris que ma femme voulait m’annoncer qu’elle attendait un enfant, le soir ou je suis partie. Maintenant prend autant de pierres d’or que tu peux, et ne revient jamais ! sanglote le bouc.
Pas question, je vais t’aider à t’enfuir, lui dit l’enfant d’un air décidé.
Peut-être… réfléchit le bouc, qui reprend du poil de la bête, qu’il y a une solution. Revient demain soir à la pleine lune, avec une peau comme la mienne, je t’expliquerai comment vaincre la sorcière !
Le lendemain :
Je suis là, murmure l’enfant.
Moi aussi, dit à voix basse le bouc. Ce soir, la sorcière va venir pour cueillir des plantes qui ne pousse qu’à la pleine lune. Après la cueillette, elle va se reposer au pied d’un arbre. Une fois assoupi, tu la couvriras de la peau de bouc. Es-tu assez courageux pour faire ça ?
Oui ! répond l’enfant sans hésiter, mais après ?
Après, c’est à moi de jouer ! répond le bouc en lui faisant un clin d’œil.
Mais voilà déjà la sorcière qui arrive. Muni d’une serpe, elle coupe des herbes et les met dans un panier. Puis au bout d’un moment, elle s’arrête sous un arbre et s’y allonge.
Un peu de repos pour mes vieux os, ricane-t-elle avant de s’endormir.
« Brrr, Elle est vraiment effrayante » pense l’enfant en s’approchant sans faire de bruit. Puis, il dépose doucement la peau de bouc sur son corps endormi, et court se cacher.
Alors un bruit d’aile vient s’ajouter aux ronflements de la sorcière, puis une ombre immense vient recouvrir la clairière ; le dragon est là, toutes griffes dehors. « Il est à la poursuite de mon père !» s’affole l’enfant.
Le bouc court en direction de la sorcière, et au moment où le dragon va le saisir, il plonge se cacher derrière l’arbre. La bête, surprise d’avoir raté sa proie, avise alors la forme à la peau de bouc au pied de l’arbre, sans se poser plus de question, elle attrape alors la vieille femme et l’entraîne dans les airs.
Mais… que fais-tu maudit animal ! crie la sorcière en se réveillant.
Elle a beau se débattre, le dragon l’emporte au sommet de la montagne, et la jette sur les rochers.
Nul ne sait si la sorcière est morte, mais ses sortilèges ont pris fin cette nuit-là : Le dragon est redevenu chauve-souris, l’or est redevenu pierre, et le bouc est redevenu un homme, grâce au courage de son fils.